Niger : les jeunes avocats dénoncent un "recul criard" des libertés avec la loi sur la cybercriminalité
Dans une déclaration solennelle rendue publique ce mercredi 2 Juillet 2025, l'Association des Jeunes Avocats du Niger (AJAN) a lancé un appel pressant aux autorités de transition pour réviser la loi sur la cybercriminalité, qu'elle qualifie de "recul criard" pour les libertés fondamentales. Cette prise de position intervient dans un contexte de tensions croissantes autour de la liberté d'expression au Niger, près de deux ans après l'arrivée au pouvoir du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), et soulève des questions cruciales sur l'équilibre entre sécurité nationale et respect des droits humains dans la région sahélienne.
Un durcissement législatif aux conséquences lourdes
Au cœur de la controverse se trouve l'ordonnance n° 2024-28 du 7 juin 2024, qui a considérablement durci les sanctions prévues par la loi de 2019 sur la cybercriminalité. Selon Me Boubacar Ali, président de l'AJAN, cette modification législative prévoit désormais des peines d'un à trois ans d'emprisonnement pour diffamation et injures commises par voie électronique, sans possibilité pour les juges d'accorder des circonstances atténuantes.
Plus préoccupant encore, la diffusion de données "de nature à troubler l'ordre public" est punie de deux à cinq ans d'emprisonnement, même lorsque ces données sont avérées. Cette disposition soulève des inquiétudes majeures quant à la possibilité pour les citoyens de critiquer l'action gouvernementale ou de révéler des informations d'intérêt public. Les contrevenants encourent également des amendes allant d'un à cinq millions de francs CFA, créant un arsenal répressif particulièrement lourd.
Depuis l'entrée en vigueur de cette législation, l'AJAN fait état de "plusieurs condamnations à des peines fermes" ainsi que de nombreuses personnes placées sous mandat de dépôt dans l'attente de jugement. Ces statistiques, bien que non détaillées par l'association, témoignent d'une application intensive de cette législation répressive qui frappe indistinctement blogueurs, journalistes, militants et simples citoyens.
Une régression après des avancées démocratiques saluées
L'histoire récente de cette législation illustre parfaitement les enjeux démocratiques en cours au Niger. Adoptée initialement en 2019 sous la loi n° 2019-33 du 3 juillet 2019, cette législation prévoyait déjà des peines privatives de liberté pour des délits comme la diffamation ou l'injure commis via les communications électroniques. Cependant, conscient des dérives liberticides de cette loi, l'État nigérien avait procédé en 2022 à une modification salutaire en substituant les peines d'emprisonnement par des amendes pour certaines infractions.
Cette évolution avait été saluée comme un progrès significatif pour la protection de la liberté d'expression, reconnaissant ainsi "l'anachronisme et l'inadéquation des sanctions pénales applicables à la cybercriminalité" du point de vue des droits humains. La loi modificative de 2022 avait prévu des peines d'amende comme peines de substitution afin de garantir pleinement l'exercice de la liberté d'expression et d'opinion.
Cependant, l'ordonnance de juin 2024 a complètement inversé cette tendance, restaurant des peines d'emprisonnement particulièrement sévères. Pour l'AJAN, cette régression s'inscrit dans "la volonté de restreindre la liberté d'expression et de réduire au silence toute opinion critique à la 'REFONDATION'".
Des contradictions flagrantes avec les engagements internationaux et constitutionnels
L'AJAN souligne une contradiction majeure entre les engagements pris par les autorités de transition et leurs actes législatifs. Dans leur déclaration de prise de pouvoir du 26 juillet 2023, les dirigeants du CNSP avaient pourtant "réaffirmé leur attachement aux principes de l'État de droit" et garanti "les droits et libertés de la personne humaine et du citoyen tels que définis par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981".
L'association rappelle avec force que cette régression contrevient aux principes fondamentaux de la liberté d'expression, pourtant consacrés par de nombreux instruments juridiques internationaux ratifiés par le Niger. Elle cite notamment l'article 19 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme qui dispose que "tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression", l'article 9 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, et l'article 19.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Cette promesse trouve également écho dans l'article 34 de la Charte de la Refondation, qui dispose que "toute personne a droit à la liberté de pensée, d'opinion, d'expression, de conscience, de religion et de culte". Pour les jeunes avocats, le durcissement de la loi sur la cybercriminalité constitue une violation flagrante de ces engagements solennels.
Un plaidoyer nuancé pour l'équilibre démocratique
L'AJAN ne conteste pas le principe d'un encadrement légal de la liberté d'expression, reconnaissant que "dans certaines situations particulières l'État a le droit et même le devoir d'encadrer la liberté d'expression". Cependant, l'association insiste sur le fait qu'une telle restriction doit "nécessairement viser un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique", tout en respectant "les libertés individuelles et collectives consacrées par les instruments juridiques internationaux".
Cette position nuancée reflète la maturité juridique d'une profession qui cherche à concilier sécurité nationale et respect des droits fondamentaux, dans un contexte sahélien où les défis sécuritaires sont réels et pressants. L'association souligne que "même en période d'exception, il est impératif que les droits humains soient davantage protégés", d'autant plus que les régimes transitoires doivent être "les vecteurs de fondation de l'État de droit".
L'avocat comme "dernier rempart" face à l'arbitraire
Dans sa conclusion, Me Boubacar Ali a rappelé la mission fondamentale de sa profession : "Sentinelle du droit et des libertés, l'avocat reste et demeure le dernier rempart entre l'arbitraire et le citoyen". Cette déclaration résonne particulièrement dans un contexte de transition politique où les contre-pouvoirs institutionnels sont affaiblis par la concentration du pouvoir.
L'AJAN a également tenu à saluer "les forces de défense et de sécurité engagées dans la sécurisation du pays" et à présenter ses condoléances aux familles des victimes du terrorisme, rappelant ainsi que la critique des dérives autoritaires n'implique pas une remise en cause de la lutte antiterroriste. Cette approche équilibrée témoigne de la volonté de l'association de maintenir un dialogue constructif avec les autorités tout en défendant fermement les principes démocratiques.
Ibrahim Issa (actuniger.com)
Et comme TOTO A DIT n'a pas vu la PRÉSENCE ou IMAGE d'une seule femme Avocate sur cette figuration