Maradi : quand l'eau, les greniers communautaires et l'éducation des filles transforment le Sahel [Reportage]
Sous une pluie fine qui rafraîchit l’air de Maradi, une révolution silencieuse s’opère, portée par l’action conjointe de l’État du Niger et de ses partenaires internationaux. Dans le département de Mayahi, à Gamouza, l’eau jaillit enfin des bornes-fontaines, transformant le quotidien des habitants. Plus loin, à Guidan Gamao Karama, les greniers communautaires assurent désormais la sécurité alimentaire. Dans les écoles, les filles poursuivent leurs études grâce à des bourses qui transforment leur avenir. Reportage au cœur d’une transformation sahélienne, appuyée par l’UNICEF et le PAM, avec le financement du BMZ, et intégrée aux politiques publiques de l’État nigérien.
À 15 km de Mayahi, l’aube se lève sur les toits de tôle ondulée du village de Gamouza. Sous les gouttes légères qui glissent sur le sol rouge, Salamou Abdou, 20 ans, s’avance vers la borne-fontaine, son bidon bleu posé sur la tête, un bébé accroché au dos. Un geste simple, quotidien, mais qui cache une véritable révolution. « Avant, obtenir de l’eau était un véritable calvaire », confie-t-elle en regardant le fontainier ouvrir le robinet d’où jaillit un jet d’eau cristalline. « Il fallait marcher au moins 30 minutes pour atteindre le puits, et parfois, nous ne ramenions que du sable ».
Quelques kilomètres plus loin, à Guidan Gamao Karama, Ousmane Ibrahim veille sur un autre trésor : la banque céréalière communautaire. « Nous avons démarré avec 5 sacs de mil. Aujourd'hui, notre caisse contient 430 000 F CFA », raconte-t-il. Dans les écoles alentour, des jeunes filles comme Oubeida, 12 ans, bénéficient de bourses scolaires qui changent leur quotidien.
Cette dynamique multiforme illustre le partenariat SaRES, une initiative ambitieuse financée par le BMZ et mise en œuvre par l’UNICEF et le PAM en appui aux efforts de l’État du Niger. Un modèle de résilience qui montre qu’au Sahel, l’eau potable, la sécurité alimentaire et l’éducation peuvent ensemble écrire un nouvel avenir pour des milliers de familles.
L’eau, source de vie retrouvée
Sous une pluie fine qui rafraîchit l’air de Maradi, les femmes de Gamouza avancent lentement, les bidons jaunes posés sur la tête, certaines avec leurs bébés accrochés au dos. En quelques minutes seulement, elles remplissent leurs récipients à la borne fontaine flambant neuve. Finies les longues marches vers les puits incertains : l’eau jaillit désormais, claire et fraîche, à deux pas de leurs maisons. Dans leurs regards se mêlent fatigue et soulagement, mais aussi l’espoir d’un quotidien transformé pour toute la communauté et les six villages voisins.
Réalisée en décembre 2023 pour un coût de 131 500 000 francs CFA, la mini-adduction d’eau potable multi-villages de Gamouza est l’un des joyaux du programme financé par le BMZ (Allemagne) et mis en œuvre par l’UNICEF. L’infrastructure dessert désormais plus de 5 000 habitants, à travers 13 bornes fontaines et 5 branchements sociaux raccordés à quatre écoles et un centre de santé.
Ibrahim Mamane, chef de la division infrastructure hydraulique de Maradi, détaille avec fierté : « Cette mini-AEP dispose d’un réservoir surélevé de 50 mètres cubes, installé à 10 mètres de hauteur pour assurer une pression optimale. L’eau provient d’un forage de 150 mètres de profondeur, capable de fournir 25 m³ par heure, alimenté par un champ solaire de 15 900 watts et une pompe immergée de 7,5 Kw. »
Derrière ces données techniques se cache un changement de vie concret. Salamou Abdou, 20 ans, témoigne : « Avant, nous mettions parfois deux heures pour revenir avec un récipient, et souvent, le puits était vide. Aujourd’hui, en quelques minutes, l’eau est là : propre, saine, de bonne qualité. Les maladies liées à l’eau ont presque disparu ».
Une gestion communautaire exemplaire
La réussite de Gamouza ne repose pas seulement sur la technologie, mais aussi sur une organisation locale solide. Un comité de gestion de cinq membres, formé par la commune et la direction départementale de l’hydraulique, supervise l’infrastructure. Le fonctionnement a été confié à un opérateur privé, sélectionné par appel d’offres.
L’équilibre financier est garanti : chaque mètre cube d’eau est facturé 400 francs CFA – dont 250 francs pour l’opérateur et 150 francs pour la commune. Sur cette part, 100 francs alimentent un Fonds de Renouvellement et d’Extension, destiné à l’entretien et au développement du système.
Magagi Adamou, président du comité de gestion du centre de santé, se souvient des difficultés d’avant : « Marcher sous le soleil jusqu’au puits, tamiser l’eau, la faire bouillir, puis la filtrer à nouveau… Cela prenait des heures et épuisait tout le monde. Aujourd’hui, l’eau est disponible en permanence au centre de santé. C’est une révolution pour la communauté. »
Quand l’eau ouvre les portes de l’école
Les effets de l’eau dépassent la santé : ils touchent aussi l’éducation. En cette période de vacances, les écoles sont silencieuses, mais dans les villages, l’eau continue de transformer la vie des habitants.
Nana Fa Iza Moussa, 12 ans, élève de CM2, raconte avec un sourire : « Avant qu’il y ait des robinets dans le village, il fallait que je me lève à l’aube pour aller chercher de l’eau au puits. Le chemin était long, épuisant, et je finissais souvent par arriver en retard à l’école. Aujourd’hui, avec la nouvelle borne fontaine, je ramène l’eau en quelques minutes seulement. Je peux partir à l’école à l’heure et, pendant les cours, plus besoin d’attendre la récréation pour boire : l’eau est là, à portée de main. Nos journées sont beaucoup plus faciles. »
Pour le chef du village, Souleymane Ousmane Bouda, l’impact est historique : « La borne fontaine a apporté un changement énorme dans notre village. Avant, nous partagions l’eau avec nos animaux et plusieurs ménages passaient des nuits sans une seule goutte d’eau stockée à la maison. Il fallait que les propriétaires d’animaux désaltèrent d’abord leurs troupeaux avant que nos femmes puissent puiser de l’eau. Aujourd’hui, grâce au forage, nous avons de l’eau en permanence et ce problème est résolu. »
Il ajoute : « Nous avions formulé plusieurs demandes et un jour, nous avons appris que la borne serait installée. C’est l’UNICEF qui a financé et construit ce système, et ici, tout le monde, grand comme petit, connaît l’UNICEF. Les femmes sont particulièrement soulagées des corvées d’eau, et l’eau que nous consommons est désormais propre et sûre, ce qui a réduit les dépenses liées aux maladies provoquées par l’eau non potable. Nos relations avec le comité de gestion sont bonnes : ils nous expliquent les activités à mener et comment gérer le forage. Nous remercions l’UNICEF pour ce travail remarquable et l’État, qui collabore avec les partenaires techniques et financiers pour venir en aide aux populations. Nous espérons qu’un jour, les robinets seront installés directement dans nos concessions. »
Gamouza n’est pas un cas isolé. Depuis 2020, grâce au financement du BMZ, 27 systèmes d’adduction d’eau potable ont été réalisés, dont 24 mini-AEP multi-villages, raccordant 126 808 personnes dans 159 villages. L’accès direct à l’eau potable profite désormais à 102 écoles et 13 centres de santé dans les communes de Kornaka, Mayahi et Guidan Amoumoune.
Ces chiffres traduisent une ambition : transformer durablement l’accès à l’eau dans les zones rurales du Niger et renforcer la résilience des communautés. À Gamouza, l’eau n’est plus une quête épuisante, mais une ressource disponible, gérée collectivement et durablement. Chaque goutte puisée raconte une histoire de dignité retrouvée.
Le soutien du BMZ, conjugué à l’action de l’UNICEF et de ses partenaires, montre qu’un puits peut être bien plus qu’un forage : un levier pour la santé, l’éducation, la solidarité et l’espoir.
La banque céréalière : un filet de sécurité pour Gamouza
Située à une vingtaine de kilomètres de Mayahi, la banque céréalière de Guidan Gamao Karama, créée en 2022 grâce aux cotisations de 85 membres et complétée par un champ communautaire d’un hectare, est devenue un véritable filet de sécurité alimentaire pour le village.
Ousmane Ibrahim, responsable de la banque, raconte : « Nous avons démarré en 2022 avec les cotisations des 85 membres, chacun donnant 1 000 F, pour constituer le premier stock. À l’époque, nous avions seulement 5 sacs de 100 kg. En 2023, nous avons pu acheter 17 sacs, puis 24 sacs en 2024. Aujourd’hui, notre caisse contient 430 000 F. »
Le fonctionnement de la banque révèle une sophistication remarquable : « Nous vendons la mesure de mil à 750 F, alors qu’elle se vend entre 800 et 850 F sur le marché ». Cette différence représente un soulagement considérable pour les ménages vulnérables.
Nana Amadou témoigne : « Avant, nous ne pouvions même pas nous permettre d’acheter du mil. Une seule mesure coûtait jusqu’à 1 000 F au marché. Aujourd’hui, avec 2 000 F, j’achète presque trois mesures. Ce projet a vraiment transformé nos habitudes : nous pouvons nourrir nos familles sans difficultés financières. »
Les ventes sont organisées stratégiquement : au début des pluies, après le premier labour, et en cours de campagne pour maintenir la main-d’œuvre locale. Cette approche évite l’exode rural massif caractéristique de la période de soudure et préserve la force de travail nécessaire aux activités agricoles.
Chaque sac vendu, chaque mesure distribuée raconte l’histoire d’une communauté qui gagne en autonomie et en sécurité alimentaire. Grâce à l’engagement des habitants et à la coordination des membres du comité, la banque céréalière est bien plus qu’un stock de grains : c’est un levier de résilience pour tout le village.
L’éducation comme levier de transformation
Dans le village, l’éducation, et particulièrement celle des filles, bénéficie d’un programme intégré PAM-UNICEF. Le PAM fournit des bourses scolaires et des cantines, tandis que l’UNICEF complète par des kits scolaires et le raccordement des écoles aux bornes-fontaines.
Les chiffres sont parlants : 33 élèves reçoivent des bourses PAM. Pour les 24 élèves du primaire, c’est 8 000 francs par trimestre ; pour les 8 collégiens, 16 000 francs ; et l’unique lycéen reçoit 24 000 francs.
Issaka Elhadji Moussa, père d’Oubeida, élève en classe de CM1, décrit l’impact concret sur le quotidien des familles : « Avant, je devais donner de l’argent pour le petit déjeuner de mes enfants. Aujourd’hui, ils mangent à l’école le matin et à midi, jusqu’à être rassasiés. À la maison, elles prennent juste une boule de mil et se mettent directement à réviser leurs leçons ».
L’effet le plus frappant concerne l’émancipation des filles. « Elles reçoivent aussi une allocation mensuelle de 8 000 F. Avec cet argent, nous achetons des habits, mais aussi des chèvres que nous revendons avant la rentrée scolaire. Cela nous permet de payer les fournitures pour Oubeida et ses frères et sœurs qui n’ont pas de bourse. »
Le père mesure la transformation historique : « Avant, entre 1960 et 2000, une seule fille du village avait atteint le niveau collège. Aujourd’hui, grâce au PAM, nous comptons entre 30 et 40 collégiennes, certaines candidates au baccalauréat ou en stage dans le secteur de la santé. »
Oubeida, timidement mais avec un sourire radieux, conclut : « Je suis très contente de cet appui et je remercie infiniment le PAM et l’Unicef. »
Chaque chiffre, chaque témoignage, chaque allocation raconte une révolution silencieuse : dans ce village, l’éducation devient un véritable levier de dignité, d’émancipation et d’avenir pour toute une génération.
Maradi : quand PAM et UNICEF redonnent vie à l’eau, aux champs et aux écoles
À Maradi, le programme SaRES, fruit d’une synergie entre le PAM et l’UNICEF, avec le soutien de partenaires tels que CARE et AREN, transforme le quotidien des habitants. Sur les terres de Kornaka, le soleil matinal fait scintiller les demi-lunes pastorales. 310 bénéficiaires travaillent sur 101 hectares, et plus de 1 000 hectares de terres pastorales sont désormais en régénération naturelle assistée. Le souffle du vent dans l’herbe, le clapotis des forages, les gestes précis des exploitants maraîchers racontent l’histoire d’une terre qui reprend vie.
Sur le site maraîcher de 5,2 hectares, un forage produit 40 m³ d’eau par jour, alimentant 168 exploitants, chacun doté d’une parcelle de 160 m² sécurisée. À Guidan Gamao Karama, 115 hectares ont été restaurés, dont 73 hectares cultivés, avec un site maraîcher de 2,5 hectares irrigué par un forage de 533 litres par heure pour 85 exploitants. L’embouche ovine, les ateliers de couture et les hangars à foin ajoutent des couleurs et du mouvement au paysage, complétant cette approche multisectorielle.
Les Foyers d’Apprentissage et de Réhabilitation Nutritionnelle (FARN), également soutenus par cette synergie PAM-UNICEF, donnent vie à l’investissement dans le capital humain. À Guidan Gamao Karama, 338 enfants participent à 4 séances de sensibilisation hebdomadaires. Au niveau régional, 5 867 enfants de 6 à 23 mois reçoivent des produits nutritionnels dans 30 centres de santé intégrés, tandis que 42 villages sont couverts par des relais communautaires formés, relayant l’éducation nutritionnelle jusque dans les foyers.
Enfin, 2 676 ménages, organisés en 33 comités de gestion, sont formés aux techniques agricoles adaptées au climat, à la gestion de l’eau et à l’organisation communautaire. 30 chefs de centres de santé et 140 relais communautaires bénéficient de formations sur le changement comportemental et la diversité alimentaire, transformant profondément la manière dont les familles vivent et mangent.
Des résultats tangibles et multisectoriels
Les résultats sont déjà significatifs et visibles au quotidien. 14 000 élèves dans 52 écoles bénéficient de deux repas quotidiens, tandis que 1 225 filles adolescentes reçoivent des bourses scolaires, favorisant leur accès à l’éducation et leur émancipation. Sur le plan écologique, 262 hectares de terres pastorales ont été restaurés, renforçant la résilience des sols et des communautés.
Le programme soutient également l’économie locale : 6 organisations paysannes préparent des achats pour approvisionner les cantines scolaires, et 4 autres organisations ont été formées à la transformation des produits agricoles. Enfin, 2 147 ménages bénéficient de transferts monétaires, améliorant leur sécurité alimentaire et leurs moyens de subsistance.
La complémentarité entre les acteurs est palpable : l’eau potable dans les écoles (UNICEF) améliore la santé des élèves qui bénéficient des repas (PAM), tandis que les revenus générés par la banque céréalière permettent aux familles d’investir dans l’éducation. Les femmes, libérées de la corvée d’eau, se concentrent sur les activités génératrices de revenus, et les 3 cantines scolaires deviennent de véritables circuits économiques locaux.
Un modèle de résilience sahélienne
À Gamouza, les bornes-fontaines résonnent du rire des enfants. À Guidan Gamao Karama, les sacs de mil de la banque céréalière s’entassent sous l’œil attentif d’Ousmane Ibrahim. À Kornaka, la terre restaurée retrouve sa couleur fertile et la promesse d’une récolte abondante.
Dans le regard confiant de Salamou Abdou devant sa borne-fontaine, dans le sourire d’Oubeida grâce à sa bourse scolaire, se lit l’espoir d’un Sahel qui change. Ici, l’eau coule, les greniers ne se vident plus, les filles vont à l’école, et les communautés reprennent en main leur destin.
Cette transformation, portée par l’expertise onusienne et le soutien allemand, montre que la solidarité internationale, quand elle s’appuie sur les forces locales, peut véritablement écrire une nouvelle histoire. Un Sahel prospère, éduqué, nourri et en harmonie avec ses écosystèmes se dessine, où chaque goutte d’eau, chaque grain de mil et chaque enfant scolarisé construit l’avenir.
Abdoulkarim, envoyé spcécial (actuniger.com)
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Publié le : mardi 16 septembre 2025
Mots-clés : Ingénierie sociale; Médias; Politique; Société
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Source : Kontre Kulture
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