LUTTE CONTRE LA POLIOMYÉLITE : des acteurs se déploient sur le terrain pour éradiquer l’épidémie
Le Ministère de la santé publique, en collaboration avec plusieurs partenaires notamment l’Unicef, a lancé 13 au 16 juin 2019 dernier la campagne nationale de vaccination contre la poliomyélite couplée à la supplémentation en vitamine A et au déparasitage.
Une campagne possible grâce aux financements des fondations Billes Gates et La Fondation l’Occitane. Ainsi, l’Etat nigérien a fait de sa priorité l’amélioration du système sanitaire. Pour ce faire, le gouvernement du Niger a décidé de lutter notamment contre des épidémies comme la poliomyélite qui a refait surface dans certaines parties du pays. Le Niger a en effet, souscrit à la résolution de l’Assemblée Mondiale de la Santé de 1988 relative à l’éradication de la poliomyélite, et dans cette perspective, le pays met en œuvre depuis 1997, les différentes stratégies dont celle de l’organisation des Activités de Vaccination Supplémentaires (AVS) contre la polio, une malade handicapante. Les journées nationales de vaccination contre la polio, de supplémentation en vitamine A et de déparasitage à l’Albendazole, se déroulent à travers la stratégie dite de « porte à porte », autant de fois que nécessaire, pour vacciner, donner la vitamine A et l’Albendazole à tous les enfants âgés de 0 à 5 ans. En amont du lancement de la campagne, les autorités avec le soutien des partenaires notamment l’UNICEF, ont mené des campagnes de sensibilisation et de mobilisation de la population.
Les acteurs investissent le terrain
Dans la région de Diffa, les communautés ont engagé la lutte contre l’épidémie. Comme ici, dans la commune de Kablewa située à une centaine de km de la ville de Diffa, ce 11 juin 2019, des personnes formées à la sensibilisation sur la poliomyélite se livrent aux médias. Au niveau du CSI Kablewa, un homme, Elhadji Abba Oumar, relais communautaire transfrontalier de Kolomanga explique sa mission. « Je sensibilise dans quatre villages situés dans les aires de santé du District Sanitaire de Kabléwa. Avant mon arrivée dans un village j’informe le chef de village», a-t-il d’emblée expliqué. Son travail consiste à sensibiliser et à vacciner les enfants. Parfois, il faut faire appel à ses qualités de communicant pour convaincre les parents, souvent réticents. «Dans mon travail de relais, parfois nous ne trouvons pas les enfants dans les foyers à vacciner dans le cas d’espèce nous revenons pour rencontrer les enfants. Le message que nous transmettons aux parents, c’est de laisser faire vacciner leurs enfants Depuis que j’ai commencé je n’ai pas rencontré de cas des refus», a-t-il fait savoir. Ce travail nécessite des moyens de déplacement rapides pour parcourir tous les villages ciblés. Mais parfois, les moyens font défaut. « C’est à cheval et parfois à pied que je parcours les 4 villages que je couvre», révèle notre interlocuteur. Pour autant, il ne se laisse pas gagner par le découragement. « Ça fait deux ans que j’exerce ce travail de relais et j’ai vu les avantages de ce travail car depuis que j’ai commencé, aucun enfant n’a contracté la polio. La situation sécuritaire ne m’empêche pas de continuer mon travail de relais communautaire», assure-t-il.
Elhadji Abba Oumar, relais communautaire transfrontalier de Kolomanga
Pour sa part, Kellou Adam, femme relais du village frontalier de Abadam dans l’aire sanitaire du CSI de Kabléwa explique jusque dans les détails sa mission. « Dans mon travail de relais, nous pesons les enfants malnutris et nous sensibilisons les femmes en faisant le porte à porte à venir faire des consultations pré et post natales. J’ai commencé ce travail de relais au Nigeria. En cette veille de la campagne de vaccination, je sensibilise les populations de trois (3) à quatre (4) villages que je couvre à savoir N’Galewa, Kabléwa et Baréyère» a indiqué Kellou Adam. La quinqua se dit «confronté à aucun problème depuis 5 ans que j’exerce ce travail ici au Niger.» Kellou Adam exhorte même ses camarades femmes à devenir des relais communautaires. «Maintenant que nous sommes revenus dans notre pays d’origine, je fais ce travail pour rendre service à mon pays et je peux attirer d’autres femmes qui vont m’emboiter le pas», a-t-elle appelé.
Kellou Adam
La radio, le meilleur relais
Dans cette commune de Keblewa, il y a un meilleur relais, celui qui touche tout le monde en même temps : la radio. La radio communautaire Manbio FM de Kablewa participe grandement à cette campagne de sensibilisation. « La radio Manbio contribue beaucoup à l’amélioration de la santé des populations surtout en ce qui concerne la polio. Elle nous a motivés à nous engager dans ce combat depuis la création sa radio en 2002. Il n’y a pas une année où la radio n’a pas accompagné les agents de santé dans la sensibilisation des populations», a déclaré Abba Wassini directeur technique de la radio. Selon lui, il s’agit «d’expliquer aux populations que la polio est une réalité et que le vaccin n’a aucun inconvénient sur les enfants ; c’est ça le message que nous passons.» Abba Wassini est satisfait du travail accompli par la radio communautaire. «Le feedback des auditeurs que nous recevons nous prouve que le message passe bien. Notre radio a reçu plusieurs témoignages de satisfaction dont le dernier nous a été décerné par le studio Kalangou et aussi la mairie de Kablewa. Nous avons beaucoup travaillé avec l’Unicef surtout sur les questions de l’éducation. L’Unicef nous forme et nous diffusons aussi des messages que l’Unicef pour la diffusion», s’est-il réjouit.
Abba Wassini, directeur technique de la radio communanutaire Manbio FM
Quand les populations refusent de se faire vacciner
Une chose est de trouver le vaccin, mais une autre est de pouvoir l’injecter aux enfants. Mamadou Abba Kiari Kazelma Oumar est Chef de canton de la Komadougou (Geueskerou). Il témoigne : «A Diffa, nous n’avons, à ce jour, pas encore connu de cas de Polio. Mais, il y a un refus de certains de prendre ce vaccin. Nous sommes en train de tout mettre en œuvre dans la sensibilisation pour convaincre les parents à laisser leurs enfants prendre le vaccin», a témoigné le cinquantenaire. Le chef de Canton rejette la faute aux agents de la vaccination. «Ce refus est généralement dû à la mauvaise approche d’agents de vaccination. Souvent, ils n’abordent pas les familles avec la bonne manière, avec la politesse nécessaire. Ce sont des jeunes qui ont une éducation différente», a-t-il dénoncé. Pour faire face à ces cas de refus, il a été mis en place, selon le chef de Canton, « un comité au niveau du district, mais aussi un autre au niveau de ma cour qui est constitué de marabouts, de leaders d’opinion.» «Nous menons des opérations de sensibilisation au niveau de nos communautés aidés par les animateurs relais que le district a mis à notre disposition. Mais nous nous investissons en tant que Chef traditionnel pour la bonne marche de cette campagne», a-t-il assuré. Leur rôle consiste à faire en sorte que les pères de familles soient sensibilisés sur le bien de faire vacciner les enfants. « Nous leur expliquons les dangers liés à la non vaccination des enfants et l’impact sur les autres enfants de la région. Lors des cérémonies de mariage, baptêmes et même de décès, nous faisons des actions de sensibilisation sur l’hygiène, l’assainissement», a-t-il ajouté.
Mamadou Abba Kiari Kazelma Oumar, Chef de canton de Komadougou
Yacouba Warou est le président de la fédération des personnes handicapées, section régionale de Diffa. Ce cinquantenaire préside la fédération depuis huit (8) ans. Il cherche à satisfaire ses membres, mais n’y arrive pas encore. «Nous sommes confrontés au problème des tricycles, car nous n’arrivons pas à doter tous les handicapés de ces moyens de mobilité. Nous lançons des appels à l’endroit des ONGs telles RESCUE, Humanité Inclusion et UNHCR qui nous viennent en aide. Même ce vélo, que vous voyez ici et que nous avons mis à la disposition de Lawan Boukar, c’est un don d’une ONG pour lui faciliter sa mobilité», a-t-il appelé. Le président de la fédération a eu un atelier grâce à l’appui de la CADEV-Niger. Cependant, à l’occasion de la journée des personnes handicapées édition 2019, l’ONG internationale RESCUE a mis à notre dispositions 73 tricycles et plus de 200 béquilles que nous avons d’ailleurs tout distribués. «Actuellement, nous ne disposons même pas d’un seul tricycle, encore moins une béquille, malgré la forte demande», a-t-il témoigné.
Le président de la fédération se félicite des efforts faits par l’Etat pour intégrer les handicapés. « l’Etat s’est pleinement impliqué pour une inclusion des personnes handicapées dans tout ce qu’on va faire ; que ça soit au niveau des écoles ou des centres de santé, en construisant des infrastructures. Il faut tenir compte des personnes handicapées. Même au niveau de l’intégration à la fonction publique, les personnes handicapées disposent d’un quota, qui est de 5%», a-t-il témoigné. Malgré toutes ces dispositions, selon le président de la fédération, « il y a encore des personnes qui ne connaissent pas que les handicapées ont des droits, donc il faut multiplier la sensibilisation. » Mais l’Unicef les appuie en mettant à leur disposition dans les centres de santé des vaccins pour prévenir la polio.
Les damnés de la société
Si au niveau de l’Etat des dispositions ont été prises pour éviter toute discrimination, au sein de la société, les victimes de la polio souffrent dans leur chaire. «Ce qui nous fait le plus mal, en tant que victimes de la polio, c’est que nous ne pouvons même pas aider nos parents sur tous les plans. Au sein de la société, imaginez une fois que nous demandons la main d’une fille pour le mariage, les parents nous demandent, si c’est pour nous-mêmes que nous sommes venus ou si nous avons été envoyés par quelqu’un. Bien que nous puissions mieux prendre leur fille en charge, il est difficile que les parents nous accordent les mains de leurs filles», a dénoncé le président des 17. 016 membres de la fédération. De quoi interpeller les autorités étatiques. «Nous lançons un appel aux autorités et aux partenaires techniques et financiers de créer les conditions qui vont nous permettre de sillonner les villages et villes, nous les victimes de la polio pour sensibiliser les parents, car il n y a pas meilleurs témoignages que le nôtre, nous les victimes de la polio», a crié le président.
Yacouba Warou, président de la fédération des personnes handicapées, section régionale de Diffa
Face au refus de certains parents de faire vacciner leurs enfants, le président « lance un appel à la population de la région de Diffa pour faire vacciner les enfants car actuellement dans notre fédération, nous comptons 573 personnes handicapées dont l’origine est la polio» pour éviter aux enfants de subir le même sort.
Objectif, vaincre la polio
Le Chef CSI de Kablewa Hama Seydi Lawaly n’a pas de doute sur l’atteinte de l’objectif visé : « vaincre la polio.» Parce qu’il a pris le taureau par les cornes. « Nous espérons remporter le combat que nous menons contre la polio sous peu avec le soutien de nos partenaires, du ministère de la santé et la presse car la mobilisation sociale joue un rôle très important dans nos activités de GIRV Polio. Nous organisions déjà des réunions mensuelles qui regroupaient les Chefs de village, les relais, les femmes leaders, les leaders religieux… pour évoquer tout ce qui est lié à la santé de nos communautés», a indiqué Hama Seydi Lawaly. Le patron du CSI de Kablewa fait face à la réticence de certains parents à faire vacciner leurs enfants. « Nous disons aux populations récalcitrantes qu’une seule personne infirme peut mettre tout une famille à genoux, le mieux c’est donc de sauver nos enfants pour leur assurer un bon avenir. Nous venons d’apprendre qu’un cas a été signalé à BOSSO, une localité frontalière. Nous avons mis en place un comité de gestion des cas de refus qui regroupe une conseillère municipale, les présidentes des associations féminines et les représentantes de relais. Quand il s’agit d’homme qui oppose un refus, on envoi les leaders religieux qui vont leur expliquer», a-t-il détaillé. Hama Seydi Lawaly assure que « 13.006 enfants » ont été ciblés lors de la vaccination du 13 juin. Le CSI de Kablewa est dans une zone d’insécurité, mais cela ne freine pas M. Lawaly et son équipe. « Nous sommes dans une zone d’insécurité, nous avons souvent des problèmes liés à l’accès à certains villages. Mais l’Etat met à notre disposition des agents de force de défense qui nous accompagnent lors des périodes de vaccination», a-t-il révélé.
Hama Seydi Lawaly, Chef CSI Kablewa
Abdoul Karim Moumouni, envoyé spécial à Diffa (Actuniger.com)