Déclaration de la société civile sur la rencontre avec le Président de la République
Le jeudi 13 Janvier 2022, une délégation de responsables des organisations de la société civile a été reçue par le Président de la République, dans la salle du conseil de ministres, en présence notamment du Premier ministre, du ministre de la défense nationale, du ministre délégué à la décentralisation, du ministre d’État à la présidence, du ministre directeur-cabinet, du secrétaire général du ministère de l’intérieur et du conseiller du président en charge de la société civile. Cette rencontre a été initiée par le Président de la République à l’effet, selon ses propres termes, d’entretenir les acteurs de la société civile de la situation sécuritaire préoccupante qui prévaut dans notre pays depuis déjà plusieurs années.
Au cours de cette rencontre, qui a duré de 17h à 21h, le Chef de l’État a fait un large exposé sur la situation sécuritaire qui prévaut dans différentes régions de notre pays, notamment les régions de Diffa, Tillabery, Tahoua, Maradi, Agadez et Dosso. Cet exposé a été l’occasion pour le Chef de l’État de partager avec les acteurs de la société civile, non seulement ses inquiétudes, mais aussi les efforts accomplis et envisagés par le gouvernement pour faire face à la situation. Le Chef de l’État a annoncé notamment son intention de réactiver le Conseil national de dialogue politique (CNDP) pour apaiser le climat politique dans le pays, de lutter contre le trafic des armes, de la drogue et du carburant, ainsi que sa disponibilité et son ouverture à toute initiative de la société civile visant à apporter une réponse adéquate à la crise sécuritaire en cours dans notre pays et d’autres pays de la région.
En réaction à l’exposé du président de la République, la délégation des acteurs de la société civile, tout en se félicitant de cette initiative de dialogue, a attiré son attention sur un certain nombre de constats amers plusieurs fois soulignés dans les déclarations et prises de position de la société civile, en particulier celles rendues publiques en mai 2021 et le 8 janvier 2022. La délégation a notamment exprimé ses vives préoccupations quant à la dégradation de la situation sociale, économique et sécuritaire ayant cours dans notre pays, au non-respect des textes fondamentaux de la République par les pouvoirs publics eux-mêmes, et à la détention arbitraire de plusieurs personnes pour des faits politiques et d’opinions, soulignant que :
1-La situation sécuritaire dans le pays continue de se dégrader, notamment dans les régions de Tillabery, Tahoua, Maradi et Diffa ; et tout indique que d’autres régions du pays pourraient à leur tour être confrontées au phénomène de l’insécurité armée ;
2-En dépit de toutes les mesures prises, les groupes armés non étatiques continuent de perpétrer des attaques meurtrières contre des civils et des éléments des forces de défense et de sécurité, enlèvent et prennent en otages des civils contre rançons, prélèvent des impôts, s’emparent du bétail, brulent des greniers et des infrastructures sociales notamment des écoles, violent des femmes et des filles, etc ;
3-La persistance de l’insécurité armée a fait fuir des centaines d’enseignants et enseignantes, pris pour cibles par les groupes armés, et entrainé la fermeture d’au moins 579 écoles, dont 392 dans la seule région de Tillabery, privant ainsi de leur droit à l’éducation plus de 53 000 élèves, aujourd’hui laissés à eux-mêmes ;
4-A Tillabery, Tahoua, Diffa, Maradi et Dosso, les personnes déplacées, qu’il s’agisse des déplacés internes ou des réfugiés, continuent à vivre dans des conditions lamentables, survivant pour l’essentiel grâce au soutien des organismes internationaux et des humanitaires ;
5-La persistance de l’insécurité armée a entrainé dans plusieurs zones de notre pays l’émergence de groupes d’autodéfense, qui tentent d’assurer la protection des villages et des communautés ; et que l’émergence des groupes d’autodéfense est, malheureusement, porteuse de risques graves en matière de cohésion sociale ;
6-Les populations nigériennes font face partout dans le pays à une insécurité alimentaire, consécutive à une mauvaise campagne agricole, et qui risque de prendre des proportions inquiétantes en raison notamment de la persistance de l’insécurité armée, et de la hausse déjà insoutenable des prix des denrées de première nécessité ;
7-Depuis 2018, les atteintes aux libertés publiques, notamment les libertés d’expression et de manifestation, persistent et tendent à se banaliser, au mépris des garanties contenues dans la Constitution et les instruments juridiques régionaux et internationaux ratifiés par l’État du Niger ;
8-La justice nigérienne continue d’envoyer des signaux inquiétants quant à sa capacité, non seulement à protéger les droits et libertés fondamentaux des citoyens et citoyennes, mais aussi à lutter efficacement contre la corruption et divers crimes économiques, dont le plus emblématique reste l’affaire dite du MDN dans laquelle le gouvernement a renoncé à la constitution en partie civile de l’État du Niger sur la base d’arrangements fallacieux.
A l’issue des échanges, et tout en restant vigilants et mobilisés pour la défense des droits humains et la promotion de la bonne gouvernance, la délégation des acteurs de la société civile note, avec satisfaction, et salue vivement :
1-L’engagement pris par le Président de la République de ne jamais inquiéter et emprisonner des acteurs de la société civile pour leurs opinions, et de ne plus faire entrave à l’exercice des libertés individuelles et collectives, notamment la liberté de manifestation dont il dit avoir lui-même assez joui pour en devenir un prédateur ;
2-La volonté affichée du Chef de l’État de poursuivre, malgré les obstacles qu’il a lui-même soulevés, la lutte contre la corruption, les fraudes aux concours et examens, les recrutements complaisants, le trafic des armes, de la drogue et du carburant, d’équiper et soutenir les forces de défense et de sécurité, d’entretenir des canaux de discussion et de négociation avec certains éléments des groupes insurgés, ainsi que d’œuvrer à l’apaisement du climat politique dans le pays à travers la réactivation du Conseil national de dialogue politique (CNDP) ;
3-L’engagement du Chef de l’État à continuer à œuvrer à ce que la justice soit rendue pour les personnes tuées et/ou blessées lors des tristes événements survenus à Tera où des éléments de la force Barkhane ont tiré à balles réelles sur des jeunes manifestants ;
4-La claire conscience affichée par le Chef de l’État quant à tous les risques liés à l’émergence des groupes d’autodéfense et à l’enjeu que représente le respect par les agents des forces publiques des normes relatives aux droits humains et au droit international humanitaire dans un contexte de conflit armé ;
5-L’accueil favorable par le Chef de l’État de l’appel de la société civile invitant les pouvoirs publics et tous les acteurs sociaux et politiques à créer les conditions non seulement d’une concertation nationale inclusive autour des questions de paix et de sécurité dans l’espace sahélien, mais aussi d’une sortie de la crise en cours par la voie du dialogue.
Aussi, prenant en compte tous ces points positifs, nous ferons au cours des jours à venir des propositions tendant à concrétiser la volonté de décrisper le climat politique et social, et de jeter les bases d’une réflexion et d’actions collectives visant à sortir notre de la crise grave dans laquelle il s’est installé et qui menace son intégrité et sa souveraineté.
Fait à Niamey, le 14 Janvier 2022
Commentaires
Normal, Bazoum
...C'est insens