Hakin Yara : Innovations technologiques et mobilisation communautaire pour un meilleur enregistrement des naissances au Niger
Le Niger a lancé le 28 juin 2024 une campagne ambitieuse dénommée « HAKIN YARA » visant à améliorer l’enregistrement des naissances à travers des innovations technologiques et une forte mobilisation communautaire. La digitalisation des centres d'état civil, grâce à l'introduction de logiciels modernes comme le RNEC et l'application web INCI, a permis de rendre le processus plus rapide et sécurisé, réduisant ainsi les erreurs administratives. En parallèle, les chefs de village et leaders locaux sont au cœur des stratégies de sensibilisation, jouant un rôle clé dans la mobilisation des familles, notamment dans les zones rurales, pour garantir que chaque enfant soit enregistré à temps.
L'enregistrement des faits d'état civil, en particulier des naissances, est une priorité nationale au Niger. Pourtant, avant 2024, une large partie de la population, notamment en milieu rural, demeurait en dehors de ce système essentiel, privant de nombreux enfants de leur droit à une identité légale. En 2023, seulement 62,86 % des naissances étaient enregistrées, un chiffre inquiétant pour un pays où l'accès aux services publics est étroitement lié à l'obtention d'actes d'état civil. Face à ce constat, le gouvernement, soutenu par l'Unicef et la DGEC, a lancé la campagne Hakin Yara, avec pour objectif d'enregistrer plus d'un million d'enfants de moins d'un an d'ici fin 2024. La campagne Hakin Yara, lancée le 28 juin 2024 représente une réponse proactive aux défis d'enregistrement des naissances dans le pays. Elle vise l’objectif ambitieux de 87 % de taux d’enregistrement d'ici la fin de 2024 afin de garantir que chaque enfant bénéficie de son droit fondamental à une identité juridique, conformément à l'objectif 16.9 des Objectifs de Développement Durable (ODD) : « garantir à tous une identité juridique, notamment grâce à l’enregistrement des naissances ». Financée par l'Union européenne et soutenue par l'UNICEF, cette initiative constitue un levier essentiel pour renforcer l'accès aux actes d'état civil et améliorer la planification des politiques publiques.
Innovation technologique : digitalisation et modernisation du système d'état civil
La modernisation des centres d’enregistrement est un autre aspect clé de la campagne. Les communes équipées de matériel numérique voient leurs processus considérablement accélérés. En 2024, le Niger a franchi un cap important : 100 communes réparties dans les 8 régions du pays ont été équipées en outils numériques, rendant l'enregistrement des naissances plus simple et plus rapide. À ce jour, plus de 13 913 centres de déclaration, couvrant les villages et formations sanitaires, sont en activité, permettant un suivi rigoureux des naissances, mariages, décès et autres événements d’état civil.
L’introduction de technologies modernes a transformé la manière dont les données de l’état civil sont enregistrées et gérées. Le Registre National de l’État Civil (RNEC) est au cœur de ce système. Le Registre National de l’État Civil (RNEC), récemment créé, synchronise en temps réel les informations issues des communes, missions diplomatiques et consulats, facilitant ainsi l'accès à des données fiables. L'application web INCI, accessible depuis n'importe quel point connecté à Internet, permet aux agents d'état civil d'effectuer des enregistrements sécurisés. Cette transformation numérique a non seulement renforcé la sécurisation des données, mais aussi accéléré les processus administratifs.
Grâce à l'appui des partenaires comme UNICEF, plusieurs centres de déclaration d’état civil ont été équipés en matériels informatiques et logiciels spécialisés, dont le logiciel de gestion INTI. Cette digitalisation a rendu les services d'état civil plus efficaces, avec des résultats visibles et vérifiables sur le terrain.
Le Registre National de l’État Civil (RNEC), véritable innovation, permet de synchroniser les registres informatisés de toutes les communes, missions diplomatiques et consulats du Niger ainsi que des bases militaires à l'étranger. L’application web INCI, quant à elle, garantit un accès sécurisé à ces registres depuis n’importe quel point connecté à Internet. Ces innovations facilitent les démarches administratives, tant pour les citoyens que pour l’administration, et renforcent la gestion des données.
En 2024, 100 centres d’enregistrement ont été modernisés à travers le pays. Cette modernisation a inclus l’informatisation des centres, l’installation d’équipements modernes et la formation des agents à l’utilisation des nouveaux outils. Les centres équipés bénéficient désormais d’ordinateurs, routeurs, imprimantes et autres périphériques qui automatisent plusieurs tâches, rendant les services plus rapides et efficaces.
Les agents des services d’état civil rapportent une amélioration significative de leurs conditions de travail. La digitalisation a non seulement réduit les erreurs administratives, mais a également optimisé la gestion des flux de travail. Pour les citoyens, la délivrance des documents d’état civil est désormais plus simple et les délais d'attente ont considérablement diminué.
Mohamadou Idrissa Siddikou, Chef de service de l’état civil de la commune 2 de Niamey témoigne : « La migration du système manuel vers le numérique nous a réellement facilité le travail. Nous devons maintenant intensifier la sensibilisation auprès des citoyens pour qu’ils adoptent ce système moderne. La réticence envers les services publics persiste encore ».
Mobilisation communautaire : des leaders au premier plan
Les chefs de village et les leaders locaux jouent un rôle central dans la sensibilisation des populations à l'importance de l'enregistrement des naissances. La sensibilisation, un élément crucial pour l’adoption des nouveaux outils, est largement soutenue par les leaders communautaires, comme l'explique Idrissa Abouba, chef de village et imam de Tabla, un village situé à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Niamey : « Grâce à nos efforts de sensibilisation, toutes les femmes enceintes de notre village se rendent à l’hôpital pour accoucher, permettant ainsi à l’agent d’état civil d’enregistrer rapidement les informations. Même lorsque les naissances ont lieu à domicile, nous insistons pour que la mère aille au centre de santé. Cela facilite énormément notre travail. »
Idrissa Abouba, chef de village et imam de Tabla
Un engagement similaire est partagé par Idrissa Hamani, chef de village, qui décrit le travail de proximité nécessaire pour atteindre chaque famille : « Nous avions été formés pour comprendre l'importance de l'enregistrement des naissances. Nous avons organisé des réunions avec les familles et visité personnellement celles qui ne s'étaient pas encore conformées. C'est un travail de proximité, mais c'est le seul moyen d'atteindre chaque foyer. »
Les leaders locaux ne se contentent pas de sensibiliser, ils facilitent également l’accès aux services. Ce rôle de médiation est particulièrement crucial dans les zones rurales où l’accès à l’administration est limité.
L’engagement des chefs de village est soutenu par des témoignages de familles qui ressentent déjà les effets positifs de cette mobilisation. Hassane Adamou, père de famille à Balayara, souligne l’importance de la rapidité du processus : « J’ai dix enfants, il n’y a que le dernier qui n’a pas 40 jours et qui ne dispose pas encore de son acte de naissance, et je suis là-dessus. J’invite les parents à récupérer les pièces à temps, surtout que maintenant les choses ne trainent pas comme avant ».
Hassane Adamou
Hadiza Harouna, mère et habitante du même village, ajoute : « Nous avons besoin d’être sensibilisées davantage. Une fois que l’enfant naît dans un centre de santé, il aura son extrait de naissance au plus tard 40 jours après la naissance. Cette pièce a une place importante dans la vie de l’être humain. »
Hadiza Harouna, mère de famille et habitante du village Balleyara
Sur le terrain, les retours sont encourageants. Les agents d'état civil constatent une amélioration notable des conditions de travail, comme l’explique Moussa Abdoulaye, chef d’un centre d’enregistrement : « Avant, nous passions des heures à remplir manuellement les registres et les erreurs étaient fréquentes. Aujourd'hui, avec le système informatisé, nous sommes plus efficaces, et les erreurs sont quasiment inexistantes. Mais la véritable avancée sera lorsque chaque citoyen comprendra l’importance de l’enregistrement des naissances. »
Les citoyens eux-mêmes, bien que parfois encore hésitants face à ces changements, commencent à adopter ces nouvelles méthodes.
Expérience des familles : un changement palpable
La campagne Hakin Yara a également transformé la perception des familles sur l’importance de l’enregistrement des naissances. Grâce aux efforts de sensibilisation et aux campagnes de communication massives, les familles sont de plus en plus conscientes des avantages à long terme de l’enregistrement.
Témoignage de Fatouma Garba, mère de quatre enfants à Maradi : « Auparavant, je ne savais pas que ne pas enregistrer la naissance d’un enfant pouvait poser des problèmes à l'avenir. Mais après avoir vu des affiches et entendu les messages à la radio en langue haoussa, j’ai compris l’importance de cet acte. J’ai enregistré mon dernier enfant à temps, et je n’ai pas eu à payer de frais supplémentaires ».
Les campagnes de sensibilisation ont utilisé divers canaux, notamment la radio, des affiches et des vidéos, traduits en six langues nationales telles que le haoussa, le zarma et le tamasheq. Ces outils visuels et audio ont largement contribué à la diffusion du message auprès des populations, en particulier dans les zones où l’alphabétisation est faible. Pour maximiser l'impact de la campagne, des actions spécifiques de mobilisation sociale sont menées dans 20 communes réparties sur quatre régions : Dosso, Maradi, Tahoua, et Zinder. Ces communes ont été choisies pour créer une "masse critique" d'effets, visant à renforcer le taux d'enregistrement des naissances dans ces zones clés du pays.
Une anecdote marquante : la course contre le temps
Dans le village de Goudel, situé à quelques kilomètres de Niamey, un cas illustre l'importance vitale de l'enregistrement des naissances. Aïssa, une jeune mère de 22 ans, a accouché à domicile dans des conditions précaires. Ce n'est que deux mois plus tard qu'elle a pu se rendre au centre de santé pour faire enregistrer son fils, Abdoul. « J'ai failli rater le délai légal de 40 jours », raconte-t-elle. « Heureusement, avec l’aide du chef de village, nous avons pu enregistrer Abdoul à temps. Aujourd'hui, je sais combien cet acte est important pour son avenir ».
Cet exemple montre à quel point la sensibilisation communautaire joue un rôle crucial dans le succès de cette campagne. Un chef de village de Goudel, souligne d’ailleurs : « Nous faisons tout notre possible pour que les familles comprennent qu'enregistrer leur enfant est la première étape vers une vie citoyenne active. Sans acte de naissance, cet enfant n'existe pas aux yeux de la loi ».
Dans les zones rurales et isolées, où l'accès aux services d'état civil est souvent limité, des stratégies spécifiques ont été mises en place. Des mesures sont également prises pour résoudre les problèmes logistiques liés aux déplacements, aux délais de traitement, et aux coûts, afin de garantir un accès équitable aux services.
La campagne Hakin Yara qui se poursuit jusqu'à la fin de l'année 2024, en plus de ses objectifs ambitieux en matière d'enregistrement des naissances, constitue une avancée majeure pour garantir une identité juridique à tous les enfants au Niger. En renforçant la sensibilisation, la formation des agents de l’état civil, et la modernisation des infrastructures, le gouvernement, en partenariat avec l'Unicef, entend améliorer la vie de millions d’enfants et faciliter l'accès aux droits et services essentiels. L’objectif à long terme est de pérenniser ces efforts et de garantir que chaque enfant au Niger puisse jouir de son droit à une identité juridique. Grâce aux innovations technologiques, à la mobilisation communautaire et aux partenariats solides, la campagne Hakin Yara pose les bases d’un avenir où chaque naissance sera enregistrée dans les délais légaux, renforçant ainsi l’inclusion sociale et le développement équitable.
Youssouf Diallo (actuniger.com)