CEDEAO : unanimes sur la restauration de l’ordre constitutionnel au Mali, les chefs d’Etat divergent sur la manière d’y parvenir
Lors du Sommet extraordinaire d’urgence des Chefs d’Etat sur le Mali de ce jeudi 20 Août, deux positions se sont clairement distinguées sur la démarche à suivre pour faire respecter les textes de la CEDEAO et dissuader une bonne fois pour toutes les soldats à tenter les coups de force contre des présidents élus : les « radicaux » qui sont partisans de la manière forte à l’image des présidents ivoirien ADO et nigérian Buhari, ainsi que les modérés comme le béninois Talon et dans une moindre mesure, le sénégalais Macky Sall, qui ont plaidé pour un assouplissement des sanctions surtout économiques. Au final, les chefs d’Etat ont plutôt privilégié une solution intermédiaire, une manière de temporiser et de doser la riposte en fonction de l’évolution de la situation …
Le Président en exercice de la Conférence des chefs d’Etat de la CEDEAO, le nigérien Mahamadou Issoufou, a planté le décor dès l’ouverture du sommet d’urgence sur la situation au Mali : l’enjeu de la rencontre est de faire respecter le Protocole additionnel de la CEDEAO sur la Démocratie et la Bonne gouvernance qui bannit tout « changement politique anticonstitutionnel » pour quelques raisons que ça soit et surtout par « des putschistes ». Il s’agit de la fameuse « ligne rouge » que la junte militaire malienne a franchit malgré les mises en garde de la CEDEAO, au soir du mardi 18 août dernier, en acculant à la démission un président démocratiquement élu pour s’accaparer par la suite du pouvoir. En cela, tous les chefs d’Etat de la CEDEAO sont d’accord qu’il faut restaurer l’ordre constitutionnel au Mali d’autant que de la stabilisation du pays, déjà en proie à une crise sécuritaire, dépend également celle de la région. Cependant, les chefs d’Etat ont divergé sur la démarche pour y parvenir.
L’option de la manière forte n’a pas fait long feu pour le moment
Très attendue par les maliens et la communauté internationale, les résolutions du Sommet extraordinaire de la CEDEAO sur le Mali se sont, en effet, limitées au maintien des décisions déjà annoncées par l’organisation le mardi dernier, quelques heures après la démission forcée d’IBK et la prise de pouvoir par le CNSP. Des menaces de sanctions et d’intervention militaire avec la Force en attente ainsi qu’un blocus certes mais aussi une main tendue aux putschistes avec l’envoi prochaine d’une mission de haut niveau pour une nouvelle et incertaine médiation. Malgré la portée de ces mesures, et leur impact socioéconomique pour la population, force est de reconnaitre qu’elles sont loin des « mesures fortes » comme annoncé par le président nigérien Issoufou Mahamadou, président en exercice de la CEDEAO. La manière avec laquelle la CEDEAO a vigoureusement réagit aux évènements, avec des sanctions bien avant l’annonce de sa démission par IBK et celle de la prise de pouvoir par les putschistes, faisait craindre un recours à l’option de la force pour contraindre les militaires à regagner leurs casernes afin que cela ne fasse pas tâche d’huile dans la région. Il s’en est fallut pourtant de peu au regard des positions radicales affichées par certains chefs d’Etat qui auraient bien voulu l’envoi d’urgence de la Force en attente de la CEDEAO à Bamako pour dissuader à jamais les soldats à se rêver en sauveur des peuples et en restaurateur de la démocratie. Pour l’heure et au regard de ce qui est ressorti du Sommet, les chefs d’Etat ont visiblement opté pour différer l’option de la manière forte que privilégiée pourtant certains d’entre-deux.
Alassane Ouattara, partisan de la manière forte
Le président Alassane Dramane Ouattara a été le plus radical des partisans de la ligne dure à l’égard des putschistes. « Nous devons agir, avec détermination afin d’obtenir, par tous les moyens, le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Mali », a-t-il déclaré à l’entame du sommet. Lors de son intervention, il n’a pas manqué de faire un rappel des faits qui se sont passés entre mars et avril 2012 et qui ont occasionné le départ d’Amadou Toumani Touré (ATT), qui était également, selon le président ADO, un président démocratiquement élu dont le mandat a été écourté par l’irruption des militaires sur la scène politique du pays. A l’issue du Sommet et vue que la manière forte n’a pas été véritablement prise en compte selon sa vision, « par tous les moyens », il s’est contenté de « saluer les décisions fortes que nous avons prises, à l’unanimité, au cours du Sommet extraordinaire de la CEDEAO, pour une sortie de crise au Mali, notamment la libération immédiate du Président IBK et de tous les officiels arrêtés... »
Buhari pour une action rapide mais responsable pour restaurer l’ordre constitutionnel
Dans cette voie, le chef de l’Etat ivoirien aurait pu compter sur son homologue nigérian, celle d’agir vite et de manière forte afin de donner l’exemple. Muhamadu Buhari a aussi estimé que les événements qui se déroulent actuellement au Mali « constituent un grand revers pour la diplomatie régionale, avec de graves conséquences pour la paix et la sécurité en Afrique de l'Ouest ». C’est pourquoi il a plaidé auprès de ses pairs pour « agir de manière responsable afin d'assurer le rétablissement de l'ordre constitutionnel, la paix et la stabilité » du Mali. Tout en soutenant que le Nigéria soutient fermement les efforts du président de la CEDEAO, le président Mahamadou Issoufou, pour des consultations régionales et continentales plus larges avec la CEDEAO, l'UA et l'ONU, et l'adoption de « mesures fortes pour apporter une résolution rapide à la situation », Buhari a insisté sur la nécessité de restaurer la stabilité au Mali. «La stabilité du Mali est primordiale et cruciale pour la stabilité de la sous-région. Nous devons tous unir nos efforts, la CEDEAO, l'UA, l'ONU et les autres parties prenantes, et travailler ensemble jusqu'à la normalisation de la situation au Mali avec la restauration d’un régime civile», a défendu Muhammadu Buhari.
Alpha Condé d’accord pour contraindre les militaires à retourner dans leurs casernes et à respecter l’ordre constitutionnel
Le Président de la Guinée, a également partagé la position de principe de ses homologues de « condamner de façon très ferme le coup d’Etat ». S’il a défendu la décision de rétablir le président IBK dans ses fonction, « car il a été élu pour 5 ans et doit donc finir son mandat », le Pr. Alpha Condé a toutefois ajouté que « l’action immédiate à mener est non seulement la libération du Président IBK, mais aussi de tous les autres responsables et assurer leur sécurité ». De l’avis du président Condé, la deuxième action à mener est comme l’a dit le Président Buhari, « le retour à l’ordre constitutionnel ». Le Président Professeur a insisté sur le fait qu’il est extrêmement important « qu’à chaque fois qu’on prenne des mesures d’insister sur la coopération ». Cependant, a-t-il ajouté, « il y a certaines mesures que nous devons prendre afin de contraindre les putschistes non seulement à retourner dans les casernes, mais aussi à respecter l’ordre constitutionnel. Il est extrêmement important que nous montrons notre solidarité à nos frères Maliens, mais que nous exigions aussi que les responsables démocratiquement élus terminent leur mandat dans la paix et la sécurité ».
Macky Sall ferme contre le coup de force mais pas trop emballé par un embargo total
Le président sénégalais s’est montré aussi ferme contre le renversement du pouvoir d’IBK par un coup de force, ce qui est contraire aux textes de la CEDEAO. «Le coup de force contre un Président démocratiquement élu constitue une violation du protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance. Il nous faut agir avec responsabilité et célérité afin d’éviter que le Mali ne sombre dans un vide institutionnel et dans une impasse politique ». Toutefois, il a plaidé pour tenir compte de certains « impératifs humanitaires » dans la démarche de la CEDEAO visant à imposer un blocus économique et commercial au Mali. « J’ai appelé la CEDEAO à réapprécier les sanctions annoncées, pour tenir compte des impératifs humanitaires. Les denrées de première nécessité, les produits pharmaceutiques et pétrolier ne seront pas concernés par l’embargo », a fait savoir Macky Sall. Et visiblement il a été entendu car cela a été bien pris en compte dans le communiqué final ayant sanctionné le Sommet.
Roch Kaboré : la libération immédiate d’IK comme l’urgence du moment
Le président burkinabé a été lui aussi, partisan « d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel au Mali ». Car, a rappelé Roch Marc Christian Kabor, « cette grave crise, à l’image du coup d’Etat de 2012, est porteuse de sérieux risques sur la stabilité du Mali et sur la sécurité déjà fragile dans la région ». Il a souhaité « des mesures fortes » pour une résolution de cette crise « afin que nous puissions nous concentrer sur la lutte contre le terrorisme qui menace les fondements de nos nations ». Mais pour le Président Roch Kaboré, l’urgence pour le moment, c’est d’obtenir de la junte « la libération du président IBK et des autres officiels arrêtés ».
Le Président Talon pour l’assouplissement des sanctions économiques
Les maliens doivent également dire merci au président béninois. S’il a été également d’avis sur la nécessité de parvenir à la restauration de l’ordre constitutionnel au Mali, il a toutefois émis des craintes sur « un isolement total du Mali ». A cet effet, et en s’appuyant sur son homologue sénégalais, Patrice Talon a plaidé et obtenu de ses pairs, « un assouplissement des sanctions économiques ».
A noter qu’à l’issue du Sommet, les dirigeants de la CEDEAO ont convenu de se retrouver dans une semaine, afin de faire le bilan de l’évolution de la situation et de décider des mesures à prendre pour la suite. D’ici-là, les lignes auront forcément bougé…
A.Y.Barma (actuniger.com)
Commentaires
cher journaliste, vous devez aussi rappeler ce que le pr