Education : à Diffa, l’approche « mentorat » de l’Unicef offre une alternative crédible à la scolarisation des filles en difficulté
Depuis 2015, la région de Diffa, dans l’extrême sud-est du pays, fait face à une crise humanitaire sans précédent, engendrée par une dégradation de la situation sécuritaire causée par les attaques terroristes de Boko Haram. Cette situation aux lourdes conséquences a amplifié les impacts d’un contexte déjà marqué par des défis structurels de développement, se traduisant par l’instauration de multiples barrières d’accès aux services essentiels pour les populations vulnérables, notamment les enfants et les femmes. De plus, elle a mis à mal la cohésion sociale, déjà très fragile et précaire. L’un des domaines les plus touchés est le secteur de l’éducation, et principalement celui de la scolarisation et du maintien des jeunes filles à l’école. En réponse à cette situation et dans le cadre de l’appui aux efforts du gouvernement et de ses partenaires, le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF), en partenariat avec le Programme Alimentaire Mondial (PAM), a mis en œuvre le « Programme pour la résilience et la cohésion sociale dans la région de Diffa ». Financé par le Ministère Allemand de la Coopération Économique et du Développement (BMZ), le programme est déployé sur le terrain selon une approche Nexus Humanitaire-Développement-Paix (HDP). Il vise à renforcer la résilience des groupes de populations les plus vulnérables et des institutions locales par des interventions multisectorielles d'une part, et à renforcer la cohésion sociale en contribuant à une cohabitation pacifique au sein de ces communautés ciblées d'autre part. C’est ainsi que dans le domaine de l’éducation, l’UNICEF a mis en œuvre une approche dite de « mentorat », qui promeut la scolarisation, le maintien des filles à l’école, ainsi que la lutte contre les mariages des enfants. L’initiative, qui en est à ses débuts, a déjà montré des résultats satisfaisants, comme en témoignent les bénéficiaires mais également les parents d’élèves et éducateurs, qui ne tarissent pas d’éloges sur cette approche offrant une alternative crédible à la scolarisation des jeunes filles, particulièrement celles en difficultés dans les zones de conflit. Reportage à Diffa.
En ce début d’après-midi de cette journée de mai 2024, un mois particulièrement chaud plus que d’habitude, le Complexe d’enseignement secondaire (CES) Katzelma Ousmane de Diffa se vide de ses élèves et de ses encadreurs. C’est l’heure de la descente depuis l’adoption, il y a quelques semaines, de la journée continue dans les écoles publiques et privées du pays. La cour est presque déserte et seul quelques élèves s’attardent devant les tableaux d’affichage ou dévisagent la devanture de l’établissement. Devant une classe pourtant, des élèves, pour l’essentiel de jeunes filles, sont en train d’attendre. Parmi elles, Aichatou Amadou, 15 ans, élève en classe de 5e au sein du CES Katzelma Ousmane. « Nous attendons notre professeur de français pour des cours de remédiation », nous répond-t-elle lorsque nous lui demandons la raison de leur présence encore au sein de l’établissement alors que les cours sont finis et les élèves pressés de regagner leurs domiciles ou vaquer à d’autres occupations en ville.
Aichatou, comme les autres filles avec lesquelles elle entre en classe, sont ce qu’on appelle ici des « mentorées ». Ce sont des filles qui rencontrent des difficultés scolaires et qui ont été sélectionnées pour bénéficier de cours de remédiation afin d’améliorer leurs résultats scolaires et ainsi poursuivre leur scolarité. Le mentorat est l’approche mise en œuvre par l’UNICEF dans la région de Diffa pour promouvoir la scolarisation, le maintien des filles à l’école ainsi que la lutte contre les mariages des enfants. C’est une initiative mise en œuvre en collaboration avec les autorités en charge de l’éducation à travers la Direction régionale de l’éducation nationale (DREN) et qui s’inscrit dans le cadre du « Programme pour la résilience et la cohésion sociale dans la région de Diffa ». Le programme, financé par le Ministère Allemand de la Coopération Économique et du Développement (BMZ), vise à renforcer la résilience des groupes de populations les plus vulnérables et des institutions locales par des interventions multisectorielles et parallèlement, à renforcer la cohésion sociale en contribuant à une cohabitation pacifique au sein de ces communautés ciblées.
L’approche mentorat, un suivi académique et psychosocial pour les jeunes filles
La crise sécuritaire que connaît la région depuis 2015 a, en effet, entraîné les déplacements internes des populations et l’arrivée des réfugiés et des retournés du Nigeria. Cette situation a impacté négativement le secteur de l’éducation, avec pour corollaire les décrochages scolaires, particulièrement pour les filles. En plus du décrochage, les filles sont également exposées aux mariages précoces ou forcés et aux abus, surtout les adolescentes qui sont en classe de CM1 et CM2 et au collège. C’est pour améliorer l’accès et le maintien des filles à l’école que l’Unicef, en collaboration avec la direction régionale de l’éducation, a mis en œuvre l’approche mentorat.
Elle consiste à identifier dans les écoles les filles les plus vulnérables (faible niveau, familles pauvres, adolescentes…) pour les appuyer à améliorer leurs performances scolaires tout en les maintenant à l’école et en évitant le mariage précoce et/ou forcé. Pour ce faire, elles sont accompagnées de deux sortes de mentors. Les mentors enseignants organisent des cours de remédiation et les mentors communautaires se chargent de développer les relations sociales et de les accompagner au niveau communautaire. Les mentors enseignants sont chargés d’organiser des cours de renforcement de niveau des bénéficiaires en français et en mathématiques. Les filles identifiées bénéficient également de dotation des kits scolaires et de dignité. Pour la première phase du programme, 2000 filles dont 800 au primaire et 1200 au collège ont été identifiées et ont bénéficié du paquet d’activités proposé.
Une expérience concluante qui fait des émules
Au niveau des autorités en charge de l’éducation, on se félicite de cette initiative qui vient accompagner les efforts de l’État pour la scolarisation et le maintien des jeunes filles à l’école. M. Oumara Atchari est chef de la Division des Études et de la Programmation (DEP) à la Direction régionale de l'éducation nationale de Diffa (DREN/DA) et point focal de l'approche mentorat dans la région. Il explique que « l'initiation de cette approche de mentorat découle des difficultés rencontrées par certains de nos élèves, en particulier les filles, tant sur le plan scolaire que social. Il est crucial de cibler ces élèves et de leur apporter un soutien à la fois pédagogique et social ». L’approche a été lancée il y a deux ans, avec l’appui de l’UNICEF et entre 2021 et 2022, quelques 2000 filles ont été accompagnées et pour cette année, elles sont 1500 bénéficiaires au primaire et au secondaire.
« Le mentorat consiste à associer chaque fille en difficulté, que ce soit sur le plan scolaire ou social, à un mentor scolaire et à un mentor communautaire. Le mentor scolaire aide à remédier aux difficultés académiques, tandis que le mentor communautaire travaille sur les problématiques sociales. Notre objectif est de promouvoir la scolarisation des jeunes filles, de les encourager à rester à l'école, tout en luttant contre les pratiques néfastes comme les mariages précoces ou forcés ». M. Oumara Atchari est chef de la Division des Études et de la Programmation (DEP) à la Direction régionale de l'éducation nationale de Diffa (DREN/DA).
Suite aux excellents résultats obtenus après les deux premières phases dans la commune de Diffa, et grâce à l’appui de l’UNICEF à travers le financement BMZ, l’expérience a été étendue cette année à quatre (03) autres communes de la région (Gueskerou, Chetimari et Mainé Soroa). Au total, 55 centres de mentorat couvrant 84 écoles ont été ainsi ouverts dans la région. Selon les explications de M. Atchari, la durée du mentorat est de trois (03) à six (06) mois. « Nous constatons des progrès satisfaisants sur le plan social car les mentors communautaires travaillent à développer les compétences de vie des filles », tient-il à préciser tout en reconnaissant toutefois que « sur le plan scolaire, les résultats sont mitigés, car il s'agit souvent d'élèves en difficulté initiale. Bien que certains montrent une nette amélioration, malheureusement, d'autres éprouvent encore des difficultés ».
L’initiative en tout cas est très appréciée des élèves, des parents d’élèves ainsi que des encadrants au point de faire des émules dans d’autres établissements. Au CES Katzelma Taya, les jeunes filles que nous avons trouvées en classe ont été très enthousiastes à nous démontrer leurs talents académiques. « Avant, mes résultats en mathématiques étaient très mauvais. Cependant, depuis que je participe aux cours de mentorat, j'ai remarqué une nette amélioration. Cela se manifeste notamment lors des évaluations où je parviens désormais à obtenir la moyenne », se réjouit Hadjara Amadou Aboukar, une autre élève mentorée au sein de l’établissement.
Une approche multisectorielle pour renforcer la résilience des communautés
Il convient de noter que cette initiative d’appui à l’éducation et particulièrement à la scolarisation et au maintien à l’école des jeunes filles de l’UNICEF s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du « Programme pour la résilience et la cohésion sociale dans la région de Diffa», financé par le Ministère Allemand de la Coopération Économique et du Développement (BMZ). Le programme, mis en œuvre conjointement avec le Programme alimentaire mondiale (PAM), est déployé sur le terrain selon une approche Nexus Humanitaire-Développement-Paix (HDP). Il a comme principaux objectifs de renforcer les capacités des systèmes et des institutions pour une meilleure gouvernance, la promotion de la responsabilité, de l'efficacité et de l'inclusivité ; de renforcer l'appropriation et l'engagement des communautés dans toutes les décisions concernant leur bien-être et, enfin, d’améliorer de l'accès à des services sociaux de qualité et adaptés et à de meilleures opportunités de subsistance grâce à la mise en œuvre d'un ensemble intégré d'interventions au niveau communautaire.
Dans le cadre de la mise en œuvre du programme et des différentes interventions, l’Unicef s’appui sur une approche pour la résilience basée sur le renforcement des capacités des autorités locales autour des efforts de décentralisation, d’accès équitable et inclusifs aux services sociaux de base essentiels pour les enfants et des approches communautaires intégrées réunissant la nutrition, la protection, les services WASH, l'éducation et les services de santé qui sont fournis de manière durable, en renforçant les capacités locales à gérer les services et à effectuer un changement de comportement. Plus particulièrement pour le renforcement de la résilience, l’UNICEF intervient à plusieurs niveaux simultanément afin de soutenir les capacités d'absorption, d'adaptation et de transformation des systèmes, des communautés, des ménages et des individus.
A.K.Moumouni, Envoyé spécial à Diffa (actuniger.com)
Commentaires
Dans quel pays émergents ou même industrialisés, l'UNICEF a ce type d'approche de mentorat d'éducation considérée comme approche alternative ???
De l'éducation de ses enfants considérée comme un droit pour le Niger , il se doit d'user de ses ressources endogènes ...
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