Sommet climat à Paris : le président du Niger «attend les 100 milliards promis»
Mahamadou Issoufou, le président du Niger, s’exprime sans détour sur le réchauffement climatique, les migrants esclaves, le terrorisme… Pour lui, l’idée d’une intervention armée en Libye ne doit pas être exclue.
Le président nigérien participe ce mardi dans la capitale au sommet d’étape sur le climat voulu par Emmanuel Macron, deux après les engagements de la Cop 21. Mahamadou Issoufou aura une nouvelle rencontre mercredi avec le chef de l’Etat, ainsi notamment qu’avec la chancelière allemande Angela Merkel, pour un mini-sommet sur la lutte contre le terrorisme en Afrique sahélienne.
Le sommet climat aujourd’hui à Paris, c’est un sommet de plus ?
Mahamadou Issoufou. Il a son utilité, car la France joue un rôle très actif pour mettre en œuvre l’accord de Paris, avec l’objectif de limiter la hausse de la température à moins de 2 degrés. Cela signifie en réalité pour l’Afrique moins de 1,5° : car quand la température augmente de 2°, c’est 3° et même 3,5 pour l’Afrique. Il faut mobiliser les financements pour appliquer les mesures d’adaptation et d’atténuation décidées à la COP 21 il y a deux ans. Des promesses ont été faites, 100 milliards de dollars par an avant 2020 pour les pays développés, nous espérons qu’elles vont être concrétisées.
On voit repartir à la hausse les émissions de gaz à effets de serre, notamment de la part de la Chine…
L’Afrique est la grande victime, car elle ne pollue pas et n’a jamais pollué. Nous disons à ces pays qu’ils mettent nos vies et les leurs en danger. Mais la prise de conscience se renforce, la Chine fait des efforts, elle s’engage dans un programme nucléaire ambitieux, qui réduira la part du charbon.
A quelle condition serez-vous satisfait ce soir ?
Je souhaite que les participants disent : on a réuni les 100 milliards promis. La planète est sauvable, on n’a pas atteint le niveau de non retour
Il y a quinze jours, au sommet Union africaine-Union européenne d’Abidjan, une action de secours des migrants esclaves en Libye a été décidée sous l’impulsion du président Macron : où en est-on ?
Ces images montrant des pratiques inimaginables, d’un autre temps nous ont choqué. Nous avons déjà rapatrié au Niger 500 ressortissants, sur 4000 ayant manifesté le désir de rentrer. J’ai dit qu’il faut une enquête pour identifier les responsables afin qu’ils soient effectivement punis.
Les renvoyer devant la Cour pénale internationale ?
Oui. Mais il appartient à l’Union africaine et à l’Onu d’arrêter les modalités d’enquêtes, de mettre en place une Task-force pour protéger les migrants actuellement en Libye, qui ne peuvent ni retourner dans le pays d’origine ni continuer le voyage vers le pays d’accueil. Le vrai problème en Libye c’est qu’il n’y a pas d’autorité, pas d’Etat. Les migrants en souffrent, mais le peuple libyen aussi. L’ONU, l’UA et l’UE ont un rôle primordial à jouer pour sortir ce pays du chaos.
Une intervention armée en Libye est-elle envisageable, malgré le précédent fâcheux de 2010 ?
Moi j’ai une obsession, c’est l’efficacité. Je ne rejette a priori aucune solution : la fin justifie les moyens. Il faut restaurer un Etat qui contrôle la situation. On ne peut pas en rester là, comme en Somalie plongée dans le chaos depuis 17 ans.
Ces images de marché aux esclaves peuvent dissuader de jeunes Africains, Nigériens de se lancer dans la migration ?
Beaucoup de jeunes Africains savaient déjà qu’il y a des risques à traverser le désert, la Méditerranée. Les médias relatent le nombre de morts, et cela ne les dissuade pas de partir vers l’Europe. Au Niger, nous prenons des mesures pour lutter contre les migrations clandestines.
Lesquelles ? Que dites-vous aux Nigériens qui reviennent de cet enfer pour qu’ils restent ?
On leur propose une réinsertion sociale et économique, et s’ils le souhaitent le retour dans leurs villages d’origine. C’est ce qu’on fait aussi pour les autres Africains en transit par le Niger. Beaucoup sont volontaires pour le retour dans leur pays, dans ce cas on les présente à l’OIM – Office international des migrations – qui les aide, fournit une formation et un pécule.
Mais vous avez les moyens de cette politique ? Sinon ils ne seraient pas partis une première fois…
C’est justement pour cela que nous mettons sur pied un plan de développement avec le soutien du Fonds fiduciaire de l’UE. On essaie de reconvertir les passeurs dans le tourisme, l’agriculture, l’artisanat pour qu’ils renoncent à leur activité criminelle. Quant aux jeunes tentés par la migration on essaie de leur trouver formations et emplois. Mais c’est une œuvre de longue haleine.
Comment accélérer les choses ?
Le Fonds n’est pas suffisant, de l’ordre de 1,8 milliard d’euros pour le continent. Pour le seul Niger il faudrait un milliard ! Pour assurer le développement durable de l’Afrique, il faudrait 600 milliards de dollars par an !
Quel est votre objectif ? Zéro jeunes qui émigrent ?
C’est la nécessité qui amène les gens à partir, ils préfèrent rester dans leur village s’ils ont un emploi. Au Niger, nous avons réussi un taux de croissance annuel moyen de 6,7%, qui a permis la création de dizaines de milliers d’emplois. Mais cela ne suffit pas, car 75% des Nigériens ont moins de 25 ans, il faut créer des millions d’emplois. Notre priorité, ce sont les infrastructures, routières, énergétiques, ferroviaires, etc, parce que c’est le socle du développement. A court terme, le domaine qui crée beaucoup d’emplois c’est l’agriculture : trois pauvres sur quatre vivent en milieu rural. On est en train de fixer les jeunes dans des travaux à haute intensité de main d’œuvre, comme la lutte contre la désertification. On perd 100 000 hectares de terre chaque année, l’objectif est d’en récupérer 200 000, ça crée des emplois. Par des moyens simples, une pelle, une digue, on bâtit des ouvrages pour réduire l’érosion, développer l’irrigation.
Les pays d’Europe ne devraient pas faire plus d’efforts dans l’accueil des migrants ?
Chaque pays a ses contraintes. La montée de l’extrême-droite est un facteur à ne pas négliger. Je ne jette pas la pierre aux Européens, c’est à moi aussi de prendre mes responsabilités, en tant que président africain, pour offrir un avenir aux jeunes. C’est trop facile de critiquer les autres, mais que fait-on soi-même pour son peuple ? C’est ça qui importe.
Emmanuel Macron a estimé que la forte natalité est un obstacle au développement, il a raison ?
La baisse de la natalité est dans mon programme. Le taux de croissance de notre population s’élève à 3,9% par an, à ce rythme elle va doubler tous les 18 ans. Ce n’est pas gérable, notre objectif est de réduire ce taux à 3%.
Comment ?
En prenant des mesures dans l’éducation, notamment le maintien des jeunes filles à l’école le plus longtemps possible. En rendant l’école obligatoire pour tous jusqu’à 16 ans, nous pourrons mettre fin aux mariages précoces des jeunes filles à 12 ans, donc aux grossesses précoces qui alimentent la croissance démographique. Une jeune fille restant à l’école jusqu’à 16 ans ne va pas se marier à 12.
Craignez-vous que la décision du président américain Donald Trump sur Jérusalem attise les jihadistes à travers le monde ?
C’est possible. La première organisation à prendre position de manière violente a été le Hamas. Cela peut amener certains musulmans à se dire que les jihadistes ont raison de chercher le rapport de force avec l’Occident, puisque finalement c’est la raison du plus fort qui s’impose. Nous sommes très préoccupés, car nous sommes une zone très menacée, avec nos voisins comme la Libye, le Mali, le lac Tchad avec Boko Haram…
Vous tenez demain un mini-sommet sur le terrorisme avec Emmanuel Macron, Angela Merkel, dans quel but ?
Avec un certain nombre de pays – Mali, Mauritanie, Burkina-Faso et Tchad - nous avons décidé de mutualiser nos capacités militaires et de renseignement pour faire face à la menace. C’est le G5 Sahel, la mise en place d’une force conjointe, un peu comme la coalition internationale contre Daech en Irak et en Syrie. Cette force a besoin de ressources pour démarrer, moyens financiers, équipement, véhicules, drones… Demain, nous plancherons sur le financement : il faudrait 250 à 400 millions de dollars pour la première année puis cent par an, car c’est un combat sur la durée.
Les forces françaises basées au Niger – Rafale, drones, forces spéciales – sont appelées à rester longtemps ?
Il faut leur poser la question ! C’est une présence nécessaire, car la menace est sérieuse et elle ne concerne pas que notre région, mais l’Europe aussi. La France l’a bien compris et c’est pour cela qu’elle s’est engagée dans l’opération Serval puis Barkhane, qui ont été efficaces.
Contrairement aux drones américains postés chez vous, les français ne sont pas armés. Vous seriez favorable à leur armement ?
J’ai un objectif, la sécurité du peuple nigérien, pour cela je suis prêt à mettre tous les moyens pour coopérer avec tous nos amis. Le terrorisme est une menace internationale, il faut une réponse internationale.
Le Parisien
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