Islam et protection de l’enfance : des principes bafoués dans les rues de Niamey
Dans les ruelles animées de Niamey, une scène quotidienne interpelle. Des enfants, le regard fatigué, mendient quelques pièces ou de la nourriture auprès des passants, portant sur leurs frêles épaules des responsabilités qui ne devraient pas être les leurs. Ces visages juvéniles, empreints d’innocence, portent pourtant les stigmates d’une enfance dévoyée. Ces jeunes, souvent envoyés dans les écoles coraniques traditionnelles, sont censés recevoir un enseignement religieux et moral conforme aux prescriptions de l’Islam. Mais pour beaucoup, l’apprentissage du Coran s’accompagne d’un lourd tribut : mendicité forcée, travaux domestiques exténuants et privation de leurs droits fondamentaux.
Et pourtant, l’Islam, qui régit la vie de plus de 90 % des Nigériens, accorde une place centrale à la protection de l’enfant. Selon le Coran et la Sunna du Prophète, les enfants ont plus de droits que de devoirs. Leur bien-être, leur éducation et leur sécurité sont des obligations que les adultes doivent garantir. Cependant, la réalité est toute autre : ignorance, pauvreté et traditions ancrées contribuent à torpiller ces droits fondamentaux.
Une jurisprudence mal appliquée
Malam Noura, un prédicateur respecté à Niamey, rappelle avec insistance : « L'Islam défend aux parents et à toute autre personne de négliger l'éducation des enfants. Il interdit également leur exploitation ou leur exposition à des tâches pouvant nuire à leur intégrité physique et mentale ».
Mais sur le terrain, l’application de ces principes est souvent reléguée au second plan. Ces principes sont pourtant trop souvent piétinés. La jurisprudence musulmane est claire : chaque enfant, indépendamment de son sexe, de son ethnie ou de sa nationalité, a droit à un environnement sécurisé. L’Islam préconise des mesures strictes pour prévenir les violences et les abus. Mais dans les faits, nombreux sont ceux qui souffrent en silence, souvent dans des lieux censés leur garantir protection et éducation.
Les écoles coraniques : sanctuaires du savoir ou foyers de souffrance ?
Les écoles coraniques traditionnelles, connues sous le nom de Makaranta, sont censées être des havres d’apprentissage religieux. Mais pour de nombreux enfants, elles deviennent des lieux de privation et d’exploitation. Dans ces établissements, les jeunes talibés sont fréquemment contraints de mendier pour assurer leur subsistance et celle de leur maître. Entre les corvées d’eau, de bois et les tâches domestiques imposées, certains apprenants vivent dans des conditions précaires.
Khalid, 12 ans, pieds nus dans son boubou déchiré, tend une boîte de conserve rouillée aux voitures qui s'arrêtent au feu rouge. Originaire de Madaoua, ce talibé nous décrit son quotidien : « Après l'apprentissage des versets coraniques le matin, je dois mendier pour me nourrir... et pour nourrir mon maître. Tous les mercredis, je dois lui rapporter 100 francs CFA. Si je rentre les mains vides... » Son regard fuyant termine la phrase, évoquant les coups de bâton qui l'attendent.
Des histoires comme celle de Khalid, il en existe des milliers. Heureusement, certains maîtres refusent ce système. Mohamed Bello, qui dirige une école coranique à Koubiya, refuse catégoriquement que ses élèves soient livrés à eux-mêmes : « Je n’accepte jamais qu’un parent me confie son enfant sans prévoir les ressources nécessaires pour sa prise en charge. Un enfant n’a pas à mendier pour survivre ».
Mais selon Malam Jamilou, marabout et responsable d’une autre Makaranta, la situation est plus complexe : « La société nous accuse, mais la faute revient surtout aux parents. Ils nous laissent leurs enfants sans aucun soutien matériel. Que sommes-nous censés faire ? Nous n’avons pas d’autre choix que de leur demander de chercher leur propre nourriture ».
Ces propos révèlent une réalité plus large : la protection de l’enfance est une responsabilité collective, impliquant non seulement les éducateurs religieux, mais aussi les familles et l’État.
Une protection sacrée et universelle
L’Islam ne se contente pas de prescrire la protection des enfants, il érige leur bien-être en devoir religieux. Un hadith rapporté par Muslim illustre cette sacralité : « L’enfant est le fruit du cœur de l’homme, et à ce titre, il doit être protégé ». Un hadith rapporté par Muslim illustre cet attachement du Prophète aux enfants : « Lorsque l’enfant d’un serviteur de Dieu meurt, Dieu dit à ses anges : ‘Avez-vous recueilli l’enfant de mon serviteur ? […] Vous êtes-vous saisis du fruit de son cœur ?’ ».
Dans le Coran, les enfants sont associés à des "choses excellentes". Il n’existe pas de distinction entre filles et garçons : ils doivent être traités avec équité et dignité. Le Prophète Mohamed (PSSL) prônait une attention et une tendresse infinies envers les enfants. Il est rapporté qu’un jour, alors qu’il priait, son petit-fils Hassan monta sur son dos. Plutôt que de le repousser, il prolongea sa prosternation par amour et respect pour l’enfant.
Loin de se limiter à de simples recommandations, l’Islam érige la protection de l’enfant en devoir religieux absolu, engageant à la fois les parents, la communauté et l’État. Le Prophète Mohamed (PSSL), à travers ses paroles et ses actes, a démontré un attachement profond à l’enfance, faisant du bien-être des plus jeunes une priorité morale et spirituelle.
Un hadith rapporté par Muslim illustre cette sacralité : « L’enfant est le fruit du cœur de l’homme, et à ce titre, il doit être protégé ». Cette image forte traduit la place centrale qu’occupe l’enfant dans l’Islam : un être précieux, dont la protection est un impératif divin. Un autre hadith souligne cette même sensibilité prophétique : « Lorsque l’enfant d’un serviteur de Dieu meurt, Dieu dit à ses anges : ‘Avez-vous recueilli l’enfant de mon serviteur ? […] Vous êtes-vous saisis du fruit de son cœur ?’ »
L’Islam ne se contente pas d’exhorter à la tendresse envers l’enfant ; il fixe également des obligations claires quant à sa prise en charge. Le Coran établit que « Il revient au père de l’enfant de pourvoir à sa prise en charge selon le bon usage ». Mais au-delà de cette responsabilité paternelle, il précise que « la retenue, le lit et le giron de la mère sont meilleurs que le père pour l’enfant, jusqu’à ce qu’il grandisse et choisisse par lui-même. »
Autrement dit, l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur toute autre considération. Si le père est défaillant ou absent, la charge revient à l’enfant lui-même s’il en est capable, sinon à sa mère, puis à la communauté musulmane et, en dernier recours, à l’État. Cette solidarité est rappelée dans le Coran : « Les croyants sont des frères ». Il incombe donc à l’ensemble de la société de garantir la protection et le respect des droits de chaque enfant, sans distinction.
Le Prophète (PSSL) a, lui aussi, insisté sur cette responsabilité collective en déclarant : « Vous êtes tous responsables ». Et la responsabilité, ce n’est pas seulement veiller à l’éducation et à la subsistance des enfants, c’est aussi adopter des comportements qui ne les exposent pas au danger. Il a ainsi affirmé : « Celui qui voit un mal, doit le modifier. S’il ne peut pas, il doit le condamner. Sinon, il doit le rejeter en son for intérieur, et c'est le minimum qu'il puisse faire ».
En somme, l’Islam place l’enfant au centre de ses préoccupations et appelle chacun—parents, éducateurs, autorités religieuses et société dans son ensemble—à agir pour son bien-être. Toute négligence ou maltraitance constitue une injustice dont chaque individu devra rendre compte devant Dieu.
Quand les parents oublient leurs devoirs islamiques envers leurs enfants
Malgré ces enseignements empreints de sagesse, de nombreux parents nigériens semblent se désengager de leur responsabilité envers leurs enfants. Dans les rues de Niamey, nous croisons Mahamadou, un enfant d’une dizaine d’années qui nettoie les pare-brises des voitures au milieu de la circulation. « Mes parents vivent avec moi, mais je dois me débrouiller seul. Ce travail me permet d’avoir un peu d’argent pour manger ».
Un constat alarmant qui rappelle l’importance de sensibiliser les familles sur leurs devoirs religieux et moraux. L’Islam est clair sur ce point : c’est aux parents d’assurer le bien-être de leurs enfants jusqu’à leur majorité.
Face à ces constats, que faire ? les marabouts sont appelés à intensifier les prêches sur les droits et les devoirs des enfants. Trop souvent, ces sujets sont éclipsés dans les discours religieux. Pourtant, le mois de Ramadan est l’occasion idéale pour rappeler aux musulmans leurs obligations.
Lorsque les parents démissionnent, il revient donc à la communauté musulmane et, en dernier recours, à l’État, d’assurer la protection des enfants. Un principe qui devrait encourager la mise en place de politiques plus strictes pour encadrer les écoles coraniques et combattre les abus. En d’autres termes, la protection des enfants ne repose pas uniquement sur les épaules des parents ou des marabouts, mais sur l’ensemble de la société. Si la famille est la première responsable, la communauté et l’État ont aussi un rôle crucial à jouer.
Vers un changement de mentalités ?
L’Islam offre aux enfants un statut sacré, leur garantissant amour, protection et éducation. Mais ces principes sont trop souvent sacrifiés sur l’autel des réalités économiques et sociales. Entre écoles coraniques livrant leurs élèves à la mendicité et parents se déchargeant de leurs responsabilités, les enfants nigériens continuent de subir un quotidien en contradiction avec les enseignements du Coran.
Un changement de mentalités est indispensable. Marabouts, parents, autorités religieuses et État doivent unir leurs efforts pour que chaque enfant puisse grandir dans la dignité et la sécurité, conformément aux valeurs de l’Islam. Car comme le dit le Prophète (que la prière d'Allah et Son salut soient sur lui) : « Il suffit à l'homme comme péché de délaisser ceux qu'il a sous sa responsabilité ».
Par Moussa Ibrahim (actuniger.com)
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