Coopération/Migration : pour le ministre Bazoum Mohamed, l’aide de l’UE en matière d’investissements n’est pas à la hauteur des efforts du Niger
Le ministre d’Etat en charge de l’Intérieur, Bazoum Mohamed a accordé une interview exclusive à la Deutsche Welle (DW) en marge de la visite qu’effectue, du 2 au 3 mai, la chancelière allemande Angela Merkel au Niger. Dans l’entretien, le ministre Bazoum a évoqué la situation sécuritaire ainsi que les défis migratoires auxquels est confronté le Niger. Pour Bazoum Mohamed, le Niger a consenti d’énormes efforts pour endiguer les flux migratoires ces dernières années. Toutefois, il a estimé que les investissements promis notamment par l’Union européenne (UE) ne sont pas à la hauteur des attentes des autorités nigériennes et surtout des efforts consentis. Il a en ce sens plaidé pour le renforcement de l’aide des pays européens notamment l’Allemagne.
Voici l’intégralité de l’entretien accordé par le ministre de l’Intérieur Bazoum Mohamed à la DW :
L'Union européenne a identifié le Niger comme un partenaire stratégique dans la lutte contre l'immigration clandestine. S'il vous plaît donner des exemples ou statistiques qui montrent le succès dans ce domaine ? Veuillez également préciser, si possible en détail, les défis les plus pressants qui restent.
Lorsqu’en juillet 2016 après une visite dans la région d’Agadez j’ai décidé de prendre à bras le corps le phénomène de la migration en direction de la Lybie des jeunes en provenance des pays africains de l’Ouest et du centre de l’Afrique, nous avons décidé de mettre en place un dispositif pour avoir une idée précise du nombre de jeunes africains dont le profile est un profil est un profil de migrant de la Lybie, en destination de l’Europe.
Nous avons alors découvert que chaque jour, vous avez à peu-près 350 jeunes africains, profils migrants, qui avaient l’intention d’en ressortir pour aller vers la Lybie. Nous avons décidé de faire en sorte que nous les empêchions, de sortir de la ville d’Agadez, de traverser le Sahara, de franchir la frontière Libyenne. Nous avons mis en place, à cet effet, un dispositif pour les repérer, les identifier et les retourner, le cas échéant. Et nous avons retourné beaucoup de véhicules transportant ces migrants à la sortie d’Agadez, dans le désert et jusqu’à la frontière.
Ainsi, l’an passé, au mois d’avril, le nombre d’africains, avec le même profil, qui rentre dans la ville d’Agadez était de 100 personnes par semaine. Nous sommes donc passés de 350 personnes par jour à 100 personnes. Ça, ce sont des chiffres qui sont pertinents. Nous avons adopté une loi que nous avons adoptée au cours de l’année 2015 et qui criminalise le transport illicite des migrants. Un certain nombre d’acteurs de cette activité ont été identifiés et criminalisés.
À la faveur des mesures que nous avons prises depuis 2016, nous avons arrêté 300 véhicules de transport de migrants que nous avons déféré en justice. Nous avons arrêté plusieurs centaines de passeurs et à peu près 300 trafiquants qui ont été jugés et condamnés à des peines de privation de liberté.
Il semble que le Niger soit l’une des destinations les plus populaires de la chancelière allemande Angela Merkel - c’est la deuxième fois en deux ans et demi qu’elle se rend en visite après qu’aucun autre chef du gouvernement allemand ne l’ait jamais visitée auparavant. Comment décririez-vous les relations entre le Niger et l'Allemagne ?
Je pense que la Chancelière qui est une personne sensible et une personne honnête a pu mesurer les résultats auxquelles sont parvenues les autorités actuelles du Niger dans un environnement fait de grands défis.
Le Niger se situe entre le Niger et le Nigeria où, à sa frontière sévit l’organisation terroriste connue sous le nom de Boko Haram. Le Mali où le Nord est en proie aux agissements d’organisations terroristes islamique. La Lybie où il n’y a pas d’État et dont le Sud est devenue la plateforme de la criminalité transnationale organisée.
Le Niger, comme vous le voyez, est entre deux foyers de déstabilisation majeure. C’est un pays qui n’a pas beaucoup de ressources. C’est un pays plutôt pauvre qui a été instable au cours des décennies précédentes mais qui a pu tenir le coup. C’est un pays qui a pu organiser un État de droit et qui a su organisé une gouvernance vertueuse qui a généré cette stabilité tout à fait remarquable, cette harmonie, cette cohésion nationale qui fait des efforts sur le plan de la croissance économique. Si on devait se fier à des paramètres généraux, il était difficile de parier que le Niger, dans cet environnement, puisse rester stable comme il l’est et de l’avoir été, cela a été reconnu par ses partenaires. Et c’est une sorte d’hommage que rend la Chancelière Angela Merkel d’aimer le Niger et de lui témoigner son amitié en y venant deux fois en deux années.
Quelle est la situation humanitaire des migrants au Niger ?
Non, les migrants n’ont pas de situation humanitaire. Je vous ai même dit que les flux ont cessés par conséquent, nous n’avons pas beaucoup de migrants au Niger. C’est plutôt les réfugiés plutôt qui ont une situation humanitaire mais pas les migrants.
Avez-vous trouvé de nouvelles stratégies pour patrouiller le Sahara et les voies d’accès à la Libye ?
Oui, nous avons notre dispositif de contrôle des frontières qui est confié à notre armée. Évidemment, l’espace est très vaste, nos moyens sont réduits mais l’Allemagne nous a beaucoup aidés de ce point de vue. Elle a notamment mis à notre disposition plus de 100 véhicules 4X4, plus de 100 motos avec des moyens de télécommunication modernes. Elle a mis en place à Agadez un garage avec beaucoup de pièces détachées pour assurer la maintenance des véhicules et des motos mis à notre disposition. Ça a été un coup de fouet à notre capacité de contrôle de nos frontières et de cet espace très vaste de la région d’Agadez et ce dispositif est en place, il est fonctionnel et il donne les résultats dont je vous ai parlé, relativement à la migration tout à l’heure.
Sur les sept pays voisins du Niger, six sont en crise politique. Quel est l'effet de la situation géopolitique instable sur le Niger ?
L’instabilité des pays voisins affecte forcément un pays, quel qu’il soit et quelles que soient ses capacités et ses moyens. En l’espèce, nous faisons face à des agressions des criminels de Boko Haram sur une frontière de 200 km où chaque espace est un espace par lequel peut arriver une menace qui peut affecter des villages dont les populations sont pillées, enlevées, tuées. Des populations contre lesquelles ils se font des extorsions, des demandes de rançon. Il arrive que nos forces de défense et de sécurité soient elles aussi agressées, il y a des mines qui sont posées, il y a des kamikazes qui agissent. Évidemment, tout cela a un impact sur l’économie de la région, sur nos capacités de mobiliser en permanence des forces qui sont susceptibles de faire face à cette situation. Ça, c’est un grand défi en ce qui concerne la situation dans le bassin du Lac Tchad, à notre frontière avec le Nigeria.
Avec le Mali, nous avons une frontière de 800 km, elle aussi poreuse, non contrôlée et où, pour l’essentiel, nous n’avons pas à faire à des autorités maliennes mais à des bandits, à des criminels, à des terroristes qui utilisent également des mines anti personnels et anti chars qui nous causent des dégâts et qui agissent sur les populations, qui brulent des écoles. Tout cela a pour effet « de faire distraire » des ressources importantes de notre budget dans des investissements pour assurer notre sécurité, là où nous aurions pu faire ces investissements dans les écoles, dans routes, dans la santé…
Nous mobilisons des ressources importantes pour faire face à l’insécurité générée par l’instabilité de nos voisins et l’économie des zones frontalières est affectée aussi par cette insécurité. Et tout cela a un contrecoup sur les performances de notre économie et sur nos capacités d’action dans les domaines sociaux de base.
Les services de migration étaient un facteur important pour l'économie du Niger. Avec les nouvelles limitations - le gouvernement a-t-il trouvé d'autres domaines d'emploi? Si oui, sont-ils aussi lucratifs ?
Non, nous ne sommes pas un pays de départ des migrants vers l’Europe. Nous, nous sommes un pays de transit. Nous n’avons pas interdit au Nigériens d’aller vers les pays de leurs destinations habituelles. Les Nigériens continuent à aller en Algérie, en Côte d’Ivoire, en Lybie… Le problème pour le Niger, c’était de pouvoir empêcher que des jeunes venus d’ailleurs traversent notre territoire pour aller en Lybie et continuer sur l’Europe parce que tout simplement, en vérité, les réseaux du crime organisé sont interconnectés.
Quand vous avez des réseaux de transport de migrants qui sont prospères, c’est qu’en retour, lorsque les migrants sont déposés en Lybie, les véhicules qui ont servi à les transporter servent à transporter des armes pour revenir. Ces mêmes véhicules servent à transporter de la drogue, du carburant en fraude. En fait, notre politique de lutte contre la migration n’a pas un impact direct sur notre jeunesse.
C’est vrai qu’il y une économie qui s’est créée dans la ville d’Agadez et ailleurs. Les compagnies de transports passagers ont aussi été affectées par la réduction du nombre des migrants mais nous avons essayé avec l’aide de l’Union européenne et de nos partenaires européens, de promouvoir des projets dans la ville d’Agadez, qui sont de nature à donner des chances d’emplois alternatifs à ceux qui vivaient de l’économie liée à la migration clandestine.
L’Allemagne y a contribué également mais pour être honnêtes, nous ne sommes pas très satisfaits des investissements qui ont été faits et qui avaient vocation à créer des opportunités alternatives à l’économie liée au trafic des migrants.
Certaines ONG ont critiqué l'Allemagne, et en partie l'UE, pour avoir axé sa politique africaine principalement sur les migrations sans fournir suffisamment d'aide humanitaire. Quelle est votre opinion à ce sujet, notamment en ce qui concerne le Niger ?
En ce qui concerne le Niger, pour le rôle que nous avons joué dans la réduction des flux de migrants vers l’Europe, nous n’avons pas bénéficié d’investissements conséquents, de nature à régler les effets induits de notre politique.
Nous aurions voulu avoir davantage d’investissements pour intéresser tous les jeunes des différentes villes par lesquelles passent les migrants, qui ont vu se développer une économie pour faciliter le passage des migrants en question.
Un certain effort a été fait par l’Allemagne notamment, et de certains pays de l’Union européenne. Mais cela, de notre point de vue est totalement insuffisant. Et nous avons comme le sentiment d’une petite déception à cet égard.
Qu'attendez-vous de l'UE dans les années à venir ?
De façon générale, nous attendons de l’Union européenne qu’elle continue à poursuivre sa coopération avec des pays comme le Niger, qu’elle continue à investir dans les infrastructures routières, dans le domaine de la santé, que sa doctrine soit plus souple pour accepter de plus en plus des engagements sur les défis sécuritaire car, si un pays n’est pas stable, il est impossible, qu’en quoi que ce soit, il puisse se développer, quels que soient les moyens qu’on peut mettre à sa disposition.
Donc, voilà, nous voulons que l’Union européenne considère les efforts du Niger et l’assiste à la hauteur de l’engagement de ses dirigeants à promouvoir la bonne gouvernance, à délivrer des services sociaux de qualité et à lutter tout simplement contre la pauvreté.
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