Pitié pour les bébés volés au Nigéria
Cela fait des semaines que je séchais sur le sujet, ne sachant au juste sous quel angle l’aborder, tellement tout ce qui a rapport à la femme et à son intimité profonde est très délicat. Je me disais qu’une enquête était en cours entre les trois pays par lesquels le trafic s’est opéré pour justifier mon inertie du moment. J’ai eu raison d’attendre.
C’est l’aveu d’une jeune dame qui parlait mardi dernier sur l’émission « Toute une histoire » sur France 2, du long combat qu’elle a mené avec son époux, avant de pouvoir serrer aujourd’hui dans ses bras ce petit garçon qui l’avait rejoint plus tard sur le plateau. Combien de FIV (fécondation in vitro) a-t- il fallu faire avant que l’œuf fécondé n’arrive à son terme ?
Etre prêt à tout, c’est être prêt àsupporter des échecs. Et les échecs dans ce domaine sont si insoutenables qu’il faut avoir du courage, que dis-je une force surhumaine pour supporter ce long parcours physique et psychologique qui conduit une femme à accepter de recommencer, cinq, six, huit, dix fois le FIV sans résultat positif. Comme l’a témoigné l’une d’entre elles : « On ne peut comprendre ce qui se passe quand on n’a jamais perdu un enfant. Quand ça arrive (elle parle des différentes fausses couches survenues lors de sa quête), c’est comme si on a perdu une partie de soi-même ». Ce combat que mènent les femmes, très souvent, met leur couple en péril. Car beaucoup de compagnons ne comprennent pas cette recherche effrénée des femmes à enfanter coûte que coûte. Devant les larmes de sa femme, un monsieur ne déclarait-il pas, le plus simplement du monde : « Arrête de pleurer, on recommencera le FIV ». C’est dire que la plupart des femmes mènent le combat souvent seules. Les femmes s’accrochent à leur couple, à leur rêve, celui d’avoir coûte que coûte un enfant. De dépression en dépression, certaines surnagent les eaux et arrivent à s’en sortir en accouchant. Mais combien sont-elles ? Celles qui sont déclarées stériles, très tôt stériles se font une raison et partent à la recherche d’enfants à adopter. Là aussi ce n’est pas évident. Les lois sur l’adoption se sont corsées, les organismes internationaux ayant découvert un vaste trafic autour de cette affaire, si je peux m’exprimer ainsi. « Depuis l’arrivée de nos deux enfants, nous sommes enfin une famille accomplie », ainsi s’exprime une des participantes de l’émission qui, elle a dû adopter deux petits Thaïlandais (bien que son mari et elle soient Français), lorsque, à 23 ans, elle sut qu’elle était stérile.
Pourquoi les parents nigériens n’ont-ils pas accepté l’adoption?
Parce qu’ils ont le pouvoir et l’argent, m’a répondu une collègue, lorsqu’après le passage de l’information sur RFI je me lamentais sur le sort des dix-sept personnes incarcérées au Niger, après la découverte du trafic odieux dont ils se sont rendus coupables. Des femmes qui ont déjà presque atteint la ménopause et qui, du jour au lendemain, se retrouvent mères de bébés jumeaux que leurs respectables époux, grands fonctionnaires de l’Etat leur aurait achetés comme de vulgaires jouets qu’on peut prendre sur un étalage, et payer à la caisse d’un magasin ! Ceci dépasse l’entendement. L’auraient-ils fait s’ils n’avaient pas les moyens d’offrir un enfant à quatre mille euros à leurs épouses qu’ils aiment tellement, au point de remuer ciel et terre pour leur donner ce qui manque à leur bonheur, j’ai nommé un enfant ?
L’affaires des bébés nigérians est une affaire sociétale qui touche l’éthique de la société nigérienne, du moins celle des « en haut de en haut ». Sans vouloir l’aborder sous l’aspect des guéguerres politiques qui existent entre l’Exécutif et le Législatif au Niger (tous sont concernés d’ailleurs, paraît-il) je ne me pencherai que sur l’aspect humain du problème. Tout le monde sait qu’en Afrique, l’enfant appartient à toute la communauté. Et si le Niger a le taux de fécondité féminin le plus important en Afrique, au moins huit enfants par ménage, quel parent nécessiteux n’offrirait pas une partie de sa progéniture à un parent nanti afin de lui assurer gîte, couvert, avenir radieux par un cursus scolaire garanti. Je dis bien offrir, car ce que veulent ceux-là qui seraient allés dans un coin reculé du Nigéria, c’est acheter des enfants qui leur « appartiennent de la tête au pied », comme ils le voient dans les couples autour d’eux. Sinon comment comprendre qu’ils soient partis de si loin au Niger, pour aller chercher les bébés dans des Etats pas si accessibles que ça au Nigéria ? Juste pour satisfaire leur égo de père et de mère, à qui la nature a refusé de jouir de ce précieux don qu’est l’enfant.
Comment se passe cette affaire de bébés vendus à 4500 euros?
Comme le disait ma défunte mère, originaire d’Abeokuta, «si tu cherches à acheter un homme au Nigéria, tu en trouveras, pourvu que tu aies de quoi payer». Jusque-là, je ne mesurais pas la portée de ses mots. Il a fallu l’histoire des bébés jumeaux nigérians vendus pour comprendre le sens de la boutade maternelle. Mais là, ce n’est point une boutade, ni un roman. C’est une histoire vraie qui a mis tout un pays en émoi ; que dis-je le monde entier. Au Nigéria existe une véritable fabrique de nouveau-nés où des adolescentes de 14 à 24 ans sont enfermées dans un centre et sont à la merci d’un jeune étalon (23 ans) et du gardien du centre qui les mettent en grossesse, leur arrachent leurs bébés à la naissance contre une modique somme de 130 euros. Des bébés qu’ils revendent à 4500 euros. Les voisins croyaient qu’il s’agissait d’orphelinat ou de refuge pour jeunes filles enceintes mises au banc de leur communauté. Or un trafic d’êtres humains avait lieu sous leurs yeux. Une entreprise démoniaque. Sinon comment comprendre que des personnes, utilisant des jeunes gens, mettent sur pied une telle entreprise pour se faire de l’argent. Ceci dépasse l’entendement. Jusqu’où la recherche effrénée d’argent va-t-il nous conduire en ce monde?
L’Etat doit prendre des mesures coercitives
C’est dans l’Etat d’Imo, dans le sud-est du Nigéria, et dans les locaux de la Cross Fondation dans l’Etat d’Abia que ces usines de « fabriques à bébés », ou « usines à bébés » sont implantées. De nombreuses affaires du genre sont, paraît-il actuellement traitées par les tribunaux nigérians. Il s’agit de décourager de tels comportements. Ce grand pays que l’on a classé comme le premier pays africain, sur le plan économique, est aussi l’un des pays au monde où le trafic d’êtres humains est le plus important. C’est dans ce même pays que Boko Haram est allé kidnapper plus de deux cent collégiennes que le leader de la secte veut offrir en pâture à ses hommes. Que sont devenues ces pauvres filles dont les mères ont perdu le goût de vivre, à force de ressasser le sort fait à leur progéniture ? Un Etat doit être fort. A force de laxisme, Boko Haram a franchi le rubicond. En laissant des individus se comporter comme s’ils vivaient dans un monde à part, disons-le bien, à la cour du roi Pétaud où chacun fait selon sa volonté, des monstres ont organisé un trafic autour de pauvres filles dont les familles sont sans moyens et se sucrent sur leur dos.
Sinon, comment dans un pays aussi grand, aussi peuplé que le Nigéria, où la police est partout, on ne peut s’inquiéter de ces habitats où vivent de très jeunes femmes émaciées et qui enfantent à longueur d’année (ces monstres les alimentent une fois par jour). Comment ne pas s’interroger sur le fait que la police ne soit pas allée s’informer sur ce qui s’y passe ? L’argent a déjà circulé. Et c’est encore l’argent qui a permis que des gens « honorables » paient des bébés, passent leur fabriquer des actes de naissance au Bénin dans une clinique privée paraît-il, avant de les déposer à leurs mères « adoptives » à Niamey. Si l’Etat nigérian jouait son rôle de gardien du temple, protecteur de tous les citoyens de ce pays, on n’en serait pas là. Mais comme ma mère me le disait dans ma jeunesse, « avec l’argent, on peut acheter au Nigéria de la chair humaine ».
Si on le fait chez eux, eh bien, il ne faudrait pas qu’ils nous contaminent avec leurs mœurs, leurs comportements malsains. Dans un pays comme le Nigéria où rien n’est à sa place, il faut que chez nous, je veux parler du Bénin et du Niger, nos dirigeants mettent les points sur les i, et les traits sur les t, à tout citoyen, peu importe son rang social, la place qu’il occupe dans la société. S’il se met en travers de la loi, il devra payer sa forfaiture au prix le plus fort. Car un enfant ne peut être vendu ou acheté comme du « talé talé », du « ata kpo tévi kpo », des beignets d’igname et d’haricots, vendus à la criée. Tous les intermédiaires – ils doivent être assez nombreux du Nigéria au Niger, en passant par la clinique privée qui aurait confectionné les actes de naissance des enfants au Bénin – tous ces intermédiaires doivent être jetés en prison, sans autre forme de procès. « dura lex, sed lex » : la loi est dure, mais c’est la loi. Quand aux parents des bébés, comme je l’ai dit plus haut, il s’agit d’un problème humain qu’il faut traiter avec humanisme.
Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain?
«Yéni kpon vi, bo kpon ba » Il s’agit d’observer le bâton avec lequel on veut redresser l’enfant. Faut-il jeter le bébé avec le bain? Quel tort ne ferait-on pas à ces enfants en les renvoyant dans leur pays, auprès de jeunes mères qui trouvent à peine de quoi manger au quotidien. Ces enfants qui ont été accueillis dans des demeures princières dit-on (il s’agit de ministres, d’ un président d’institution… etc) devront retourner vivre dans les fanges des bas quartiers des villes et villages d’Imo et d’Abia, au Nigéria. Quel crime ces pauvres bouts d’ chou ont commis pour connaître un tel sort. Depuis l’éclatement du dossier, les mères croupissent en prison. Des foyers sont disloqués. La loi est dure, certes, mais ce sont les hommes qui font les lois. Et retenons cette phrase de la femme blanche qui a fait couler des larmes à toutes les autres au cours de l’émission citée plus haut (je n’y ai pas échappé moi aussi, bien que j’étais à mille kilomètres du plateau de France 2) : « On est prêt à tout pour avoir un enfant ». C’est dire que le problème d’enfant quand il se pose au nord, au sud, à l’est ou à l’est de notre planète demeure un problème humain. Car il touche l’être humain dans sa chair, dans son âme. Et c’est très douloureux. Si vous avez vécu avec des femmes qui n’ont pas reçu ce don de Dieu, vous comprendrez mon message.
C’est une quête perpétuelle, jusqu’au soir de leur vie. Et c’est pourquoi je demande qu’on aborde la question avec humanisme, pour le bonheur des enfants, pauvres innocents qui n’ont pas demandé à se retrouver au cœur de ce drame cornélien.
Eh oui ! Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain !
Pour finir, au moment où des dizaines d’enfants palestiniens meurent sous les bombes israéliennes, les femmes béninoises se joignent à leurs mères qui hurlent leur douleur. Et je crie ma rage de mère en disant Pitié pour les enfants palestiniens qui n’ont rien à voir avec les missiles du Hamas ! Pauvres innocents ! Des anges qui n’ont pas choisi de naître dans cette partie du monde pareille à un volcan en perpétuelle ébullition. Pitié pour les enfants palestiniens qui n’ont pas choisi de naître dans la bande de Gaza ! Pitié ! Pitié ! Pitié pour nos enfants!
Adélaïde FASSINOU ALLAGBADA
Professeur de Lettres - Ecrivain
On est prêt à tout pour avoir un enfant
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