CULTURE/CIMENA « La Inna du Gobir » : Bienvenu dans un monde où les femmes détiennent… les pouvoirs !
Fiction anthropologique ? film documentaire ? C’est en tout cas une combinaison de genres cinématographiques savamment dosés qui sert de support au film « La Inna du Gobir », réalisé par notre compatriote Ado Abdou. Un film dont la sortie vient à point nommé, quelques jours seulement après l’intronisation en grande pompe de la nouvelle « Inna du Gobir », la princesse Habsou Oumarou dans sa 54ème année. C’était le 14 aout dernier à Tibiri.
Dans la série « femmes, pouvoir et traditions », après « l’arbre sans fruits » de Aicha Macky, « La Inna du Gobir » va sans doute faire parler de lui dans les box offices nationaux et les salons internationaux. Car ce film documentaire a une particularité saisissante : Outre sa qualité technique irréprochable, il est à ce jour, l’un des rares qui ne présente pas la femme dans une posture victimaire, mais plutôt dans une position de leadership et de responsabilité au sein de sa communauté.
« La Inna du Gobir » est en effet l’histoire d’une réelle « success story féminine » dans un royaume haoussa du Niger, plus connu aujourd’hui sous le nom de « Sultanat du Gobir ». Dans un monde dominé par les patriarcats judéo-chrétien et musulman, la survivance de cette tradition, montre parfaitement que tout n’était pas si précaire pour la femme dans les sociétés africaines, contrairement aux clichés dégradants et deshumanisants (Viol, esclavage sexuel, héritage, enlèvement, torture) qui caractérisent son statut d’aujourd’hui.
Deuxième personnalité du royaume, « la Inna » est un personnage adulé et respecté, pas seulement à cause de son sang royal, mais beaucoup plus, parce qu’elle détiendrait les pouvoirs les plus redoutables du royaume : Les pouvoirs occultes ! Dans la société Gobir préislamique, son pouvoir était encore plus prégnant, en ce qu’elle incarnait le rôle de la « prêtresse en chef » et patronnait quasiment toutes les cérémonies liées au culte des génies et autres « invisibles », indispensables pour toute campagne agricole et militaire. Elle avait également autorité sur toutes les questions féminines et infantiles et de fait, incarnait à elle seule ce qui pourrait être l’ancêtre du « ministère de la femme et de la protection de l’enfance » d’aujourd’hui. Toutes les chroniques rapportent par ailleurs que son « palais » (parce qu’elle en avait un aussi) abritait également « l’orphelinat du royaume ».
C’est ce rôle central joué par des femmes, au passé et au présent, que tente retracer la caméra amusée du réalisateur et producteur Ado Abdou, lui-même enfant de ce mythique Gobir où la femme ne souffrait d’aucune discrimination. On y trouve des témoignages forts comme celui de son Altesse Balla Marafa, le Sultan actuel du Gobir, des plans de coupe absolument fabuleux sur des cérémonies inédites de « budin daji » (divinations sur les saisons), des processions des « yan karmana » (prêtres et prêtresses), le tout agrémenté de musiques traditionnelles chaloupées des palais et des rythmes du « bori ». Une synthèse parfaite de ce que représente le mythique personnage dans le subconscient des gobirawa.
Le pari est gagné pour l’auteur de cette œuvre cinématographique iconoclaste dans le décor culturel nigérien. Un court-métrage de 29 mn, plaisant à regarder et facile à comprendre à travers les commentaires concis de Rahila Omar et de Joceline Amousso, tout aussi impériales !
Pour la symbolique, ce film est un véritable hymne à la gloire de la femme en général, à travers un témoignage vivant des reliques d’un passé prestigieux. Une petite bouffée d’oxygène pour les femmes du monde entier qui constatent partout leurs droits et leurs conditions de vie régresser.
« Le Gobir a compris très tôt qu’on ne peut pas se développer sans la femme », dixit Sa Majesté Balla Marafa. Sans commentaire !
El Kaougé Mahamane Lawaly, Le Souffle de Maradi.