Kenya: l’opposition «investit» Raila Odinga malgré sa défaite électorale
Des milliers de partisans du dirigeant de l’opposition kényane Raila Odinga se sont rassemblés mardi à Nairobi pour l’investir «président alternatif» malgré sa défaite électorale, tandis que le gouvernement réprimait les médias qui retransmettaient la cérémonie.
L’annonce de l’évènement, trois mois après le scrutin boycotté par l’opposition et où l’opposant affirme que la victoire lui a été volée, avait fait craindre des violences, la police ayant averti qu’elle l’empêcherait. Les forces de l’ordre gardaient toutefois leurs distances alors que des milliers d’opposants étaient réunis dans le parc Uhuru de Nairobi.
Odinga, 72 ans, est un vétéran de la politique kényande qui affirme que des fraudes l’ont privé de la victoire à la présidentielle à plusieurs reprises dans le passé et il refuse d’accepter la réélection l’an dernier du président sortant Uhuru Kenyatta après des mois de troubles où, selon des défenseurs des droits de l’homme, 92 personnes ont été tuées.
Un premier vote avait eu lieu le 8 août, remporté par M. Kenyatta, mais le résultat avait été annulé par une décision historique de la Cour suprême et un nouveau scrutin avait été organisé le 26 octobre. Affirmant que l’élection ne serait pas honnête, M. Odinga avait boycotté le vote et M. Kenyatta l’a emporté avec 98% des voix. Il a été officiellement investi fin novembre.
A la veille de l'«investiture» de son rival, les patrons de presse ont publié un communiqué disant que le président Kenyatta les avait convoqués pour menacer de «fermer et retirer les licences de tout média qui retransmettrait en direct» la cérémonie.
Certaines chaînes de télévision ont toutefois défié l’interdiction et une des principales, Citizen TV, a rapporté en ligne mardi matin que ses transmissions avaient été coupées par l’autorité des communications. La retransmission se poursuivait malgré tout sur son site web.
«Ils ont peur, ils ne veulent pas que le monde voie ce qu’il se passe, ce que veut le peuple», a déclaré un homme une pierre à la main, attendant la venue de M. Odinga.
Une première cérémonie avait été reportée par le vieux leader de l’opposition le mois dernier mais son parti a souligné qu’une «investiture» aurait bien lieu mardi.
- 'Jeu dangereux' -
«Nous voulons organiser un évènement pacifique en total respect de la Constitution et de la loi», a affirmé un communiqué de la coalition d’opposition, la Nasa. Elle a toutefois averti les autorités qu’elle irait de l’avant, «quoi qu’il advienne».
Mardi matin, des policiers patrouillaient à cheval à distance du rassemblement et, selon des sources policières, les autorités ont décidé d’éviter une confrontation.
Le procureur général Githu Muigai avait pourtant averti le mois dernier que toute «investitutre» équivaudrait à une trahison, soulevant la possibilité d’une arrestation de M. Odinga à haut risque.
«Permettons leur d’utiliser le parc et poursuivre leurs activités politiques tant que cela reste dans le cadre de la loi», a déclaré un responsable de la police.
Dans le parc Uhuru, des gens défilaient des sifflets à la bouche et des branchages à la main, tandis que des banderoles clamaient «Raila Odinga président du peuple».
Un homme d’affaires en costume qui a demandé l’anoymat a expliqué à l’AFP que la cérémonie d’investiture avait une valeur symbolique.
«Cela fait du bien au moral des gens de sentir qu’on entend leurs voix, mais le plus important est que cela va marquer le vrai début de notre résistance», a-t-il dit.
Depuis son boycottage de l’élection d’octobre, la Nasa a eu pour stratégie de contester la légitimité du président Kenyatta en cherchant à créer des structures de gouvernement parallèles. Des «assemblées du peuple» se sont réunies dans certains comtés et l’investiture de M. Odinga comme «président du peuple» doit marquer l’apogée du processus.
Le centre d’analyse International Crisis Group s’est inquiété dans un communiqué que MM. Odinga comme Kenyatta «jouaient un jeu dangereux» dans un pays divisé et où des violences politico-ethniques avaient fait un millier de morts après l’élection de 2007.
«Etant donné la profonde polarisation sociale et des antécédents d’affrontements violents entre la police et les manifestants, les actions des deux dirigeants risquent de se traduire par un bain de sang significatif», écrit l’ICG.