Boko Haram : construction d’une barbarie
Le Niger est officiellement entré en guerre totale avec la secte Boko Haram, à l’issue du vote unanime des parlementaires du lundi 9 février. Autant dire que le nouveau front soumis aux bombardements et attentats kamikaze à Diffa et Bosso ne laisse guère de choix aux nigériens, dans une région longtemps sous pression latente des djihadistes après les attaques dans les Etats de Borno, Yobé, Adamawa, Gombe et dans l’extrême-nord camerounais.
Au final, les fronts tous azimuts ouverts par Boko Haram dans ce conflit asymétrique ont contraint le Cameroun, le Niger et le Tchad à entrer en guerre frontale avec la secte Boko Haram, coupable de la mort de près de 14000 morts et 1,7 millions de déplacés depuis 2009.
Aujourd’hui force est de constater que le Niger est à la croisée des périls majeurs qui menacent sa souveraineté et son intégrité : au Nord-Est, Daesh est entrain de s’implanter durablement en Tripolitaine et Cyrénaïque libyens, à l’Ouest la présence des cellules encore actives d’AQMI au Mali, tandis qu’au Sud-Est la nébuleuse Haramiste démontre sa capacité de nuisance face à une armée nigériane inopérante.
Qu’est ce que Boko Haram ?
Fondé en 2002 à Maiduguri par Mohamed Yusuf, la Jama'atu Ahlul Sunna Lidda'awati Wal Djihad, -la communauté des disciples de la tradition de l'islam pour la prédication et la guerre sainte - est une secte d’essence salafiste-nihiliste qui prône l’instauration d’un califat au Nord-Est du Nigeria. Il est surnommé dans l’acception courte, Boko Haram –l’éducation occidentale est péché- et défend une vision politique et sociale radicale : interdiction de participer aux élections, refus de mixité, de porter des « tenues occidentales » ou de scolariser les filles. D’ailleurs en matière politique, « les insurgés [de Boko Haram] dénoncent, depuis longtemps, les élections, perçues comme une pratique païenne incompatible avec l'Etat islamique » proclamé sur les portions du territoire nigérian qu'ils contrôlent souligne N. Obasi, chercheur à l'International Crisis Group.
Boko Haram suit cette tradition sectaire violente observée au Nigeria dans les années 1980 lorsque Mohamed Maroua dit Maitatsiné (celui qui maudit) d’obédience millénariste et mahdiste met le grappin sur le sous-prolétariat (des jeunes désœuvrés urbains) au sein de sorte de zaouias en accusant les valeurs occidentales d’être responsables de la corruption et de la pauvreté dans la société (surtout nord nigériane). La répression qui s’en est suivie, de 1980 à 1985, décapita cette insurrection sous la houlette des gouvernements Sheihu Shagari, puis du général Buhari et fit plus de 10 000 morts. Il est à souligner que cette secte essaya de s’implanter à Zinder et Maradi, sans succès.
En décembre 2009, une opération permit l’arrestation et la mort de Mohamed Yusuf.
Son bras droit, Aboubakar Shekau, originaire du village de Shekau dans l’Etat de Yobé, s’autoproclame imam ou darul tawhid, chef de Boko Haram. C’est un « délinquant, fumeur de marijuana, fasciné par Mohamed Yusuf » note le journaliste Benoit Zagdoun mais « n’a ni le charisme, ni l’art oratoire, ni l’éducation religieuse de son tuteur »conclut le politiste Perouse de Montclos, spécialiste du Nigeria. Son âge reste incertain : le Département de Justice américain indique qu’il serait né en 1965, 1969 ou 1975.
Quel est le mode opératoire ?
Depuis le tournant de 2009, dans sa quête de déstabiliser l’Etat, la secte s’attaquait aux édifices publics, les forces de sécurité et les responsables gouvernementaux .S’en suivent les minorités chrétiennes surtout à Kaduna et Zaria (en 2012) où 3 églises sont prises pour cibles par attentats kamikazes en faisant 50 morts.
Les chrétiens portent les stigmates de ces agressions, car selon Boko Haram, ils portent en eux les valeurs occidentales tant décriées des assaillants. Cela a entrainé le fameux rapt de 276 lycéennes de Chibok en avril 2014, qui selon les dires de Shekau seront converties, vendues et mariées de force. D’autres églises dans les Etats de Yobé, Adamawa, Plateau subiront les mêmes exactions, souvent brulées ou détruits par attentats.
Après avoir initié une guerre contre-insurrectionnelle, les attaques se font par petits groupes très mobiles, sous forme de blitzkrieg : venant à motos ou véhicules, ils portent leurs coups meurtriers nuitamment (ou à l’heure du fadjr) au moment où armée et population baissent la garde et se replient immédiatement dans leurs bases, géo-localisées dans la forêt de Sambisa et dans la savane herbeuse des abords du lac Tchad. On signale aussi leur repaire dans le piton rocheux de Mabass à la frontière du Cameroun. C’est le fameux hit and run (frapper et disparaitre) qui était la marque de fabrique de toute guérilla. D’ailleurs, les villages conquis sont généralement situés dans des no man’s land déshérités du Borno délaissés par l’armée nigériane. Le martyre de Baga (près de 2000 morts) est de ce fait symbolique et symptomatique de ce village, excentré sur les rives du lac Tchad, qui bénéficiait du parapluie militaire du MNJTF, la force conjointe quadripartite : les habitants furent massacrés, le village brulé en guise de « punition ».
D’ailleurs, on sait peu de chose sur l’organisation interne de cette secte à l’instar de leurs compères du Mali, structurés en katibas. Quid de l’implication du groupe Ansaru, (depuis devenu mutique), considéré plus modéré qui s’était plutôt illustré par des enlèvements d’occidentaux ? Quid du mouvement du sanguinaire Muhamad Nur, d’origine tchadienne et ayant fait ses classes chez les Shebab somaliens ?
Shekau dans sa quête d’une légitimité djihadiste et d’une aura internationale prête allégeance en août 2014 à l’Etat Islamique Daesh d’al Baghdadi, mû de sa folle propension à créer lui aussi un califat : un mimétisme qui lui fait égorger, décapiter, rapter des paisibles citoyens, politique de terre brulée tout comme Daesh qui enlèvent les yézidis en Irak avec les mêmes scènes atroces ; le tort des civils est d’être sous protection de l’Etat, ce qu’abhorrent les sectaires de Boko Haram. En clair, dans leur lecture immonde, vous êtes des mauvais musulmans qu’il faut anéantir et de surcroit protégés par les armées nationales païennes de Taghôut. « Ils appellent (ce pays) le Nigeria. Nous sommes dans le califat islamique. Nous n’avons rien à faire avec le Nigeria » lancera t-il dans sa vidéo postée d’août 2014.
Au delà des similitudes du corpus et des modes d’action, Boko Haram et Daesh ont des histoires différentes comme le relève le journaliste Vincent Hugeux à la question d’un internationalisme djihadiste allant du Mali jusqu’en Irak en passant par la Somalie. Boko Haram, avatar de Daesh ? La question mérite malgré tout débat.
Combien sont-ils ?
Aucune donnée objective ne permet à ce jour de dénombrer les membres de Boko Haram. Les chiffres divergent selon les experts avec cependant de grandes amplitudes : de 3000 à 20 000 selon Peer de Jong, ancien colonel et professeur à l'école de guerre économique, quand l’ONG anglaise Chattam House tablait à 8000 tandis que S. Nguembock de l’institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) estime leur nombre de 30 000 à 40 000 membres, dont 10 % de combattants. Le recoupement de données permet d’affiner le chiffre de combattants entre 15-20 000 membres.
La complexité du dénombrement découle du fait que Boko Haram recrute à flux tendu dans ces zones défavorisés comme dans le Borno et Yobé (20% de taux de scolarisation). On recensait même l’année passée plus de 500 jeunes de la région de Kolofata (Cameroun) ayant rejoint la secte : un pécule conséquent et une moto suffisent à appâter les marchands à la sauvette (de carburant frelaté et autres tabliers) ainsi les jeunes désœuvrés et autres élèves coraniques (almajirai) des villes et villages périphériques. Après les enlèvements et les rançons, « ils peuvent toucher 1 million de F CFA (1 500 euros) et devenir propriétaires de leur moto », rapporte un chercheur camerounais, interrogé par le magazine Jeune Afrique en septembre 2014.
Agés de 15 à 25 ans, ces jeunes après un entrainement sommaire servent de forces de frappe et de chair à canon. Le cas se retrouve chez Daesh où les jeunes radicalisés européens, dans leur quête d’idéalisme et touché par la propagande 2.0, se retrouvent pris dans l’étau djihadiste, souvent sans retour.
Certaines filles enlevées ou vendues par leurs parents, se mêlent à la population pour des opérations kamikazes. Vêtues de niqab ou d’abayas à la mode moyen-orientale, elles ne suscitent guère méfiance avant de commettre leur forfait.
Boko Haram compte également d’une sorte d’armée de réserve constituée de cellules dormantes fondues dans les villes et villages. Ils recrutent, coordonnent les actions à venir et servent d’indicateurs des positions militaires : un de ces individus, Kaka Bounou, commerçant et recruteur est récemment arrêté à Diffa.
Quelle est leur source de financement
Il existe un grand mystère sur les rentrées financières et subséquemment des fournitures en armes de cette nébuleuse. De l’avis de tous les experts militaires, Boko Haram possède d’une arsenal digne des armées régulières : kalachnikov, RPG7, canons anti-aériens, chars de combat, véhicules tous terrains et explosifs le plus souvent acquis sur l’armée nigériane en fuite ou lors des pillages des casernes et d’unités industrielles (comme à Ashaka où ils ont subtilisé des bâtons de dynamites et des 4X4 dans la cimenterie Lafarge en décembre dernier).
Cependant de véritables filières existent entre les pourvoyeurs Darfouris (en perte de vitesse au Soudan) en passant par l’ex Seleka (défaits en Centrafrique). Mais le gros de l’armement léger est obtenu par le pillage des arsenaux libyens. Ainsi, la porosité des frontières permet d’acheminer discrètement ces armes par camions et… souvent à dos d’ânes.
A sa création en 2002, la secte bénéficiait de deniers de culte des mosquées acquises à sa cause. Plus tard, la générosité des gouverneurs et des riches hommes d’affaires, du nord qui pensaient manipuler la secte à leur guise, constituait le pactole de base (pour éliminer un concurrent ou gagner des élections). Boko Haram essaya de s’implanter à Kano (la 2è ville du pays) selon un deal clair : «On ne vous attaque pas et vous ne nous attaquez pas, et vous nous donnez l’argent pour subsister.»
De formation maffieuse, la secte prit l’ampleur d’une véritable armée autonome profitant même (au départ) de la bienveillance des populations due à la brutalité et au racket organisé des unités policières et militaires ; de plus, la faiblesse et le peu de professionnalisme des soldats nigérians poussent les haramistes à s’engager dans une expansion territoriale.
L’étape suivante consistait au pillage des maisons abandonnées et à l’attaque des banques, prélevant ainsi un impôt révolutionnaire au prétexte qu’elles pratiquent l’usure. Ils mettent en place une véritable économie souterraine : ainsi les dirigeants de l’organisation instaurèrent de nombreuses taxes en matière d’habitation, de droit de passage, de consommation de certains produits, indique Mathieu Guidère, spécialiste de l’islam radical et enseignant à l’Université Toulouse 2. De plus, les divers trafics de cigarettes, voitures et stupéfiants leur procurent entre 175000 et 450000 euros (115 millions et 295 millions FCFA) par mois. On évoque des filières de prostitution, non prouvées à ce jour.
Les rumeurs persistantes font souvent état d’un financement extérieur de Boko Haram par Kaddafi, les pays du Golfe… Aucune évidence ne corrobore cette allégation. Néanmoins, il est reconnu que le groupe dissident Ansaru fondé en 2012, est financé par Al Qaida et par certains Etats du Golfe : l’hebdomadaire français Le Canard Enchainé a révélé (en 2013) dans l’article Notre ami du Qatar finance les islamistes du Mali, la collusion [du Qatar notamment] à travers des fonds et organisations caritatives avec les insurgés du MNLA (indépendantistes et laïcs), les mouvements Ansar Dine, Aqmi et Mujao [qui] ont reçu une aide en dollars du Qatar ». Par capillarité, Boko Haram dont les liens avec Ansaru sont élastiques, pourrait par conséquent bénéficier de cette manne, lui qui disposait de bases au Mali. Entre terroristes, on peut toujours s’entraider.
Les prises d’otage d’occidentaux restent aussi une rente substantielle tant que les rançons sont payées : Boko Haram (avec les 7 membres français de la famille Moulin-Fournier, l’allemand Robert Nitsch, le prêtre Van den Beusch) et Ansaru (F. Collomp, évadé par la suite) tentent de rentabiliser cette pratique qui a fait ses preuves, notamment au Mali.
Quel agenda territorial ?
Les derniers développements de la situation ont démontré les velléités extraterritoriales du groupe terroriste : Diffa, Bosso au Niger, Ngouboua au Tchad et Fotokol au Cameroun. Baroud d’honneur ou test de la capacité de réaction des armées des pays voisins ? Rien n’est sûr quand on sait que depuis l’ouverture des hostilités, Boko Haram passa de 2 à 4 Etats nigérians désormais sous son contrôle : ils détiennent une portion du territoire nigérian vaste de 50 000 km2 (une fois et demie la Belgique) pour une population totale de 1,7 million. Ils établirent leur capitale califale à Gwoza, à 135 km au Sud-Est de Maiduguri dans l’Etat du Borno.
L’agenda territorial se calque sur l’homogénéité ethnique commune aux Hausa-Fulani-Kanuri du Nord nigérian pour mener son expansion à l’instar de ses « modèles » califats de Sokoto et du Bornou» au XIXè siècle. D. Blair du Daily Telegraph confirme en janvier que « [le chef du Boko Haram] est sûr de pouvoir tenir le territoire où habitent ses frères kanuris, mais son pouvoir est plus faible là où d'autres groupes sont plus puissants ».
En clair, en attaquant Diffa et Bosso, Kolofata, Ngouboua (à quelques heures de pistes de Ndjamena), Shekau voulait marquer les esprits et son emprise supposée sur un ensemble homogène, mais a buté sur des réactions énergiques des forces armées de ces pays. En recrutant massivement dans ces régions, il pensait activer le principe du winning hearts and minds ou WHAM, qui a fait ses preuves lors de la guerre insurrectionnelle du Vietnam : une guerre de légitimité dont l’enjeu principal est «la population», ses caractéristiques propres, ses craintes, ses convictions idéologiques et politiques, ses croyances et la manière d’en tirer profit et/ou de les infléchir. Pour eux, il faut absolument gagner les cœurs et les esprits afin de populariser leur « combat » et le soutien du peuple.
Quelques soient les arguments développés ces derniers temps, le Niger (en particulier le Manga) fait partie des visées expansionnistes de Boko Haram qui n’attendaient que toutes les conditions soient réunies : D. Blair rappelle à souhait que « le domaine de Boko Haram s'étend des monts Mandara, à la frontière orientale avec le Cameroun, au lac Tchad, au Nord, et aux rives de la Yedseram à l'Ouest .»
Boko Haram, qui se dit appeler désormais Etat Islamique en Afrique (imitant la phraséologie de l’Etat Islamique du Daesh) se présente aujourd’hui comme une hydre à plusieurs têtes. Une nébuleuse où cohabitent les groupes dissidents d’Ansaru et de Muhamad Nur. Ce dernier, est, d’après les Renseignements nigérians, responsable de l’attentat kamikaze de la représentation de l’ONU à Abuja en août 2011. Il serait, d’après certaines sources, plus radical et sanguinaire que le chef de Boko Haram.
L’union nationale, en atteste la marche republicaine de la semaine passée doit être encore plus consolidée dans cette guerre asymétrique que nous impose Boko Haram.
Aboubakar K. LALO
Professeur
France
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Commentaires
Malheureusement, l'histoire nous montre que ce fut le cas