Controverse linguistique : le gouvernement assume le hausa comme choix de rupture et de souveraineté
Dans un entretien fleuve accordé à Télé Sahel ce lundi 19 mai 2025, le ministre Dr Soumana Boubacar, directeur de cabinet du président Tiani et porte-parole du gouvernement, a répondu aux polémiques entourant l’article 12 de la Charte de la Refondation. Il a notamment clarifié les enjeux du choix du hausa comme langue nationale, un sujet au cœur de vives spéculations. Son message est sans équivoque : ce choix n’est ni une menace pour les autres langues, ni un facteur de division, mais un outil de cohésion et d’efficacité nationale. Assumé pleinement, il s’inscrit dans un projet inclusif, respectueux de la richesse linguistique du Niger et conçu pour renforcer l’unité et la souveraineté du pays.
L’article 12 de la Charte de la Refondation au cœur de vives discussions dans les salons de Niamey comme dans les localités de l’intérieur, suscite interrogations et interprétations parfois clivantes. Le ministre justifie sans ambages le choix du hausa comme langue nationale, dans un discours offensif où souveraineté, fierté identitaire et rupture avec la France sont les maîtres mots.
Accusé à tort, selon lui, de vouloir imposer une langue au détriment d’autres, le gouvernement entend assumer pleinement un choix à la fois politique, pratique et identitaire : celui du hausa comme langue nationale de compréhension commune. « Ce n’est pas une question de langue contre une autre. C’est un choix de souveraineté », martèle le ministre.
Face aux interrogations persistantes, le gouvernement réaffirme avec force le bien-fondé du choix du hausa comme langue nationale. Une décision stratégique, éducative et identitaire, assumée comme une étape clé dans la construction d’un Niger souverain et uni.
Une clarification sur les langues
L’objet de la controverse : l’article 12, qui établit la liste des langues parlées au Niger, désigne le haoussa comme " langue nationale " et consacre l’anglais et le français comme langues de travail. Pour certains, cette formulation laisserait entendre une hiérarchisation linguistique, alimentant des interprétations identitaires. « Ceux qui s’expriment sur cet article ont-ils pris la peine de le lire dans son intégralité ? », interroge le ministre, dénonçant des lectures tendancieuses parfois encouragées, selon lui, par des influences extérieures cherchant à semer la division au sein de la nation nigérienne. « Le haoussa est cité parmi les langues parlées, au même titre que le djerma-songhaï, le kanouri ou le tamajek. Mais il est également désigné comme langue nationale, non pas pour exclure les autres, mais comme un outil de cohésion », a-t-il précisé.
Pour le gouvernement, l’objectif est clair : bâtir un creuset linguistique commun sans jamais remettre en cause la richesse multilingue du pays. « Il ne s’agit pas d’opposer le haoussa aux autres langues. Il s’agit de trouver une langue fédératrice, que tous les Nigériens ont en partage, tout en continuant à valoriser toutes les autres langues », a insisté le ministre.
Face aux accusations de favoritisme ou de mise à l’écart de certaines communautés, Dr Soumana Boubacar a été catégorique : « Jamais il ne viendra à l’idée du gouvernement ou du président Tiani de classer les langues ou les ethnies. Ce débat est stérile et dangereux ».
Un contexte de rupture et d’affirmation
Pour comprendre ce choix, M. Soumana insiste sur le contexte post-26 juillet 2023, marqué par la prise de pouvoir par le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) et une confrontation directe avec plusieurs puissances occidentales, notamment la France. Il rappelle les tensions extrêmes avec Paris : expulsion de l’ambassadeur, départ forcé de l’armée française, et plus récemment, retrait du Niger de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) en mars 2025. « Nous avons proclamé notre souveraineté. Il est incohérent de continuer à donner à la langue française une place qu’elle ne mérite plus », affirme-t-il.
Dès lors, pour le ministre, la logique est implacable : « Si nous devons substituer progressivement la langue française, pourquoi ne pas le faire avec une langue que la majorité des Nigériens parle déjà ? » Le hausa, parlé par une large portion de la population nigérienne et dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest, s’impose selon lui par son accessibilité et son ancrage social. « Il ne s’agit pas d’exclure, mais de rassembler autour d’un socle commun. Si demain d’autres langues doivent être valorisées, nous le ferons », assure le ministre, tout en dénonçant les " faux débats " et les tentatives de " division ethno-linguistique ".
Une réhabilitation des langues nationales
Au-delà du hausa, c’est un changement de paradigme que le ministre appelle de ses vœux : faire sauter le « mur de la langue française », qui aurait selon lui contribué à marginaliser la majorité des Nigériens dans leur propre pays. « Nous n’aurons plus de complexe pour enseigner, apprendre et travailler dans nos langues. Il s’agit de réhabiliter notre dignité culturelle », explique-t-il avec ferveur.
Se présentant comme un homme " libre de tout calcul politicien ", Soumana Boubacar insiste sur la cohérence de l’action gouvernementale : sortie de la tutelle française, redéfinition des alliances stratégiques, et désormais, refondation linguistique. Un discours qui fait écho à la ligne dure du CNSP, mais qui cherche aussi à mobiliser un sentiment populaire de fierté et de reconquête. « Le hausa ne nous a rien fait. Ce sont les Français qui nous ont colonisés, qui ont tenté de nous écraser. Pourquoi aurions-nous honte de notre propre langue ? »
Le ministre a egalement rappelé que le Niger repose sur une tradition séculaire de cohabitation pacifique. « Dans nos familles, nos quartiers, nos villages, les brassages sont tels qu’il est absurde de parler de pureté ethnique. Nous sommes un peuple uni par l’histoire, la foi et le destin ». Et de citer l’article 13 de la Charte, souvent ignoré dans la polémique, qui stipule que « tous les Nigériens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs ».
Un choix historique et pragmatique
« Les défis et les enjeux sont tels que nous n'avons pas d'autre choix que de définir notre vivre-ensemble », insiste le porte-parole du gouvernement. Pour les autorités, le choix du hausa n'est ni un caprice ni une démarche d'exclusion, mais une orientation stratégique fondée sur des réalités démographiques et éducatives. « Au moins 70 à 80 % des Nigériens parlent le hausa. Pourquoi continuer à imposer une langue - le français - que seuls 20 % de la population comprennent ? », questionne-t-il.
Le raisonnement est simple : si l'on veut accélérer l'alphabétisation, la transmission des savoirs et la communication citoyenne, il est plus efficace d'enseigner à une minorité une langue que la majorité parle déjà, que l'inverse.
Pour appuyer son argumentaire, Dr Soumana Boubacar rappelle que même la langue française fut imposée en France par un acte politique : « C'est une ordonnance royale qui a décrété que le français devait être la langue du royaume. Pourtant, les Bretons, Corses ou Basques ont leurs langues. Ils les appellent 'langues régionales'. Pourquoi serions-nous complexés par les nôtres ? »
Cette analogie vise à montrer que toute langue dominante résulte d'un choix politique assumé. Le Niger, en quête de souveraineté réelle depuis la rupture avec la France en 2023, n'échappe pas à cette règle.
L'enjeu est aussi pédagogique. Les études internationales montrent qu'un enfant apprend mieux dans une langue qu'il comprend. C'est aussi dans cette perspective que le gouvernement souhaite généraliser l'usage du hausa : pour transmettre les sciences, la géographie, les mathématiques... dans une langue accessible. « Pourquoi attendre qu’un enfant apprenne le français pour ensuite lui apprendre la science ? Ce n’est pas logique, ni efficace », estime Dr Soumana Boubacar. « Faisons-le directement dans une langue qu’il maîtrise », plaide-t-il, défendant avec fermeté l’usage du hausa comme levier d'efficacité pédagogique.
Appel à la confiance et à l'unité
Au-delà de la langue, c'est tout un projet de refondation nationale qui est en jeu. Le message du gouvernement se veut rassurant mais ferme : le choix de la langue hausa est un outil de cohésion, non de division. « Il faut accorder le bénéfice du doute à ceux qui gouvernent. Les sacrifices consentis depuis juillet 2023 sont tels qu'il ne peut y avoir de marche arrière ». La dimension spirituelle n'est pas absente de ce discours : « Nous avons confié notre pays à Allah. Si nous croyons vraiment, alors pourquoi douter ? Celui qui agit contre l'intérêt national, Dieu s'en occupera ».
Le serment prêté par les autorités - "ne jamais trahir le Niger" - est mis en avant comme une garantie morale et religieuse. Le message est clair : "faisons confiance et avançons".
« Nous allons travailler à faire apprendre cette langue à tous les Nigériens. Mais il n'est question d'exclure personne ni d'imposer quoi que ce soit au détriment d'une autre langue », a déclaré le ministre. Selon lui, aucune langue ne sera supprimée, encore moins méprisée. Le patrimoine culturel du Niger, riche d'une vingtaine de langues nationales, reste un socle fondamental de l'identité nationale. « Il ne viendra à l'idée de personne d'interdire la pratique d'une langue. Ce sont nos langues, notre patrimoine, notre fierté ».
Le chef de l'État, cité à plusieurs reprises dans l'entretien, donne lui-même l'exemple en s'adressant aux Nigériens dans plusieurs langues : hausa, zarma, fulfulde, et bientôt tamajeq. Une manière de « parler sans intermédiaire au peuple », selon le ministre.
Briser les complexes, affirmer une identité
Le ministre revient aussi sur un héritage postcolonial encore tenace : la honte de s'exprimer dans sa langue. Il salue la rupture opérée par le président Tiani, qui aurait, selon lui, "cassé le mur du complexe". « Il fut un temps dans ce pays où les gens étaient complexés de parler leur langue. Aujourd'hui, ce temps est révolu. Il n'y a plus de limite. C'est cela aussi, "Labou Sanni Zantchan Kassa" ».
Ce changement d'état d'esprit est vu comme une étape essentielle dans la refondation nationale : retrouver fierté et confiance en ses propres repères linguistiques et culturels.
Le ministre insiste également sur les avantages pratiques du hausa, parlé ou compris par une très large majorité de la population. L'objectif n'est pas de supplanter les autres langues, mais de faciliter l'enseignement, la communication publique et l'inclusion. « Cela ne changera rien à notre vivre-ensemble. Ce qui changera, c'est notre capacité à transmettre des messages clairs à tous les Nigériens, sans filtre, dans une langue que la majorité comprend ».
L'entretien s'est conclu sur une série de prières, en lien avec la saison du Hajj et le début de l'hivernage. Une dimension spirituelle assumée : prier pour le chef de l'État, pour les Forces de défense et de sécurité, pour la prospérité du Niger et de la communauté de l'AES. « Le président est à l'écoute. Il a pris l'engagement de s'assumer et de prendre ses responsabilités à chaque fois que l'intérêt du Niger l'exige ». Le message est clair : chaque décision prise - y compris celle relative à la langue nationale - sera toujours orientée vers le seul intérêt du Niger.
En filigrane, ce discours gouvernemental cherche à apaiser, à expliquer et à recentrer le débat autour de l’essentiel : la construction d’un Niger uni, souverain et fier de sa diversité linguistique. Un appel au calme, à la confiance, mais surtout, à la solidarité dans cette phase cruciale de refondation nationale.
Abdoulkarim (actuniger.com)
"...un enfant apprend mieux dans une langue qu'il comprend..." : mais ils veulent imposer une seule langue à tous les enfants.
"...la langue française a été imposée en France..." et aujourd'hui en France presque toutes les autres langues ont disparu : est-ce ce qu'ils veulent pour nos langues ?