Ousmane Diagana, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et centrale : « L’éducation est un vecteur incontournable pour la stabilité, la cohésion sociale et la paix »
Un entretien avec Ousmane Diagana, de nationalité mauritanienne, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et centrale depuis le 1er juillet 2020. Dans ce rôle, il coordonne les relations de la Banque mondiale avec 22 pays et gère un portefeuille de projets, d’assistance technique et de ressources financières de plus de 47 milliards de dollars.
A quels défis fait face la jeunesse Sahélienne aujourd’hui ?
L’histoire du Sahel est millénaire. Ses populations ont de tout temps accordé une importance particulière au brassage des hommes, à la promotion des cultures, à la production des connaissances et à leur partage, donc à l’éducation. Le Sahel est une terre d’intellectuels. L’éducation fait partie de l’ADN des populations, y compris de la jeunesse du Sahel.
Il est vrai que la zone est confrontée actuellement à plusieurs défis, dont le premier est d’ordre physique. Les pays sahéliens pour la plupart sont enclavés, vastes et peu densément peuplés. Cette caractéristique géographique rend la délivrance et l’accès à certains services extrêmement difficile. Par ailleurs, la croissance démographique rapide aggrave les défis, posant des problématiques diverses en termes d’investissements dans la construction des écoles, de disponibilité de l’électricité dans les écoles, de déploiement des enseignants dans des zones éloignées et difficiles d’accès, de distribution du matériel pédagogique… Fournir un service éducatif dans ce contexte est difficile. Offrir des services parascolaires pour permettre aux jeunes apprenants de se distraire et d’utiliser tout leur potentiel est éminemment complexe.
Visite d’Ousmane Diagana dans une école au Niger. Crédit photo: Banque Mondiale
Qu’aimeriez-vous voir changer pour l’avenir des jeunes au Sahel? Sur quels leviers se baser en priorité pour redonner de l’espoir ?
L’accent doit être mis sur 3 points :
Premier point : la gouvernance du secteur. Elle est faible, à l’instar de la gouvernance générale. Par conséquent, cette question mérite un traitement spécial. Les ressources doivent être orientées et utilisées de manière efficace pour le développement d’un système éducatif inclusif qui donne les aptitudes aux apprenants et surtout aux filles et aux femmes. Ces jeunes citoyens des pays sont porteurs de leur développement.
Deuxième point : l’amélioration de la qualité du système et son approche de façon holistique, en s’appuyant sur des enseignants bien formés et motivés, avec un système d’apprentissage adapté et des curricula révisés, répondant aux contextes socio-économiques des pays et promouvant des valeurs de citoyenneté.
Troisième point : une éducation qui donne la chance et des compétences à tous pour permettre aux apprenants de disposer de savoirs et d’aptitudes leur permettant d’épouser les valeurs sociétales de leur milieu tout en ayant les qualifications pour répondre aux besoins de l’économie et donc du marché du travail.
Quel est votre diagnostic sur l’état de l’éducation au Sahel et quelles sont les actions soutenues par la Banque mondiale dans ce secteur ?
Il est important de commencer par reconnaître que la responsabilité de définir le système d’éducatif qui répond aux spécificités des pays et aux aspirations des populations incombe aux Etats. Le rôle de la Banque mondiale est de les accompagner dans la formulation de stratégies de développement, de leur financement au travers de projets et programmes y afférents, et par le partage de connaissances tirées de son expertise et de son expérience globale. Ceci rappelé, il est notoire que les pays du Sahel ont accompli des progrès impressionnants sur le plan de l’accès, certains d’entre eux ayant presque atteint l’accès universel. Il n’y a donc pas de fatalité. Les pays du Sahel peuvent avancer sur le chemin difficile d’une éducation de qualité pour tous.
Il faut les y accompagner en s’attaquant à trois problèmes urgents :
1/ la disparité sur le plan géographique, du genre et des niveaux de revenus ;
2/ la pauvreté des apprentissages qui fait qu’aujourd’hui 90% des jeunes sahéliens qui sortent du système éducatif, à la fin du primaire savent à peine lire ou calculer ;
3/ le niveau de financement du système éducatif dans son ensemble est faible. Or, la part moyenne du PIB consacrée au financement de l’éducation au Sahel ne dépasse pas 2%. Les bonnes pratiques suggèrent que ce niveau de dépense doit se situer autour de 4%, voire 6%.
C’est au regard de ces constats que j’ai instruit mes équipes à travailler, en partenariat avec des acteurs du système au Sahel un Livre blanc sur l’éducation. Ce rapport a été présenté aux autorités sahéliennes au début du mois de décembre. Nous nous attelons désormais à sa mise en œuvre.
Est-ce que la Banque mondiale a des partenariats avec d’autres membres de l’Alliance Sahel dans le secteur de l’éducation ?
Le partenariat est au centre de notre mode opératoire : partenariat bien sûr avec d’autres institutions financières bilatérales ou multilatérales, partenariat avec la société civile, partenariat avec les Groupes de réflexion… Avec l’Alliance Sahel, nous travaillons beaucoup en amont, dans le cadre de la définition des stratégies, et par la suite bien sûr dans la traduction de ces stratégies en opérations de développement, de programmes dans des pays du Sahel.
Quelles initiatives locales innovantes avez-vous observé et qui mériteraient d’être passées à l’échelle ?
Il y a beaucoup d’innovations au Sahel dans le système éducatif, parfois malheureusement à petite échelle et on n’en parle pas assez. Le secteur privé fait beaucoup de choses. Quand je voyage, je fais toujours en sorte de visiter des écoles et de parler avec différents acteurs. Au Mali, des acteurs du secteur privé ont développé des écoles de formation directement liées aux besoins de l’entreprise, et les jeunes qui en sortent sont immédiatement employables.
En Mauritanie, à la faveur d’une représentation accrue du personnel féminin dans le personnel d’encadrement, le taux de rétention des filles dans le système a progressé significativement. Au Niger, les cantines scolaires et les internats pour filles ont augmenté les taux d’enrôlement des filles dans le secondaire. Au Tchad, des initiatives d’écoles nomades qui permettent de suivre les enfants des familles d’éleveurs offrent une éducation adaptée, favorisant une éducation plus inclusive.
Quel intérêt pour la Banque mondiale de participer à la dynamique collective de l’Alliance Sahel ? Dans ce partenariat pour le développement au Sahel, quels seraient les points à améliorer?
L’Alliance Sahel est d’abord une plateforme qui permet la génération des idées, favorise les complémentarités et les synergies dans les actions. Elle contribue à réduire les risques de duplication des initiatives, et peut permettre de maximiser les bénéfices liés à une mutualisation des efforts, des concepts et des expériences. L’Alliance Sahel est un cadre partenarial qui doit être vu à travers ces angles, y compris la possibilité d’apporter des financements complémentaires. Sa vocation doit être de répondre à la question suivante : comment faire en sorte que nous fassions des choses qui se complètent, et non qui se contredisent ou se répètent ?
Nous devons néanmoins rester humbles : le développement, une fois de plus, se fera par les États et les populations du Sahel. Il ne faut surtout pas songer à se substituer à eux ! Il faut les écouter, intégrer leur perspective dans nos modes de réflexions et nos modes d’action.
Quel message souhaitez vous passer à la jeunesse sahélienne?
A eux de garder espoir, de croire en leur force et leurs rêves! La jeunesse sahélienne doit, en suivant les générations qui l’ont devancée, s’investir résolument dans l’éducation et donc aller à la recherche du savoir. L’éducation est la clé de voûte du développement. Elle est un vecteur incontournable pour la stabilité, la cohésion sociale et la paix.
Alliance Sahel