La justice turque condamne trois journalistes renommés à la prison à vie
La Turquie a condamné à la prison à vie trois journalistes très connus, accusés d'être impliqués dans la tentative de coup d'Etat de 2016. Le verdict, ainsi que le déroulement du procès sont très critiqués par les défenseurs de la liberté de la presse.
Le mois dernier, la Cour constitutionnelle de Turquie avait ordonné la libération de Mehmet Altan, l'un des journalistes accusés de « tentative de renversement de l'ordre constitutionnel » pour leur implication présumée dans la tentative de coup d'Etat de juillet 2016.
Pourtant, les frères Ahmet et Mehmet Altan, ainsi qu'une autre journaliste connue et ancienne députée de l’AKP, Nazli Ilicak, ont été condamnés à la prison à vie. Lors du même procès trois autres personnes ont également été condamnées : l'ancien directeur du marketing du quotidien Zaman, un instructeur de l'académie de police et un graphiste. Une septième personne accusée dans cette affaire a été acquittée et remise en liberté.
Ce qui frappe dans ce procès, au-delà de la dureté de la peine et du fait que la Cour suprême a ordonné en vain la libération d'un des accusés, ce sont les arguments de l'accusation. Les trois journalistes étaient notamment accusés d'avoir envoyé des « messages subliminaux » lors d'une émission retransmise en direct à la télévision, la veille du coup d'Etat manqué.
Un « jour noir » pour la Turquie
Selon « Reporters sans frontières », il s'agit d'un « jour noir » pour la liberté de la presse en Turquie. Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de l'ONG, qualifie ce verdict d'« onde du choc très profonde en Turquie », de « signal extrêmement intimidant pour les journalistes qui restent en liberté », mais, selon lui, cela montre aussi « la détermination du gouvernement à ne rien lâcher dans sa chasse aux voix critiques. »
Avec cette condamnation, « la justice et le pouvoir qui la contrôle se ridiculisent aux yeux du monde », estime RSF. Johann Bihr souligne que ces décisions de justice « sont une catastrophe pour l’image internationale de la Turquie qui, de toute façon, est déjà bien écornée. Mais c’est encore un cran plus loin que la Turquie s’enfonce dans l’arbitraire. »
« Erdogan semble être un pompier pyromane qui poursuit une stratégie de la tension, poursuit le responsable de RSF. Et ça lui profite dans la mesure où il arrive à s’imposer grace au scénario bien connu "moi ou le chaos", mais jusqu’à quand ? »
Johann Bihr responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de RSF : « Ces procès, c'est du Kafka. Ce sont des accusations totalement démentes qui sont basées sur des interprétations délirantes de faits qui en général n'ont à voir qu'avec l'activité professionnelle des journalistes en question. Ces trois journalistes ont eu le tort de critiquer Erdogan et son gouvernement lors d'une émission en direct la veille du putsch. »
Memeth Altan, un intellectuel renommé en Turquie
Memeth Altan, est-il un terroriste qui a tenté de renverser le gouvernement par un coup d’Etat ? Difficile à croire et pourtant, le voilà condamné à perpétuité avec son frère et une autre consoeur.
Ils participaient tous les trois le 14 juillet 2016 à un débat télévisé. Ce soir-là, Memeth Altan a affirmé que si la situation politique et économique continuait à se dégrader en Turquie cela finirait pas un coup d’Etat. Une analyse partagées par de nombreux intellectuels turques.
Ecrivain, journaliste, et professeur d’université, Memeth Altan était un habitué des plateaux de télévision. Démocrate convaincu, partisan de l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne, il a soutenu Recep Tayyip Erdogan avant son arrivée à la présidence mais depuis ses prises de position en faveur de la laïcité et contre l’autoritarisme ont fait de lui une cible du pouvoir.
La machine judiciaire qui n’arrivait pas à le faire taire vient de le condamner à vie. Mehmet Altan fait partie des 50 000 personnes interpellées en Turquie depuis le putsch manqué en juillet 2016.
RFI