Aichatou Kané : « La lutte contre les djihadistes coûte très cher au Niger »
La ministre du Plan du Niger, Aichatou Kané, coordonne les travaux de la Table Ronde et du Forum des investisseurs privés au Niger, en marge du G5 Sahel à Paris mercredi et jeudi.
On parlera économie à votre forum, en marge d'un G5 centré sur les questions militaires. Quel message voulez-vous faire passer ?
Il s'agit de promouvoir auprès de nos partenaires privés, bailleurs de fonds et ONG, notre Programme de développement économique et social (PDES) 2017-2021, qui vise à accélérer la croissance du Niger. Il repose sur deux piliers. La transformation du milieu rural tout d'abord, qui concentre 80 % de la population, avec le programme inédit Initiative 3N (les Nigériens nourrissent le Niger) fondé sur l'irrigation pour étendre la production agricole sur toute l'année, alors qu'elle se concentre actuellement sur les trois mois de la saison des pluies, où il tombe autant d'eau qu'à Paris en un an. Nous perdons 100.000 hectares par an du fait de la désertification, notre objectif est d'en reconquérir 200.000 chaque année par une meilleure gestion de l'eau, la plantation d'arbres, etc. La hausse de la production agricole permettrait en outre de fixer dans leurs localités les jeunes scolarisables, qui sinon migrent vers les pays voisins, voire plus loin. Autre exemple, nous voulons amener l'électricité dans mille villages.
Deuxième pilier, le développement du secteur privé, auprès de qui nous pouvons faire valoir un bond de 30 places en cinq ans du Niger dans le classement Doing Business de la Banque mondiale. Les opportunités sont considérables dans l'énergie, le numérique, l'agro-alimentaire. Le Niger dispose de ressources naturelles, d'une main d'oeuvre jeune, est membre de deux espaces économiques intégrés, l'UEMOA, qui assure une monnaie convertible, et la CEDEAO, pesant 300 millions de consommateurs. On peut aussi venir chez nous pour exporter vers le Nigeria, 180 millions d'habitants à nos portes. Nous disposons aussi des garanties qu'apporte le fonds de la Banque Mondiale pour les pays les plus pauvres, IDA 18. C'est essentiel, car notre pays subit trois chocs, climatique, sécuritaire et lié au reflux des cours des matières premières.
On pourrait y ajouter le choc démographique. Comment votre pays compte-t-il y faire face ?
Il est exact qu'avec 7,6 enfants par femme, nous avons le taux de fécondité le plus élevé de la planète. Notre objectif en termes de fertilité est de descendre à 5,6 enfants par femme en 2021. Nous avons prévu au sein du PDES des actions pour amorcer la transition démographique, avec du soutien au planning familial et une action résolue contre la mortalité infantile, car ce fléau peut pousser des femmes à faire plus d'enfants par précaution. Rendre effectif la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans permet aussi de lutter contre les mariages précoces, à 14 ans, et permet d'augmenter le taux de scolarisation des jeunes filles, qui n'est que de 38 % en milieu rural à l'école primaire. Nous visons 50 % en 2021.
Comment s'articule votre forum avec le G5 Sahel consacré concomitamment à la lutte contre les djihadistes ?
On ne peut pas parler développement ou investissements sans parler sécurité, qui en est la condition sine qua non, ainsi que pour assurer des corridors d'échange et de commerce. Nous voulons mener les deux parallèlement. De ce point de vue, l'organisation d'un sommet G5 Sahel à Paris envoie un message positif aux participants du forum, auquel assisteront d'ailleurs des dirigeants de premier plan des partenaires du Niger. J'espère que ce sommet sera l'occasion de débloquer des financements, car la lutte contre les djihadistes coûte très cher, et fait peser un fardeau insupportable sur des pays comme le Niger, qui sont en première ligne alors que la sécurité est un bien public mondial. Je suis confiante quand je vois le nombre de marques d'intérêt qui affluent vers nous.
Yves Bourdillon
Les Echos
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