Ghana : l’ancien président Jerry Rawlings a tiré sa révérence
L’ancien chef de l’Etat ghanéen, John Jerry Rawlings, est décédé ce jeudi 12 novembre à Accra, ont annoncé plusieurs sources officielles. A 73 ans, cet ancien putschiste a dirigé l’ex Gold Coast de 1981 à 2001 et, depuis, «Le Che africain » est resté très populaire dans le pays et au delà pour, notamment son engagement en faveur de la paix, de la démocratie et de la bonne gouvernance.
Selon les médias ghanéens, c’est à l'hôpital universitaire Korle-Bu d'Accra, où il avait été admis depuis presque une semaine, que John Jerry Rawlings est décédé ce jeudi matin, à l’âge de 73 ans. Plusieurs sources confirment qu’il a été infecté par le Covid-19.
La terrible nouvelle connue, des messages de condoléances ont aussitôt foisonné, notamment sur les réseaux sociaux, pour rendre hommage au « Che africain », très populaire au sein de l’opinion africaine. Proche du capitaine révolutionnaire burkinabé Thomas Sankara, Jerry John Rawlings est, selon sa biographie officielle, né le 22 juin 1947 à Accra, sur la Côte-de-l’Or (Gold Coast) », une colonie britannique. Ses parents sont Victoria Agbotui, autochtone, et James Ramsey John, un chimiste originaire de Castle Douglas, en Écosse. James Ramsey John était marié en Angleterre à quelqu’un d’autre, avec une famille qui vivait entre Newcastle et Londres.
Pour l’histoire, nous reproduisons en intégralité une version du portrait politique de « J.J » que lui a consacré, il y a quelques jours alors que les rumeurs sur sa disparition ont commencé à polluer les réseaux sociaux suite à son hospitalisation, par le Magazine « REGARDS D’AFFRIQUE », et qui met en valeur l’homme d’Etat qu’il fut de son vivant ainsi que son apport dans la vie politique de son pays mais aussi de l’Afrique.
Jerry Rawlings, putschiste romantique et « dictateur » bien aimé
Au Ghana, tous les chefs d’États vivent dans son ombre et sont comparés à « J.J », comme l’appelait affectueusement la population. D’ailleurs, à une époque, beaucoup d’enfants ghanéens ont rêvé d’être « J.J ».
Pas tous, parce que résumer celui qui fut surnommé le « Che Africain » à un simple héros d’une histoire manichéenne enlèverait au personnage toute sa complexité et son ambiguïté.
Non, Jerry Rawlings n’est pas un saint. Mais pour sa contribution au développement du Ghana, l’ancien président n’a jamais quitté les mémoires de la population locale, malgré son retrait de la vie politique. Malgré tout, à Accra et dans les autres villes du pays, alors que les élections présidentielles approchent, certains pensent encore à l’inoubliable « J.J ».
Il y a quelques semaines, l’ancien président ghanéen John Dramani Mahama a annoncé son intention de se présenter aux élections présidentielles de 2020. Ce choix, Jerry Rawlings aurait pu le faire à de nombreuses reprises, après avoir quitté le pouvoir en 2001. Mais, depuis, l’ancien chef d’Etat s’est progressivement éloigné de la gestion du pays. Aujourd’hui, il refuse même de bénéficier de la reconnaissance, toujours vivace, acquise durant les presque 20 années passées à la tête du Ghana. Le mois dernier, il a refusé que son nom soit donné à une université. La raison, un de ses principes, rendu public il y a plusieurs années : l’ancien président avait toujours clamé ne vouloir aucun monuments national ou bâtiment portant son nom. Qu’à cela ne tienne. Sa personne même est un monument que les Ghanéens ne sont pas prêts d’oublier.
32 ans, la tête dans les airs, mais les pieds bien ancrés dans la réalité ghanéenne
On est en 1979 quand le Ghana découvre le visage qui a certainement le plus influencé son histoire contemporaine; celui de Jerry Rawlings. Le trait qui frappe le plus quand on s’y attarde est sa barbe, qui ressemble beaucoup à celle du Che Guevara. L’homme a d’ailleurs de nombreuses choses en commun avec le révolutionnaire d’Amérique latine. Ils s’affichent tous deux parés d’un uniforme militaire dont l’autorité est adoucie par une candeur juvénile.
Effectivement, à l’époque où le monde découvre Jerry Rawlings, il n’a que 32 ans. A cette époque, le grand public connaît peu le jeune capitaine de l’armée de l’air ghanéenne. Mais au sein de l’armée, il bénéficie déjà d’une importante renommée, notamment au sein de ses camarades de promotion.
Au sein de l’armée, il bénéficie déjà d’une importante renommée.
Cela est peut-être dû au « Speed Bird Trophy », la distinction récompensant le meilleur pilote de chasse de sa promotion. Selon les rumeurs, le Ghanéen aurait réussi, durant une de ses nombreuses cascades, à faire passer le chasseur-bombardier Soukhoï Su-7, qu’il pilotait, sous le célèbre pont d’Adomi.
Selon les rumeurs, le Ghanéen aurait réussi, durant une de ses nombreuses cascades, à faire passer le chasseur-bombardier Soukhoï Su-7, qu’il pilotait, sous le célèbre pont d’Adomi.
En dehors de ses prouesses à bord de son avion, ses origines sont totalement obscures pour la majorité du grand public. En fait, l’intéressé est né en juin 1947 à Accra. Sa mère, Victoria Agbotui, est ghanéenne, tandis que son père est un chimiste écossais nommé James Ramsey John. A l’État civil Jeremiah John Rawlings, leur enfant, que tout le monde finit par appeler Jerry, débute ses études à l’école d’Achimota. Il les poursuivra au collège de la ville, avant de rejoindre l’armée de l’air. En janvier 1969, il est nommé sous-lieutenant d’aviation. Il poursuit son évolution au sein de l’armée de l’air jusqu’en 1978, année où il est nommé capitaine d’aviation, à 31 ans.
A 32 ans, il décide alors de prendre les choses en main.
Durant son service dans l’armée, Jerry Rawlings se plaint de la détérioration de la discipline et de l’influence de la corruption au niveau du conseil militaire suprême (SMC). Au fil des promotions, il se rend compte de la perte des valeurs et de l’injustice cautionnée par le SMC. A 32 ans, il décide alors de prendre les choses en main.
Un coup d’Etat pas comme les autres
En 1979, le jeune capitaine d’aviation en a assez de la corruption qui mine la redistribution des richesses au Ghana. Mécontent du gouvernement d’Ignatus Acheampong, qu’il accuse de corruption, mais également de maintenir le Ghana dans sa dépendance des puissances coloniales.
A cette époque, Jerry Rawlings est membre du mouvement pour une Afrique libre, créé clandestinement par des officiers militaires souhaitant unifier le continent par une série de coups d’État.
A cette époque, Jerry Rawlings est membre du mouvement pour une Afrique libre, créé clandestinement par des officiers militaires souhaitant unifier le continent par une série de coups d’État.
Le 15 mai 1979, Jerry Rawlings et six autres soldats organisent un coup d’État contre le gouvernement du général Fred Akuffo, qui a également pris le pouvoir par putsch, quelques semaines plus tôt grâce au soutien du SMC. Seulement, rien ne se passe comme prévu. Le coup d’État échoue et Rawlings et ses compagnons sont arrêtés. Publiquement condamnés à mort en cour martiale, l’exécution de Jerry Rawlings et ses compagnons devra pourtant attendre. En effet, leurs discours, durant le procès, sur les injustices sociales et la corruption leur a valu la sympathie de la population qui réclame leur libération.
Publiquement condamnés à mort en cour martiale, l’exécution de Jerry Rawlings et ses compagnons devra pourtant attendre. En effet, leurs discours, durant le procès, sur les injustices sociales et la corruption leur a valu la sympathie de la population qui réclame leur libération.
Finalement, Jerry Rawlings sera libéré le 4 juin 1979 par un groupe de soldats souhaitant purger le gouvernement de sa corruption pour développer le Ghana. L’ancien de l’armée de l’air guide alors le groupe qui arrache le pouvoir à Fred Akuffo et au SMC. Jerry Rawlings crée alors le conseil révolutionnaire des forces armées qui deviendra le conseil provisoire de défense nationale. A sa tête, il organise l’exécution des acteurs qu’il juge responsable de l’état du pays. 8 officiers militaires, ainsi que les 3 anciens chefs d’État : Akwasi Afrifa, Ignatus Acheampong et Fred Akuffo seront exécutés. De nombreuses autres exécutions suivront. Après ce « nettoyage », Jerry Rawlings organise des élections auxquelles il ne participe pas, désirant laisser les civils diriger le futur du pays.
Après ce « nettoyage », Jerry Rawlings organise des élections auxquelles il ne participe pas, désirant laisser les civils diriger le futur du pays.
Hilla Limann est élu. Son gouvernement ne durera qu’une année et demi. Indigné par un retour plus important de la corruption, Jerry Rawlings reprend le pouvoir en 1981, toujours par un coup d’État, mais décide cette fois de rester au pouvoir.
Mon dictateur bien aimé
En décembre 1982, il annonce son programme économique de 4 ans qui se caractérise par la création d’un monopole d’État sur le commerce d’import-export dans le but d’éliminer la corruption entourant les licences d’importation et de réduire la dépendance du commerce vis-à-vis des marchés occidentaux. Chaque dépense de l’État est contrôlée et suivie de manière stricte. Dans le même temps, au plan social l’accent est mis sur le bien être des Ghanéens. L’équipe de Jerry Rawlings crée des comités de défense des travailleurs et du peuple. Les prix des aliments sont revus pour soulager la grande majorité des populations. Pourtant, la politique économique de Jerry Rawlings aboutira à une crise économique en 1983. Les idéaux de l’ancien de l’amée de l’air doivent ployer le genou devant les lois du marché.
Pourtant, la politique économique de Jerry Rawlings aboutira à une crise économique en 1983. Les idéaux de l’ancien de l’amée de l’air doivent ployer le genou devant les lois du marché.
Jerry Rawlings est obligé d’adopter un plan d’ajustement structurel strict. Il a besoin des bailleurs de fonds pour régler les problèmes économiques de son pays. Ces derniers exigent de lui le plan structurel, le retour du multipartisme et des élections. Ce sera chose faite en 1992, lorsque Jerry Rawlings fait rédiger la constitution qui crée la IVème république ghanéenne.
Pendant ce temps, il utilise les prêts du FMI pour un vaste programme de réformes qui réduit les difficultés économiques du pays. Lors des élections présidentielles de 1992, Jerry Rawlings est massivement élu. Il sera réélu 4 ans plus tard, avant de céder le pouvoir, en application de la constitution qui n’autorise que deux mandats successifs. Il s’éloigne progressivement de la vie politique en laissant le Ghana, sur le plan économique, dans un bien meilleur état que lorsqu’il a pris le pouvoir. La corruption a fortement baissé et les institutions de l’Etat sont capables de fonctionner.
Un héritage que le peuple ghanéen n’oubliera pas
Après lui, le pays ne vivra que des transitions politiques apaisées. Un héritage que le peuple ghanéen n’oublie pas. D’ailleurs, malgré les années écoulées, Jerry Rawlings est toujours très populaire auprès de la population. Récemment, alors qu’il était coincé dans un embouteillage, l’ancien président est sorti de sa voiture pour réguler la circulation et fluidifier le trafic. Il a alors été applaudi par toutes les personnes présentes. Au Ghana, personne n’a oublié qui est « J.J.» (Par Regardsurlafrique avec AE/ Servan Ahougnon)
Commentaires