Niger-Arabie Saoudite : des pétrodollars contre des terres arables ?
Le Niger et le Royaume d’Arabie Saoudite viennent de conclure plusieurs accords de coopération destinés à booster les investissements entre les deux pays. Un nouveau deal qui remet à l’ordre du jour, le très controversé projet d’achat de terres arables au Niger qu’envisagent des investisseurs saoudiens.
Que cache le nouveau deal entre le Niger et le Royaume d'Arabie Saoudite ? C'est la grosse interrogation de l'heure au Niger à la suite des nouveaux accords signés par les deux pays à l'occasion de la visite officielle de 5 jours que vient d'effectuer le chef d'Etat nigérien Mahamadou Issoufou en terre sainte. Le président nigérien accompagné d'une importante délégation composée de plusieurs ministres et d'hommes d'affaires, a reçu un accueil en grande pompe de la part des autorités saoudiennes avec à leur tête le roi Salman Bin Abdulaziz Bin Al Saoud qui l'a décoré de la médaille du Roi Abdel Aziz, « la plus haute distinction du royaume saoudien ».Durant son séjour, la délégation nigérienne a eu plusieurs séances de travail avec les responsables saoudiens en charge des questions de développement notamment le Fonds saoudien pour le développement (FSD) ou la Banque islamique de développement (BID).
L'accord prévoit, entre autres, l'examen et l'adoption des voies et moyens en vue de stimuler le commerce et les investissements entre les secteurs d'affaires saoudien et nigérien à travers l'échange d'informations économiques relatives à leurs marchés respectifs ainsi qu'aux opportunités commerciales et au renforcement des partenariats entre les opérateurs des deux pays. Selon la présidence nigérienne, les deux pays ont également paraphés quatre accords bilatéraux dont un en matière de coopération sécuritaire et autre relatif à un prêt pour le Projet de construction et d'équipement des écoles primaires dans toutes les régions du Niger. Les deux parties ont aussi convenues d'un accord de prêt additionnel relatif au Barrage de Kandadji et d'un Mémorandum d'entente relatif au Programme saoudien de construction de forages, de fonçage de puits et de développement rural en Afrique.
La moisson a été bonne donc pour le Niger surtout qu'en marge de sa visite, le président nigérien a également reçu le soutien du président du Groupe de la Banque Islamique de Développement (BID), Dr. Bandar Al Hijar, pour l'amplification des interventions de l'institution au Niger dans le cadre du nouveau programme triennal 2018-2020 que le Niger et la BID sont entrain d'élaborer.
Projet controversé de concession de 120.000 hectares
La signature de ces nouveaux accords qui annoncent de nouveaux financements saoudiens au Niger ne sont pas sans soulever des inquiétudes au Niger notamment au niveau de la société civile qui surveille depuis quelques temps, l'état de la coopération entre les deux pays. En cause, la signature envisagée un temps et à travers un Partenariat Public Privé (PPP), entre le Niger et une société saoudienne, Al Horaish for Trading & Industrie, pour la mis en valeur et l'exploitation de terres arables au Niger.
Il y a quelques mois et alors que le contrat était sur le point d'être paraphé, une vive polémique a enflé au Niger sur les dessous de ce deal pourtant validé par les autorités régionales de Diffa, dans le bassin du Lac Tchad, qui aiguise l'appétit des investisseurs saoudiens. La société civile était montée au créneau ce qui avait permis de reporter la validation par les autorités nigériennes de l'accord.
La société Al Horaish déjà présente en Arabie saoudite, en Egypte, au Soudan et dans d'autres pays d'Asie et d'Amérique est partenaire de plusieurs sociétés américaines, canadiennes et française à travers des unités industrielles spécialisées, entre autres, dans le secteur de l'agro-industriel et de l'élevage. Et justement un des accords signés par le Niger et l'Arabie Saoudite porte sur la promotion des investissements dans ces secteurs. C'est en tout ce qu'a expliqué le vice président du patronat saoudien Shuwaimi Al-Kattab, lequel a souligné que son pays envisage de :
« renforcer ses relations économiques avec le continent africain, en particulier avec le Niger, le plus grand pays d'Afrique de l'Ouest, en raison de ses vastes opportunités, notamment dans les secteurs du pétrole, de la pétrochimie, de l'exploitation minière, de l'agriculture et de l'élevage ».
De quoi donc réactualiser les inquiétudes de la société civile nigérienne qui a déjà par le passé fait part de ses vives critiques sur l'impact de ce projet, incitateur sur papier mais qui risque d'engendrer des désagréments pour le pays. « il est indéniable que le projet saoudien d'accaparement des terres agricoles autour de la Komadougou et dans le lit du lac Tchad, s'il venait un jour à se concrétiser, aura des répercussions particulièrement graves sur la situation socio-économique et politique de la région de Diffa » a ainsi estimé Moussa Tchangari pour qui « non seulement il accentuera les conflits, déjà assez marqués, autour de l'accès aux ressources naturelles, mais il contribuera également à clochardiser une bonne partie de la population de la région qui, à l'heure actuelle, a déjà atteint un niveau de paupérisation presque irréversible ».
Il convient de rappeler que dans le cadre de son plan d'investissement au Niger, la société saoudienne qui a noué un partenariat avec un opérateur privé nigérien pour la création d'une filiale au Niger, envisageait de mettre en œuvre un vaste projet d'aménagement et de mise en valeur du bassin de la Komadougou et du lac Tchad, dans la partie sud-est du pays. Selon Alternative Espaces Citoyens (AEC), une structure de la société civile nigérienne qui s'est particulièrement impliqué pour l'ajournement du contrat en raison de certaines zones d'ombres qui accompagnent la mise en œuvre du projet, c'est quelques 120.000 hectares de terres agricoles et pastorales qui devront être à la filiale locale de la société saoudienne pour un projet à exécuter en deux phases.
« La première phase, qui durera une dizaine d'années, portera sur l'aménagement et la mise en valeur agricole de 50 000 hectares, et la création d'une dizaine d'unités agro-industrielles en aval de la production ; et la deuxième phase, qui débutera à partir de la 11ème année d'exploitation, portera sur l'aménagement et la mise en valeur de 70 000 hectares, et la création de nouvelles unités agro-industrielles en complément de celles existantes » a détaillé Moussa Tchangari, le secrétaire général de l'association qui a pris connaissance du dossier.
La mise en œuvre du projet devrait mobiliser des investissements de plus de 1000 milliards FCFA et le retour sur investissements sur près de vingt ans selon les estimations des initiateurs du projet en plus de la création de plus 13 000 emplois permanents et 5 000 emplois saisonniers. Selon la même source, les retombées fiscales pour la région et l'Etat du Niger se chiffreront en milliards en plus de sa « contribution à la sécurité alimentaire et nutritionnelle, à la lutte contre la pauvreté et la balance commerciale du pays ». Pour les populations locales, des incitations seront consenties notamment la construction de 15 000 logements au profit des travailleurs et de leurs familles, la création des écoles et centres de santé ouverts aux populations environnante ainsi que l' installation d'un système d'adduction d'eau potable et d'éclairage solaire au niveaux de plusieurs villages de la zone concernée par le projet.
Des coïncidences qui interpellent
Coïncidence ou les dessous d'un deal, c'est exactement sur la construction à grande échelle d'infrastructures et d'équipement ruraux que porte un des contrats que vient de signer le Niger et l'Arabie Saoudite. Il ne s'agit pas de la seule coïncidence qui interpelle dans cette nouvelle dynamique de coopération insufflé entre les deux pays à travers la signature de ces nouveaux accords de coopération, puisque celui relatif à l'accord de prêt additionnel relatif au Barrage de Kandadji, pose aussi pas mal de question. Et pour cause, des investisseurs saoudiens ont également fait par le passé, montre de leur appétit pour ce projet situé dans la partie ouest du pays et qui est attendu depuis des décennies par le Niger mais qui peine toujours à voir le jour en dépit des financements accordés par plusieurs partenaires notamment la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD). Du reste, dans son projet initial, c'est vers cette région qui recèle également un potentiel important en terres irrigables et adossé à la construction d'un important barrage hydroélectrique et des opportunités d'extension d'aménagement hydro-agricole, qu'a porté l'appétit d'Al Horaish for Trading & Industrie.
Comme l'a relevé Moussa Tchangari, « ce n'est pas d'ailleurs un hasard si la filiale nigérienne de la société Al Horaish s'appelle « Fleuve Niger SA ». Pour l'heure, la société civile nigérienne attend d'en savoir plus sur les raisons du deal entre le Niger et l'Arabie Saoudite pour se prononcer mais elle s'attend depuis longtemps à un retour en force des investisseurs saoudiens. Les autorités nigériennes ont pas le passé fait savoir qu'ils attendent d'en savoir plus sur le véritable impact environnementale et socio-économique du projet pour donner suite même si pour certains médias du pays, c'est la mobilisation de la société civile soutenue par le réseau des ONG luttant contre l'accaparement des terres en Afrique qui ont fait refroidir les ambitions des saoudiens.
La nouvelle idylle entre les autorités des deux pays risquerait en tout cas d'ouvrir la voie à la conclusion de nouveaux contrats comme en témoignent les accords touts azimuts signés dans le domaine de la promotion des investissements entre les deux pays. Des pétrodollars en vue pour le Niger mais pour quel contre-partie lorsqu'on sait qu'il ne s'agit que de promotion d'investissements entre les deux pays? L'avenir apportera certainement plus de réponses en attendant la réaction officielle des autorités nigériennes qui seront très attendues sur cet épineux dossier qui a déjà fait couler beaucoup d'encre...
Aboubacar Yacouba Barma
La Tribune Afrique
Commentaires
Je m 'atend d
Si les gens veulent le contester, qu'ils nous disent alors le nom et lieu de naissance du pere de Issoufou.
A bon attendeur, salut!
il faut savoir ce qu'on veut, si on veut faire des accords avec les occidentaux, c'est du n