Lettre personnelle à mes amis chrétiens
Il me parait important, afin de lever toute équivoque et au vue des nombreuses remarques et sollicitations qui m’ont été adressés, que comme l’immense sinon la quasi-totalité des nigériens, je déplore et condamne les dérapages incontrôlés qui ont accompagné les manifestations de ces derniers jours. Ma position ainsi que mes publications n’en témoignent en rien d’un quelconque soutien ou sentiment de satisfaction de ces dérapages mais procèdent plutôt d’une démarche visant à mettre en exergue le déphasage flagrant entre les discours politiques et l’opinion générale à défaut d’être publique des nigériens et des nigériennes.
Cela d’autant plus que c’était prévisible dès le lancement de la campagne visant à se désolidariser de l’attitude du Président de la République au début de cette affaire au mépris de ce que cela pourrait impliquer au Niger.
C’était d’autant plus prévisible qu’il y a des précédents qu’il importe ici de rappeler et c’est en ce sens que je me suis engagé dans les premiers à alerter l’opinion sur les conséquences de la participation du Président à la « marche républicaine de Paris » ainsi que des propos que le Chef d’Etat a tenu sur les ondes médias internationaux. La position des Oulémas du Niger me donne raison, en toute modestie, parce que comme ils l’ont affirmé dans leurs déclarations, le peuple n’a pas compris ! Et oui le peuple n’a pas compris et ne peut pas comprendre puisqu’il n’a eu droit à des explications que bien plus tard quand justement nous avons eu des morts (qu’ils reposent en paix) et cette douloureuse épreuve qui a concerné nos concitoyens parmi lesquels ceux de confession chrétienne.
Je comprends vos sentiments en ce moment et je peux comprendre ayez mal interprété ma position et mes articles, notamment pour avoir vu une certaine disposition de ma part à cautionner ces évènements.
Ce n’est pas la première fois que le peuple nigérien s’exprime de cette manière comme en 2006 lors des premières manifestations ayant suivies la publication des caricatures de notre Prophète (PSL).
C’était aussi le cas, lors des manifestations anti-FIMA sous l’ancien régime de Tandja où, rappelez-vous, les mêmes dérapages ont été enregistrés sans pour autant remettre en cause notre pacifique cohabitation religieuse.
C’est à déplorer et surtout à prendre vraiment en compte par nos autorités et nos leaders religieux mais aussi par nous simples citoyens ! Pardonnez à défaut de comprendre, vu la gravité des actes, que tout le monde au Niger n’a pas le même degré de compréhension des véritables enjeux de l’heure. La socialisation sociopolitique des nigériens évoluant à grande vitesse, au même rythme que les mutations géopolitiques mondiales, ceci pouvant peut-être expliquer cela que tous les nigériens n’ont pas la même perception des réalités. Et de la même manière que pour les auteurs de ces actes de vandalisme, les étudiants, élèves ou politiciens s’en prennent aux symboles de l’Etat lors des manifestations tout en oubliant que l’Etat c’est eux donc c’est nous, vous avez été aujourd’hui victime. Comme hier en priant pour que ça ne soit pas demain. Les condamnations unanimes des nigériens relativement à ces actes témoignent fort heureusement que nous sommes sur la bonne voie.
Je demeure convaincu, comme beaucoup de citoyens nigériens, que ces dérapages ne constituent en rien une remise en cause de notre cohésion nationale, de notre tolérance religieuse et de notre pacifisme légendaire, bref de ce qui constitue les déterminants majeurs de notre identité nigérienne.
C’est ce qu’illustre si merveilleusement les manifestations de compassion qui florissent un peu partout à l’endroit des victimes innocentes de l’ignorance. Je demeure aussi convaincu que ces marques d’affection vous prouveront une fois encore que vous êtes nigériens comme nous tous et que ce qui vient de se passer n’est qu’une conjoncture qui est loin d’ébranler notre fierté nationale.
J’en demeure également convaincu, même si je sais que les médias internationaux ne voient que les signes d’une guerre de religion, que notre ambition commune est de consolider la nation nigérienne en cours de construction. En guise de mise au point pour ces médias, il est nécessaire de rappeler qu’ils oublient de prendre en compte que nous sommes dans un pays où chaque citoyen de quelconque confession peut accéder à n’importe quelle fonction et que les nigériens de toutes les confessions se marient entre eux parfois au mépris des recommandations de leur religion comme entre justement musulmans et chrétiens.
Comme le dit à peu près un ami, que je considère comme l’un des observateurs les plus expertisés de la dynamique sociopolitique que connait notre pays, « nous sommes un pays à 98% de musulmans qui cohabitent avec des milliers de chrétiens et de centaine d’autres obédiences, et ça nous convient ! ».
J’y adhère fortement et au travers d’une extrapolation simpliste et intellectuellement paresseuse que je me permets en cette occasion, c’est ma conviction de la définition même de la nation nigérienne.
Comment du reste, pourrais-je cautionner ces actes vandalismes ? Ne serait-ce que pour m’être rendu à maintes fois sur invitation de mes amis ou de mon propre gré dans ces édifices religieux et sans omettre, en toute sincérité, d’ajouter aussi à la liste, ces établissements de plaisance que j’ai l’habitude de fréquenter.
Au demeurant et comme on me l’a justement fait rappeler, je suis journaliste. J’en conviens et si certains de mes propos ou articles ont donné lieu à diverses interprétations, cela procède surement d’un engagement citoyen. Le fait est que je suis nigérien. Je dirais plutôt que ma profession actuelle est celle de journaliste dont l’exercice, pour ce qui concerne certains dossiers, peut donner parfois lieu à diluer la dose d’objectivité qu’on attend des hommes de la presse. En toute honnêteté, je n’avais aucune intention d’y déroger. Ni hier, ni aujourd’hui et je fais tout pour que ça soit pas demain. Je ne me suis jamais senti dans un tel cas de figure durant cette affaire. J’ai essayé au mieux de rapporter les faits et de les analyser à l’aune du discours politique ambiant dans le sens de témoigner de la dynamique sociopolitique en cours dans mon pays. Rien de plus !
Mon analyse de la situation peut-elle prêter à confusion ?
Assurément en fonction des angles. C’est pour cette raison que je n’ai pas tenu à céder à la polémique. J’ai préféré donner du temps au temps afin que les choses se calment et que les esprits s’apaisent d’autant plus que ça aussi, c’était prévisible. La haine et l’intolérance n’ayant jamais été l’ADN des nigériens en dépit de leurs différences et par rapport à beaucoup d’aspects.
Je m’excuse pour ceux qui se sont sentis offensés, ce n’était en aucun cas mon objectif et honnêtement j’y avais même pas songé un seul instant. Je remarque fort heureusement que je ne suis pas le seul nigérien dans ce cas, à se sentir désolé par ces actes. J’ai jugé ces dérapages plutôt comme une conséquence du système de gouvernance dans notre pays depuis des années et où l’opinion et la sensibilité des nigériens n’a jamais été prise en compte.
C’est pourquoi j’ai estimé que le Président aurait dû mieux prendre en compte ce facteur relatif à la sensibilité religieuse des nigériens et aux conséquences que sa décision politique pourrait provoquer dans son pays. Sur ce point et au vue des faits dont certains sont véritablement à regretter et que nous regrettons tous ensemble aujourd’hui, j’avais vu juste. En toute modestie !
C’est ce que je me suis mis comme objectif de prouver et peut-être j’en ai abusé. Ce que j’en n’avais apparemment pas prit conscience.
Je remercie tous ceux qui ont tenu, même blessé en interprétant à tort ma position, à me faire part de leur déception et à qui j’adresse cette mise au point. Au demeurant, en tenant à attirer mon attention, vous m’avez plus que jamais convaincu que je comptais pour vous.
Et c’est réciproque, soyez-en sur !
C’est ça le Niger, notre Niger avec lequel on va falloir faire pour le moment. Le reste n’est que conjoncture du moment. En attendant de meilleurs lendemains qui constituent notre idéal à tous et à toutes !
Aboubacar Yacouba Barma
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