Sommet de la Cédéao : à Abuja, le Niger comme « plat de résistance » au menu du conclave des Chefs d’Etat
La capitale fédérale du Nigeria, pays qui assure la présidence en exercice de l’organisation, accueille ce dimanche 10 décembre 2023, la 64e Session de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de la Cédéao. Au menu, la situation politique, économique et sécuritaire dans la sous-région mais aussi et surtout la crise politique qui prévaut au Niger depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023. Avec comme principal enjeu, la levée ou le maintien des sévères sanctions économiques et financières imposées au pays qui affectent durement les populations alors que jusque-là, les négociations entre l’organisation communautaire et les nouvelles autorités butent sur des préalables sur lesquels les deux parties ne parviennent pas à s’accorder malgré les tentatives de médiation. Au Niger, mais aussi au-delà, les regards sont plus que jamais tournés vers Abuja où les décisions des dirigeants ouest-africains sont particulièrement attendues et vont certainement beaucoup peser sur la suite des évènements. Sur la table, le sort de l’ancien chef de l’Etat Bazoum Mohamed et la durée de la transition comme conditions pour la levée des sanctions et l’ouverture des négociations pour un retour à l’ordre constitutionnel.
A l’ordre du jour de ce dernier Sommet ordinaire de l’année, les Chefs d’Etat et de gouvernement vont examiner les derniers développements de la situation politique, économique et sécuritaire dans la sous-région. Avec les transitions en cours au Mali, en Guinée ou au Burkina Faso, les dernièrs évènements politiques en Sierra Leone et en Guinée Bissau et la persistance de la dégradation de la situation sécuritaire au Sahel avec des risques de contagion aux pays du Golfe, les dirigeants ouest-africains auront beaucoup à faire durant la journée. Cependant, c’est surtout la situation politique au Niger qui va certainement cristalliser toutes les attentions.
Les deux derniers Sommets extraordinaires du 30 juillet et du 10 août à Abuja, ont été presque exclusivement consacrés à la crise politique née du renversement, le 26 juillet 2023, du régime de Bazoum Mohamed par les militaires du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), sous la direction du général de brigade Abdourahamane Tiani. En riposte, les chefs d’Etat de la Cédéao ont décidé de sévères sanctions économiques et financières, avec à la clé, la menace d’une intervention militaire, pour exiger le rétablissement du régime déchu. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous le pont et par la force des choses, la Cédéao a dû revoir ses prétentions à la baisse. L’intervention militaire qui a un temps fait long feu a été suspendue et il n’est plus question de rétablir l’ancien président mais juste de le libérer et de le transférer vers un pays d’accueil à convenir d’un commun accord. C’est en tout cas et à en croire le chef de la diplomatie nigériane, Yusuf Tuggar, dont le pays assure la présidence en exercice de la Cédéao, la seule condition pour que les sanctions soient levées. Une condition que les autorités militaires nigériennes refusent jusque-là et qui sera un des points décisifs qui va peser sur la décision des chefs d’Etat, ce dimanche à Abuja.
Des médiations, des préalables et des conditions pour sortir de l’impasse
Au cours du Sommet, les dirigeants de la Cédéao vont prendre connaissance du rapport du médiateur désigné, l’ancien chef de l’Etat nigérian Abdulsalami Abubakar, qui a déjà séjourné à deux reprises à Niamey ainsi que les conclusions de la session des ministres des Affaires étrangères de l’organisation qui s’est tenue en prélude à la Conférence des Chefs d’Etat. Selon des sources diplomatiques, parmi les propositions soumises à l’appréciation du Sommet, il y a évidemment la reconnaissance de la rupture de l’ordre constitutionnel du Niger avec les évènements du 26 juillet mais également de nouvelles conditions pour les militaires de Niamey dont la libération de l’ancien président ainsi que les mécanismes d’une transition assez courte comme solutions de sortie de crise et surtout comme préalables à la levée progressive des sanctions.
Entre les partisans de la méthode forte notamment le clan des va-t-en guerre comme l’ivoirien Alassane Ouattara ou le béninois Patrice Talon et les modérés qui sont partisans d’une solution pacifique à l’image du togolais Faure Eyadéma, le président en exercice, le nigérian Ahmed Bola Tinubu, aura fort à faire pour trancher et surtout pour trouver une issue consensuelle qui ne donnera pas l’impression que la Cédéao a cédé encore face à des « putschistes ». C’est d’ailleurs un véritable dilemme pour le successeur de Muhammadu Buhari qui est très attendu sur la promesse qu’il a faite à sa désignation à la tête de l’organisation, celle de mettre fin à la vague de coups d’Etat qui secoue la sous-région. La situation au Niger a été certes une surprise mais a cela de particulier que malgré les menaces des premiers jours, il a subi une série de pressions notamment au plan interne et a même fini par se résoudre à faire contre mauvaise fortune bon cœur en proposant, en dehors de la Cédéao, une proposition à l’image de celle qu’a connu le Nigeria dans les années 2000. En somme une transition courte de quelques mois avec à la clé, des élections générales pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel normal.
Jusque-là, les militaires au pouvoir n’ont pas annoncé les couleurs de la transition qui, d’après le chef de l’Etat et président du CNSP, n’excédera pas trois (03) ans mais dont les grandes orientations seront élaborées au cours d’un dialogue national inclusif qui n’a pas encore été convoqué plus de 3 mois après avoir été annoncé par le général Tiani. Une période qui a été déjà qualifiée « d’inacceptable » par le Commissaire de la Cédéao aux Affaires politiques, à la paix et à la sécurité, le ghanéen Abdel-Fatau Musah.
A Niamey comme un peu partout où les manifestations contre la Cédéao et « ses parrains » se sont multipliés ces derniers jours, on retient le souffle sur ce qui va se décider à Abuja. Il faut dire qu’avec la fermeture des frontières qui ont compliqué l’approvisionnement du pays enclavé en produits de première nécessité notamment alimentaires et pharmaceutiques, le gel des avoirs de l’Etat et des entreprises publiques par la BCEAO, la suspension des transactions commerciales et bancaires avec les autres pays de l’UEMOA (exemptés le Burkina et le Mali qui ont refusé de s’y soumettre) ainsi que la suspension de la fourniture d’électricité par le Nigeria (70% des besoins du Niger), les sanctions sont durement ressenties par les populations déjà éprouvées par des urgences humanitaires et sécuritaires. Ce qui est plus que jamais redouté, c’est l’interférence de certaines puissances notamment de la France dont les relations avec le Niger, ainsi que les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) qui soutiennent Niamey, sont actuellement des plus notoires. Il convient aussi de noter que les Etats-Unis qui ont fini par reconnaitre le nouveau pouvoir du CNSP mènent également une médiation avec la présence à Abuja, de la sous-secrétaire d’Etat aux Affaires africaines, Molly Phee, pour également essayer de concilier les positions.
Pour le Niger et pour la Cédéao, l’enjeu est donc de taille. Des décisions que prendront les chefs d’Etat, dépendront presque la crédibilité ou la survie d’une organisation plus que jamais à la croisée des chemins. A Niamey, en tout cas, on a déjà commencé à hausser le ton au cas où les sanctions considérées comme « illégales, inédites et inhumaines » sont maintenues. « S’il faut que nous quittions la CEDEAO ou l’UEMOA, nous le ferons car leur attitude vis-à-vis du Niger aujourd’hui fait plus mal et s’il faut que nous restions, les dirigeants de ces institutions doivent comprendre que ce sont des institutions d’intégration, faute de quoi, nous ne resterons pas », n’a pas hésité à déclarer le chef de la diplomatie nigérienne, Bakary Yaou Sangaré, samedi 02 décembre alors qu’il recevait la copie figurée de la lettre de créance de Kathleen FitzGibbon, la nouvelle ambassadrice des Etats-Unis au Niger. Il est vrai que le contexte particulier et lui-même inédit du coup d’état du 26 juillet, a fait que les dirigeants ouest-africains sont allés trop loin dans les sanctions qui au final affectent plus les populations que les responsables militaires. Le Commissaire politique et sécurité de la Cédéao Musah a d’ailleurs lui-même reconnu qu’il s’agit d’une manière pour faire pression sur la junte et « qu’on ne fait pas des omelettes sans casser des œufs ». Des propos fort peu diplomatiques il faut l’avouer et qui ne vont pas dans le sens de l’apaisement mais qui irritent au contraire d’autant que les effets de ces sanctions n’affectent pas seulement le Niger mais également l’économie des pays voisins comme au Nigeria ou au Bénin où les populations se sont indignés de ces mesures aux antipodes du slogan de l’organisation qui prône « une Cédéao des peuples : paix et prospérité pour tous !». C’est le cas de le dire et pour paraphraser le « Monsieur Paix de la Cédéao », on ne fait certes pas des omelettes sans casser les œufs, mais cette fois et à l’allure que prennent les choses, on risque de briser même la casserole…
Aboubacar Yacouba Barma (actuniger.com)
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