CES ZIMAS QUI NOUS GOUVERNENT !
Cela fait exactement trois mois que les acteurs de la société civile croupissent dans les geôles du régime alors même que, a priori, rien ne justifie une détention pénitentiaire aussi durable, parfois même dans des prisons de haute sécurité voire sans avoir été entendus par un juge. Ils n’avaient pourtant ni fait main basse sur la Joconde ni perpétré un attentat terroriste ni même proféré des injures à une autorité publique..
Bien que non pris en flagrant délit de manifestation publique voire interpellés sans mandat d'amener aucun, ils ont d’abord été gardés dans un centre de l'Ecole de police, puis sommairement traduits devant un juge avant d'être, pour la plupart, déportés dans les prisons proches de la capitale. Même scénario à Zinder. Pourtant, face aux interdictions répétées de manifester, ils n'avaient fait que menacer de se rassembler à partir de 16h30 sur une place publique en réaction à la décision de la Délégation spéciale de Niamey - une instance non élue - qui avait la veille autorisé une manifestation politique du PNDS, poursuivie jusque tard dans la nuit, puisqu'il s'agissait d'activités relatives à la tenue d'un congrès, auquel des milliers de militants devaient prendre part. Après tout, pour les acteurs de la société civile citoyenne, les faits n'étaient guère constitués, d'autant que la menace à manifester n'a pas été mise à exécution. Depuis lors, les actions collectives, sous forme de Journées d'action citoyenne en vue de la libération sans conditions de leurs camarades n'ont eu de cesse d'être organisées dans tout le pays par les autres responsables civiques. Des organisations internationales ont également fait part de leur inquiétude quant au sort des détenus tout en médiatisant les dérives autoritaires du régime. Au parlement français même, des partis politiques ont interpellé le président Macron afin qu'il intercède auprès du président nigérien sur le respect des droits et libertés au Niger. Parallèlement, au Niger même, la mobilisation battait son plein, excepté la trêve du Ramadan.
Malgré tout, le Président resta inflexible, ses alliés politiques solidaires avec lui, aucun n'osant prendre ses distances pour dénoncer cette paranoïa de coup d’Etat, véritable idée fixe occupant l’esprit du PR. On se rappelle, en effet, que par le passé le chef de l’Etat avait par deux fois évoqué des tentatives d’un renversement de son régime, même à l’occasion d’un Message à la nation Des militaires et des civils en avaient fait les frais, certains d’entre eux gardant jusque-là prison, d’autres ayant bénéficié d’un non-lieu. Cependant, en osant jusqu’à assimiler les activistes emprisonnés à des putschistes, le PR ne réalise pas suffisamment qu’il remet aussi parallèlement en doute l’intégrité des acteurs civiques alliés à l’Opposition en 2010. Si le parallélisme des formes est tentant, la particularité du contexte actuel est qu’il est aujourd’hui garant de la constitution et censé respecter et faire respecter la loi.
Si le Président de tous les Nigériens revient derechef sur cette rengaine, cela ne doit donc guère étonner quand il stigmatise une certaine « société civile putschiste » : il en a l’habitude. Pour autant, en tant que premier magistrat et justiciable en même temps, a-t-il le droit d’accuser de velléités putschistes Nouhou Arzika, Ibrahim Diori, Maitre Lirwana, Ali Idrissa Nany, Moussa Tchangari et Maikoul Zodi – pour ne citer que les plus connus – qui n’ont ni armes, ni armée, si ce ne sont celles que la Constitution leur concède? En l’occurrence, ici, le droit de protestation individuelle ou collective de manière pacifique. Car, dans un Etat de droit, nul citoyen ne peut, gratuitement, accuser un autre de complot contre l’Etat, à moins qu’il n’en apporte instamment la preuve tangible. Dans le cas contraire, ce serait tout simplement une diffamation gratuite, dont les victimes auront tout loisir de porter plainte. Aux antipodes de l’état d’esprit des acteurs civiques actuels, lui-même n’avait-il pas, à une époque récente, appelé l’armée à prendre ses responsabilités dans un contexte de crise politique ? Les activistes incarcérés n’avaient, eux, en tous cas, pas franchi un tel cap.
INTERROGATIONS
Aussi, comment comprendre que des hommes politiques qui clament sur tous les toits, y compris parisiens, leurs penchants démocrates s'évertuent-ils à voir des complots partout, même dans les marches pacifiques de la société civile? Comment comprendre que des démocrates et des élus nationaux persistent à assimiler les manifestations de la société civile à des tentatives d'insurrection voire de rampes de lancement à un coup d'Etat? Comment comprendre que nonobstant la dégradation exponentielle de l'image du régime, ses plus hauts responsables continuent de rejeter les appels à la libération des acteurs civiques, émis aussi bien par les organisations civiques africaines qu'internationales?
Si l’on admet qu’aucun pouvoir n’est assez masochiste pour creuser sa propre tombe, ou se complaire dans l’image, galvaudée dans les médias internationaux, d’un pouvoir autoritaire et violateur des droits et libertés élémentaires, il faut bien se demander si, quelque part, la superstition ne guide pas sa démarche, et surtout son obstination à n’en faire qu’à sa tète. En Afrique, la dimension surnaturelle constitue en effet une variable significative dans la conquête, l'exercice et le maintien au pouvoir. L’approche rationnelle des comportements politiques bute parfois sur des considérations d’ordre socioculturel. Le diable, dit-on, se trouve dans les détails ! Socialisés dans un univers mystico-religieux, les dirigeants politiques africains ont, en effet, généralement tendance à suivre les sentiers battus de la culture politique locale que les canons occidentaux du mode de gestion de l’Etat moderne. En cela, ils préfèrent davantage écouter leurs marabouts ou leurs devins que leurs conseillers juridiques ou en bonne gouvernance. Leurs augures leur ont-ils, dans l’obscurité de la nuit, dit que les acteurs de la société civile citoyenne sont le talon d’Achille de leur régime et qu’il conviendrait de les éloigner durablement de la scène des luttes sociales ? Leurs marabouts leur ont-ils nuitamment confessé après un « istahara » bâclé que ces activistes préparent le terrain à un coup d’Etat, exécuté par des militaires tapis dans l’ombre ? Un mage hindou leur a-t-il déclaré, la main sur le cœur, que la position des planètes dans le thème astral défavorisait irréversiblement leur karma ? Tout porte à le croire quand des gouvernants pourtant labélisés démocrates mettent durablement entre parenthèses les normes et valeurs de l’Etat de droit, de la République et de la démocratie, dont la séparation des pouvoirs, l’égalité de tous devant la loi, la responsabilité des gouvernants face à leurs actes et décisions et la bonne gouvernance ne sont pas les moindres.
Foin de tout cela, seuls comptent le verbe magique, la parole incantatoire et le message divinatoire ! Peu importe le flacon, dit-on, pourvu qu’on ait l’ivresse ! En l’occurrence ici, l’ivresse d’un pouvoir dopé par les promesses d’invulnérabilité et d’impunité des prétendus maitres de l’invisible, lesquels jurent d’assurer en même temps sa protection rapprochée. Fort de ce bouclier mystique, où le zima et le marabout seraient au contrôle, les gouvernants croient donc tout se permettre impunément, y compris et surtout la violation répétée des règles mêmes qui leur ont permis d’être là où ils sont. Peut-on, interrogent-ils, interpeller ces activistes, les faire entendre sommairement et les incarcérer dans les prisons proches de Niamey ? Assurément, nous sommes au contrôle, répondent en chœur ces charlatans aux yeux gluants ! Voyons, peut-on, y compris pendant le mois saint de Ramadan les garder en taule ? Quelle question, s’esclaffent en chœur les filous, le Ramadan est un mois comme les autres ! Doit-on faire fi des déclarations, mémorandums et communiqués de protestation des organisations internationales et des médias africains et occidentaux ? Aucun risque, rétorque le mage hindou, toutes les planètes sont extraordinairement alignées ! Du reste, la terre ne ment pas, surenchérit le devin burkinabé.
Autant, dans l’Afrique traditionnelle, avant de déclarer la guerre à son voisin ou même de prendre une nouvelle femme, le chef consultait son devin attitré, autant de nos jours, les élites modernistes se confient corps et âme aux diseurs de bonnes aventures et autres oracles à quatre sous, qui ne voient pourtant pas plus loin que le bout de leurs nez. Nombre d’arrestations, d’enlèvements, de déportations d’opposants ou d’acteurs civiques voire de meurtres sacrificiels, en Afrique, sont bien souvent inspirés par ces personnages de l’ombre, plus convaincants que les meilleurs conseillers politiques sortis des grandes écoles. Aussi, tant que les charlatans et les sorciers régneront dans les palais présidentiels, la situation des droits humains et de la démocratie sera toujours critique voire chaotique, si le Prince, fort de sa superstition, ne parvient pas à distinguer le bon grain de l’ivraie, à faire preuve de discernement dans la conduite des affaires de l’Etat. D’un point de vue sociologique, il importe finalement donc de ne pas sous-estimer le poids de la variable mystique dans l’analyse des comportements de l’acteur politique au Niger en particulier.
SOULEY ADJI - UAM
Commentaires
Souley Adji, tu ferais mieux d'enseigner cette mati