La peur règne sur Torodi : les « djihadistes » multiplient les attaques dans le sud-ouest, dont ils veulent faire un sanctuaire
« Torodi, ville fenêtre de l’Afrique de l’Ouest ». C’est ainsi que l’ancien président nigérien Seyni Kountché avait surnommé cette ville dans les années 80. Située à 50 km de Niamey, la localité de Torodi est, depuis 2012, le chef-lieu d’un département vaste de 4 441 km2, avec 78 villages administratifs, pour une population de 109 342 habitants, dont 56 028 hommes (51, 24%) et 53 314 femmes (48,76%), composée de Peulh, de Djerma, de Gourmanché, de Haoussa, de Touareg et de Sonrai. La densité de la population est de 24,67 hbts/km2, selon le dernier Recensement général de la population et de l’habitat (RGP/H de 2012).
La commune rurale de Torodi est, avec Makalondi, l’une des deux communes qui composent le Département du même nom (Torodi), dans lequel elle occupe la partie centrale naturellement appelée« Liptako Gourma ». Elle se limite : au Nord-ouest par les communes rurales de Dargol et de Gotheye (département de Téra) ; au Nord par la commune rurale de Bitinkodji (département de Kollo) ; au Nord-est par la commune rurale de Gueladjo (département de Say) ; au Sud par la commune rurale de Makalondi et au Sud-ouest par le Burkina Faso. L’agriculture, l’élevage, la pêche et le commerce sont les principales activités socioéconomiques de la population. On y accède par la RN6, une voie principale qui traverse la commune sur une distance de 30 km, d’où son surnom de ville fenêtre de l’Afrique de l’ouest, car elle relie les pays de la zone sahélo-saharienne d’une part et les pays côtiers de l’autre.
Dans ces années et même jusqu’à une date très récente, ce sont de véritables marchés qui se tiennent au niveau des différents postes de contrôles et de formalités que sont la douane, la gendarmerie et l’autogare de la ville, avec des véhicules de toutes sortes et de toutes marques, des passagers et des marchandises diverses en partance ou de retour des pays de la sous-région. Tout s’achète, tout se vend, tout le monde trouvait son compte et donc personne ne se plaignait : douaniers, transitaires, gendarmes, policiers, gardes, forestiers, commerçants, gargotières, vendeurs ambulants, taxis motos, communément appelés « Kabou Kabou », mendiants…Le vendredi, jour de marché hebdomadaire, était particulièrement animé ; plus qu’un jour de marché, c’est un jour de fête pour toute la population. En fait, l’ambiance commence dès le mercredi soir pour finir tard le vendredi soir ou même le samedi. Il y a ceux qui viennent de loin, notamment les marchands de bétails. Ils viennent des quatre coins du pays, mais aussi du Mali, du Burkina Faso, du Bénin, du Nigéria pour certains, et même de la Mauritanie, du Sénégal, du Togo, du Ghana, de la Côte d’Ivoire… pour d’autres. Les uns viennent pour acheter, les autres pour vendre. Il y a aussi une multitude d’autres commerçants qui viennent de partout, qui pour vendre des vivres, des tissus, des pagnes, des habits neufs ou de la friperie, des chaussures, des cosmétiques et autres produits de beauté. Sur place, on trouve du bétail, grands et petits ruminants, des bœufs, des vaches, des veaux ; des produits tels le lait, frais et caillé, le beurre de vache, la volaille, les œufs de pintade et de poule, le poisson, les carcasses de viandes, les fruits sauvages comme la gomme arabique, le garbey , le tokay, le darey , le kangaou, des légumes et aussi surtout le kopto ou Moringa…L’animation était permanente, de jour comme de nuit. Le jour, avec ces véhicules de transport en commun ou personnels, ces charrettes qui déversent hommes et marchandises que tentent d’avaler tant bien que mal, la ville, les hangars, boutiques et autres espaces réservés pour le commerce, ces « kabou kabou » toujours surchargés, qui serpentent les rues et ruelles de la ville à vive allure et sur fond de klaxons assourdissants ; des soirées animées dans des bistrots par les orchestres en vogue venus de Niamey ; ces caves tenues généralement par des « Ladys », ces femmes venues de la côte et qui emploient des jeunes filles, des « Sisters » pour servir dans des gobelets à la propreté douteuse de l’alcool frelaté, généralement du « Bony », du « Dry Gin », du whisky », du « Vino Tinto »…à des clients assis sur des bancs ou dans des chaises de fortune ; ces tchapalodromes, où on trouve cette bière traditionnelle à base de mil ou de maïs et dont la préparation relève de tout un art, est servie dans des calebasses…Les autres jeunes, filles et garçons qui ne sont portés ni sur l’un, ni sur l’autre de ces endroits se retrouvent, la nuit tombée, autour du thé ou dans l’unique salle de cinéma de la ville,la salle « Bella Soule », du nom d’un commerçants de la localité . Et le vendredi soir, après les comptes, tout le monde était satisfait.
C’était la belle époque, comme dirait l’autre. C’était, le mot n’est pas exagéré, car aujourd’hui, insécurité et état d’urgence obligent, les activités socioéconomiques sont complètement plombées, sinon au ralenti, et les jours de marchés hebdomadaires à Torodi comme dans les villages environnants ressemblent plutôt à des jours de deuil. C’est du moins ce qui ressort de ces témoignages que nous avons recueillis sur place à Torodi, en ce vendredi 22 mars 2019.
Les commerçants sur la paille !
« J’avais débuté avec peu de moyens. A peine une table et un banc où je vendais de la nourriture. Au bout de deux ans, je me suis retrouvée dans un grand hangar, et trois ans plus tard j’ai acquis un magasin que j’ai transformé en « hôtel », avec un menu, chaque jour un peu plus riche et varié. J’employais une dizaine de jeunes filles et garçons, qui pour la vaisselle, qui pour servir les clients. Grâce à ce commerce je me suis rendue en pèlerinage aux lieux saints de l’islam, après mon père ; j’ai assuré la scolarité de tous mes enfants jusqu’au niveau supérieur ; j’ai aussi investi dans d’autres commerces », se rappelle Hadjia A.I. « Aujourd’hui, la réalité est tout autre. Le marché hebdomadaire qui jadis, s’étalait sur trois, voire quatre jours se tient en une journée à peine. Et à 19h30-20h, il faut tout ranger et fermer, parce que, à cause de l’état d’urgence, il n’y a plus d’activités de nuit. C’est à peine si on ne roule pas à perte », a-t-elle ajouté. « 12 500F, c’est ma recette de la journée. Je dois pourtant payer les deux enfants qui rabattent les clients et la taxe. Je n’ai même pas de quoi aller à Niamey m’approvisionner pour la semaine prochaine. Et ça fait des mois que ça dure », se lamente Karim. D, un vendeur de friperie. « Nos recettes connaissent une chute sans précédent depuis l’instauration de l’état d’urgence. Si cette situation perdure, il n’y a pas d’autres choix que de mettre la clé sous le paillasson, surtout avec la multiplication des stations d’essence et les vendeurs de carburant à la sauvette qui ont pignon sur rue», se plaint un gérant de station d’essence.
Kasea qui rit, Kasea qui pleure !
Ils ont connu leur ère de gloire, lorsque, en posséder une était le signe extérieur d’une réussite sociale et économique certaine dans toute la région. D’où d’ailleurs leur surnom, « Sama Té Norou », ou, pour les plus pudiques, « A Té Norou ». Elles, ce sont, ces grosses et rutilantes motos fabriquées en Chine, généralement de marque Kasea, qui filent à grande vitesse, émettent un refrain au démarrage et à l’arrêt et qui avaient inondé tout le Liptako-Gourma. Au-delà de leur aspect « snob », ces motos sont aussi utilisées comme moyens de transport, communément appelés « Kabou Kabou », interurbains ou d’un village à un autre. Ces motos ont acquis une place d’autant plus importante dans les activités socioéconomiques avec la multiplication des sites aurifères et le nombre, chaque jour grandissant de personnes qui y affluent, des quatre coins du Niger et des pays voisins. Ainsi, si certains utilisent ces motos pour frimer, d’autres par contre y trouvent la voie royale et rapide pour se faire de l’argent, en vitesse et sans gros efforts. « Il me suffisait de déposer un seul client sur un site aurifère pour empocher 10 000 F cfa. Il m’est arrivé de déposer deux ou trois clients à la fois ou même de faire deux ou trois tours par jour. Mais, depuis l’interdiction pour les motos de circuler au-delà de 5 km de Torodi, c’est la galère pour moi », indique Mamoudou O. « Je fais du « Kama Mini » (louage) et j’ai circulé toute la journée, pour gagner 6 000 F seulement. Qu’est-ce que je vais donner au propriétaire de la moto et qu’est-ce que je vais garder pour moi et ma famille ? Et dire que c’est vendredi aujourd’hui, c'est-à-dire jour de marché à Torodi. C’est vraiment la misère, avec cette situation d’état d’urgence », confie Issa B.
Pour tout dire, les motos sont devenues indésirables sur toute l’étendue du territoire de la Commune rurale de Torodi, et ce depuis le déclenchement des attaques perpétrées par des groupes djihadistes contre des FDS et les exactions contre des populations civiles dans la zone. Il y a deux semaines, ce sont plus de 80 motos qui ont été arrachées à leurs propriétaires et incendiées publiquement à Sunkuma, un site aurifère situé non loin du village de Tomboley. « Les FDS ont suivi les traces d’une moto dont le propriétaire est soupçonné d’appartenir au groupe djihadiste qui sévit dans la zone. Les traces les ont menées jusqu’à Sunkuma et là, à défaut de pouvoir mettre la main sur le suspect, ils ont passé le village au peigne fin, récupéré et rassemblé toutes les motos qu’ils ont trouvées, les ont imbibées d’essence et y ont mis le feu », rapporte Amadou H, un habitant de Tomboley. « Ecoutez, ce n’est pas de gaité de cœur que nous agissons ainsi. C’est plutôt pour des questions de sécurité, parce que tout le monde sait que c’est à motos que les djihadistes se déplacent, c’est à moto qu’ils arrivent dans des villages pour commettre leurs forfaits et c’est à moto qu’ils s’enfuient pour s’évanouir dans la nature », indique M. Mahamane Abou, Préfet du Département de Torodi. « Néanmoins, nous sommes en train de penser à une mutualisation des actions avec les FDS du Burkina Faso voisin, en vue de mettre hors d’état de nuire ces djihadistes », poursuit-il, avant de préciser que d’ores et déjà que des caravanes de sensibilisation impliquant les chefs de villages de la zone ont commencé en vue d’une collaboration et une bonne cohabitation entre l’administration, les FDS et les populations pour un combat commun contre l’ennemi commun.
Le bâton et la carotte, arme secrète des djihadistes !
Le bâton et la carotte, telle semble être la stratégie des djihadistes pour mieux s’implanter dans la zone. Ainsi, chaque attaque, chaque exaction, notamment contre des FDS, est suivie aussitôt d’une séance publique de prêche, séance au cours de laquelle sont louées, valorisées et promues les valeurs de l’islam ; critiquées, diabolisées et vouées aux gémonies celles de l’éducation occidentale. Il en est, selon nos sources sur place, après l’attaque perpétrée contre le poste de police de Makalondi, attaque qui s’est soldée par la mort de deux gendarmes (deux autres étaient blessés). Après leur forfait, les assaillants se sont retirés à quelques encablures des lieux, autour d’un feu, pour organiser un prêche qui a duré jusqu’à l’aube et en présence de nombreux villageois, à qui, apprend-on, ils promettent, en sourdine, argent, motos et protection en cas d’adhésion à leur cause. Il en est ainsi également après l’attaque de Boni qui a occasionné la mort d’un garde ou encore la pose de la mine qui a provoqué la mort de quatre militaires à Boborgou...
Mais, les djihadistes ne s’en prennent pas qu’aux FDS, ils ont aussi pour cibles tous ceux qu’ils soupçonnent d’être à la solde de ces derniers ou de l’administration centrale. Et ce n’est pas le chef de village de Bolsi qui dira le contraire, lui qui a été enlevé en plein jour, en compagnie d’un de ses sujets, pour la simple raison qu’il était soupçonné d’être un pion de l’administration locale de Torodi. Si l’on est sans nouvelles de ce chef depuis plus de trois mois, son compagnon par contre, a été retrouvé mort, abattu par les djihadistes. S.T, plus connu sous le sobriquet de « Maître », a connu la même fin tragique. Son tort ? Etre en quelque sorte un « petit » des FDS en poste à Dogona. Ils l’envoyaient partout, il leur préparait le thé… «Maître » avait reçu plusieurs messages d’avertissement et des menaces, qu’il n’avait jamais pris au sérieux. Jusqu’à ce jour fatidique où il a été enlevé. Son corps a été retrouvé quelques jours plus tard, criblé de balles et déposé aux abords du village de Dogona. Au sein de la population, l’exaspération, voire la révolte commencent à gagner les cœurs : « Franchement, trop c’est trop. Nous en avons marre. Si l’Etat ne veut pas ou ne peut pas mettre fin à cette situation, qu’on nous donne les moyens, je veux dire les armes et nous allons en finir avec ces soi-disants djihadistes », tempête un jeune, la vingtaine, le bâton sur les épaules, la bouilloire en bandoulière. « C’est vrai, il faut qu’on nous permettre de créer des milices pour nous défendre nous-mêmes, parce que l’Etat n’assure pas. Nous ne pouvons pas continuer à vivre continuellement dans la peur et l’humiliation. Ces individus appelés djihadistes ne sont pas plus hommes que nous, ils ne sont pas plus braves que nous », renchérit son compagnon, du même âge. Des messages à peine voilés que les djihadistes, mais surtout de l’administration locale et centrale et les projets et ONG de développement intervenant dans la zone se doivent de prendre au sérieux, au regard des évènements tragiques enregistrés la semaine dernière dans le centre du Mali où plus de 160 peulh ont été massacrés par des chasseurs traditionnels Dozos. Le Mali, ce n’est pas le Niger dira-t-on, mais le Mali peut renaître n’importe où, surtout dans une zone comme Torodi où les jeunes de moins de 40 ans représentent 85,73% de la population ; les moins de 15 ans plus de la moitié de la population alors que, les vieux et vieillards d’au moins 60 ans ne représentent que seulement 4,16% de la population de la commune, selon le dernier RGP/H de 2012.
Gorel Harouna
Journal Mutations
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