VERS LA FIN DU RÈGNE DE LA CORRUPTION ET DE L’IMPUNITÉ ? (Par Bachirou AMADOU)
La colère légitime suscitée au sein de l’opinion, par les récents rapports (puisqu’il en existe désormais deux versions) d’inspection au ministère de la défense, mettant en lumière un vaste réseau de détournement de fonds destinés à équiper l’armée, n’a pas semblé, ne serait-ce par humilité, freiner l’élan d’une certaine élite bonimenteuse, constituée en « syndicat de défense du régime », en sommant ceux d’entre nous qui s’indignent, de se départir.
La preuve a été administrée hier soir, par un éditorial de la télévision nationale, spécialement commandé pour la circonstance, dans le but, permettez-moi l’expression, de « noyer le poisson », et faire passer pour des pernicieux, tous ceux des Nigériens qui s’en offusquent. Ils poussent l’outrecuidance jusqu’à menacer ceux qui oseront s’intéresser de près à cette affaire, de poursuites.
Qu’à cela ne tienne ! Le sombre tableau sur la corruption et le scandale sous la Septième République ne changera pas de couleur. Car, durant la décennie qui l’a caractérisé, le régime de la Septième République a été marqué bien souvent par une collusion entre l’argent et la politique comme on peut le constater dans les différents rapports de la Haute autorité à la lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HALCIA), dans les différentes dossiers enregistrés au pôle économique et financier du tribunal de grande instance hors classe de Niamey et dans les différents scandales financiers rapportés par la presse.
C’est un constat factuel, la multiplication et l’ampleur des révélations concernant des affaires de corruption ont profondément terni l’image de ce régime. Et, quand ces affaires touchent des ministres, des institutions aussi importantes que l’armée, la justice, l’éducation, on est en droit de se demander si l’heure n’est pas venue de réhabiliter la fonction politique.
Dans La démocratie en Amérique[1], Alexis Tocqueville désigne d’une manière prophétique, il faut bien l’admettre, deux types de régimes : aristocratiques et démocratiques. Il relève avec précision que : « Dans les gouvernements aristocratiques, les hommes qui arrivent aux affaires sont des gens riches qui ne désirent que du pouvoir. Dans les démocraties, les hommes d’État sont pauvres et ont leur fortune à faire. Il s’ensuit que dans les États aristocratiques, les gouvernants sont peu accessibles à la corruption et n’ont qu’un goût très modéré pour l’argent, tandis que le contraire arrive chez les peuples démocratiques[2]. »
Dans le contexte nigérien, on peut précisément rattacher ce constat aux deux types de régime qui ont caractérisé la gestion du pouvoir : les régimes d’exception et les régimes démocratiques. Là également, le constat est le même, il occulte la corruption des hommes dans les régimes d’exception et accable la démocratie. Au Niger, cette dernière a favorisé la corruption des élites, c’est-à-dire la grande corruption qui se manifeste au sommet. C’est d’autant plus vrai que la forte corruption des élites a été observée peu de temps après l’instauration du régime démocratique.
Il faut donc arrêter cette fourberie et reconnaître une fois pour toute que la corruption est chronique et pathogène dans le système politique et institutionnel de ce pays.
Il faut cesser de présenter ce régime comme un système providentiel, alors que, de très loin, l’aspect dominant de son fonctionnement s’appuie sur des stéréotypes, corrodé par un clanisme congénital.
L’État est approprié par une camarilla d’aventuriers savants et privatisé de sorte que, chaque titulaire d’une parcelle d’autorité publique l’accapare à son profit et à celui de son réseau[3]. La fonction prédatrice des ressources étatiques, poussée par les besoins de constituer des rentes perpétuelles, est devenue leur modus operandi.
Les marchés publics, les entreprises et offices d’État, les aides extérieures, ont constitué une manne pour lubrifier un système patrimonial confortant la légitimation des élites au pouvoir[4]. La fortune, au lieu d’être un objet de blâme est l’attribut du vrai chef. Elle doit donc être visible pour devenir une vertu politique. Il serait, par conséquent inadéquat d’opposer à la corruption le sentiment de « honte » qu’elle ferait naître chez ses pratiquants. Il ne peut pas y avoir condamnation de la part de ceux qui bénéficient des retombées, sauf s’ils pensent que d’autres sont mieux servis[5].
L’idée même d’un audit général est, à leurs yeux, impensable, car à l’évidence, ces nouveaux riches entendent utiliser ce patrimoine pour entretenir le premier cercle afin de s’assurer de disposer de l’influence et de la légitimité nécessaires à leur élection ou, pour les laudateurs, à l’élection du candidat dont ils sont assurés qu’il leur permettra de maintenir à plein régime, un système savamment organisé, qui leur garantira les rentes de l’Etat.
Toute leur stratégie procède d’une logique d’assombrissement afin de freiner la mise en œuvre des programmes d’assainissement et d’en atténuer leurs effets. Pour cela, ils utilisent toute la mécanique institutionnelle leur servant de rempart. Celle-ci procède d’abord, d’un bilan élogieux du programme politique du président, de l’encensement de sa personne et de la glorification de son être. Puis, on rappelle les scandales qui ont eu lieu sous d’autres régimes passés pour légitimer et excuser la forfaiture. Ensuite, on trouve le moyen de discréditer toute forme d’opposition et enfin vient le déchainement médiatique dans la presse écrite et sur les réseaux sociaux pour contrer les éventuels débats publics.
La corruption, remplie dans notre pays, et particulièrement dans ce régime, une fonction utile, notamment dans le cercle du Président, là où l’argent et le pouvoir convergent. A commencer par son domicile, où sont gérées des organisations budgétivores qui échappent à tout contrôle. Ces fondations de bienfaisance des premières dames dont le mode de financement demeure un mystère et leurs comptabilités intrinsèquement occultes. Puis, le cabinet présidentiel, le lieu de toutes les décisions et où les visiteurs charitables y sont reçus et célébrés en grande pompe. Le centre névralgique du pouvoir, où la camarilla qui détient le gouvernail, est impliquée dans tous les scandales. Ce n’est pas étonnant qu’elle soit défavorable à un audit général et hystérique à l’idée d’une enquête judiciaire de l’audit déjà diligenté au ministère de la défense. C’est pourquoi, elle s’arc-boute sur la solution politique, en proposant ce qu’il convient d’appeler désormais l’opération « remboursement contre blanchiment ».
Et, dans leur logique, comme le constate très justement Pierre Jacquemont, « s’enrichir, même de manière illicite, n’est pas perçu comme un mal en soi, en revanche s’enrichir sans partager est considéré comme contraire à l’éthique. Pire, celui qui n’aura pas su saisir l’occasion lorsqu’elle s’est présentée sera suspecté d’avoir “mangé tout seul“ ».
Le régime actuel illustre parfaitement cette situation. Et comme, le Chef de l’Etat est réputé pour ne pas « manger tout-seul », que dis-je, pour sa grande générosité, la peur qu’un autre régime moins généreux accède au pouvoir devient terrifiante, comme l’expliquait, au cours d’une réunion publique, un gouverneur de région, cadre du parti au pouvoir, qu’ils sont prêts à tout pour conserver le pouvoir.
L’impunité doit être combattue. Nous sommes tous unanimes sur la question. Mais, ce combat devient difficile quand celui qui doit réprimer un cas de détournement de fonds publics se révèle en être l’un de ses bénéficiaires. Dans un système où la malversation existe à une certaine échelle, jusqu’où aller en matière de sanction ? Voilà les questions existentielles qui se posent à ce régime et qui l’empêche de lutter contre le fléau que constitue le détournement des deniers publics.
L’absence de volonté politique est si évidente que la rhétorique de la lutte contre la corruption et l’impunité est définie par une doctrine qui leur est propre. C’est pour eux, la manière commode de se débarrasser d’adversaires gênants, davantage que comme manifestant une sincère volonté de modifier le système.
Quoi qu’il en soit, il faut bien admettre que les valeurs fondamentales de la démocratie, imprégnées de transparence et de justice sociales ne sont plus aujourd’hui, ce qu’elles étaient hier. C’est cet effondrement de valeurs qui nourrit la méfiance endémique à l’égard du régime et qui explique qu’on ne fait plus confiance « au président et aux ministres » comme le relevait très justement le ministre de la justice devant le parlement à l’occasion des débats sur le projet de loi portant interception des communications émises par voie électronique.
Bachirou AMADOU ADAMOU,
Docteur en droit public.
[1] TOCQUEVILLE A. (de), De la démocratie en Amérique, Paris, Union Général d’Editions, 1963 ( 1835).
[2] Ibid., p. 131.
[3] Voir sur ce sujet Jacquemot, Pierre. « Comprendre la corruption des élites en Afrique subsaharienne », Revue internationale et stratégique, vol. 85, no. 1, 2012, pp. 125-130.
[4] Ibid.
[5] Ibid., voir également Gérard Blondo et Jean-Pierre Olivier de Sardan, État et corruption en Afrique. Une anthropologie comparative des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin, Niger, Sénégal), Paris, Karthala, 2007.
«Avertissement : Les opinions exprimées sont propres à l’auteur qui en assume la pleine portée »
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