Chefs d’Etat, sportifs, milliardaires : premières révélations des « Panama papers » sur le système offshore mondial
Les « Panama papers » en trois points
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C’est la fuite de données la plus importante de l’histoire du journalisme. C’est aussi la percée la plus spectaculaire jamais effectuée dans le monde obscur de la finance offshore.
Le Monde, associé au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) de Washington et au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, destinataire de la fuite, a eu accès aux 11,5 millions de documents qui révèlent les avoirs cachés, dans des paradis fiscaux opaques, de leaders politiques mondiaux, de réseaux criminels, de stars du football ou de milliardaires.
Parmi eux figurent des proches du président de la Russie, Vladimir Poutine, ou le premier ministre de l’Islande, Sigmundur David Gunnlaugsson, mais aussi de nombreux autres noms de chefs d’Etat ou de personnalités politiques. On y retrouve aussi le footballeur argentin Lionel Messi et le président suspendu de l’UEFA, Michel Platini, parmi nombre de personnalités dont nous évoquerons les cas tout au long de la semaine. Ces documents secrets, extrêmement récents, courent jusqu’à la fin de 2015.
1 500 fois WikiLeaks
Plus de 2 600 gigaoctets de données secrètes ont été découverts, étudiés et analysés par Le Monde et 108 médias partenaires, pendant près d’un an, mobilisant 376 journalistes dans le monde entier.
Au cœur de cette nouvelle enquête, ces « Panama papers », il y a une firme, Mossack Fonseca, un des champions mondiaux de la domiciliation de sociétés-écrans dans les juridictions offshore. Ces entités sont conçues pourdissimuler l’identité de leurs propriétaires réels, et verrouillées de l’intérieur. Mossack Fonseca est établi au Panama, l’un des centres financiers les plus opaques de la planète, considéré comme une plaque tournante du blanchiment, où vient se recycler l’argent du crime et de la fraude.
Un « registre du commerce » offshore
Les « Panama papers » mettent en lumière un incroyable tableau : plus de 214 000 entités offshore créées ou administrées par Mossack Fonseca, depuis sa fondation, en 1977, et jusqu’en 2015, dans 21 paradis fiscaux et pour des clients issus de plus de 200 pays et territoires.
Un périple planétaire, donc, qui embrasse les continents et les océans, du Luxembourg au Panama, de la Suisse aux îles Vierges britanniques, des îles Samoa aux Seychelles, de Monaco aux Bahamas.
Il n’est plus ici seulement question des cas particuliers d’une seule banque, comme lors des SwissLeaks de HSBC (2015) ou des UBSLeaks (2016), ni du rôle joué par une seule place financière dans un schéma organisé d’optimisation fiscale pour les multinationales, comme dans les LuxLeaks (2014). Les « Panama papers » offrent une cartographie, presque en temps réel, d’un pan entier de la finance mondiale, jusqu’alors à l’abri des regards.
Toutes ces informations seraient restées secrètes sans l’intervention d’une source anonyme, qui a commencé, au début de 2015, à transmettre cette mine d’or aux journalistes du Süddeutsche Zeitung. Ils avaient alors entrepris d’enquêter sur le rôle de Mossack Fonseca dans les accusations de fraude fiscale visant la Commerzbank, la deuxième plus grosse banque d’Allemagne. Devant l’ampleur des données, le quotidien allemand a décidé de faire appel à l’ICIJ et ses partenaires habituels, afin de partager ses informations, au regard de la précieuse expérience acquise par le consortium en matière d’investigations financières transnationales.
L’authenticité des documents, qui ne faisait guère de doute au regard de leur nombre, a pu être vérifiée à deux reprises, par le journal munichois et Le Monde. Elle a été confirmée par plusieurs lettres envoyées en mars par Mossack Fonseca à ses clients et consultées par Le Monde, mentionnant « un accès non autorisé à [son] serveur de messagerie électronique grâce auquel certaines informations ont été glanées par des tierces personnes ».
Argent gris, noir et sale
Toutes les sociétés offshores des « Panama papers » ne sont pas illégales ou opaques, certaines ont une activité économique véritable et déclarée ou ont été spécialement créées pour faciliter des investissements internationaux. Mais une grande majorité d’entre elles sont utilisées comme sociétés-écrans, pour dissimuler des avoirs grâce au recours à des prête-noms.
C’est ainsi que chez Mossack Fonseca, l’argent propre côtoie l’argent sale, que l’argent gris (celui de la fraude fiscale) côtoie l’argent noir (celui de la corruption et du crime organisé), que les grandes fortunes et les stars du football côtoient les réseaux criminels et les chefs d’Etat corrompus.
Après plusieurs mois de cette enquête hors norme, l’ICIJ et ses partenaires ont pu établir qu’étaient impliqués dans des sociétés offshore 12 chefs d’Etat et de gouvernement (dont six en activité), 128 responsables politiques et hauts fonctionnaires de premier plan du monde entier et 29 membres du classement Forbes des 500 personnalités les plus riches de la planète.
Les clients qui désirent se dissimuler et rendre leurs avoirs intraçables sont protégés par trois ou quatre sociétés successives, créées aux quatre coins de la planète, qui s’emboîtent comme des poupées russes pour compliquer letravail des autorités fiscales et judiciaires, et il est souvent ardu, voire impossible, de remonter leur piste.
Les milliers d’échanges internes entre les employés de Mossack Fonseca passés au crible par Le Monde et ses partenaires confirment que les artisans de l’offshore parviennent toujours à conserver un coup d’avance sur les tentatives de régulation mondiales.
Ainsi quand, en 2011, les îles Vierges britanniques sont contraintes, sous la pression internationale, d’abandonner le système des actions au porteur anonymes, un mouvement de balancier s’opère au profit du Panama ou des Seychelles, où de telles pratiques sont encore autorisées.
C’est par ces rebonds d’un paradis fiscal à l’autre, et en exploitant les failles de la régulation par des montages toujours plus complexes, que Mossack Fonseca et ses intermédiaires tiennent en respect les autorités de contrôle.
« Une usine de voitures est-elle responsable du comportement des conducteurs ? »
Interrogé sur son rôle et ses responsabilités, Mossack Fonseca se défend d’avoir offert directement ces services à ces clients, et renvoie la responsabilité vers les quelque 14 000 intermédiaires (grandes banques mondiales, cabinets d’avocats, fiduciaires et autres sociétés de gestion de fortune) qui assurent l’interface avec les bénéficiaires finaux.
Dans un récent entretien accordé à la télévision panaméenne, le cofondateur du cabinet Ramon Fonseca l’a comparé à une « usine de voitures », qui n’est pas responsable des forfaits commis par des voleurs à l’aide des véhicules qu’elle a produits. Dans la plupart des juridictions, la firme a pourtant l’obligation de se renseigner sur les ayants droit des sociétés qu’elle administre, et, si elle faillit parfois à cette obligation, ses correspondances internes montrent qu’elle a souvent connaissance de leur identité.
Quelles solutions ?
Le Panama, centre financier toxique, refuse de coopérer avec les Etats étrangers dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, et a engagé un bras de fer avec l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui coordonne la lutte. Considérant que le problème devenait hautement politique et risquait de compromettre l’efficacité de la lutte contre le blanchiment, l’OCDE a alerté les ministres des finances du G20 (le groupe des vingt pays les plus riches), réunis le 27 février à Shanghaï, en Chine.
Ce que prouvent les « Panama papers », c’est avant tout qu’à l’heure de la mondialisation financière, et malgré les révélations successives et la volonté affichée des Etats à réguler les paradis fiscaux, il demeure toujours aisé pour les banques et leurs clients de se jouer des réglementations nationales. Ce ne sont pas les lois contre le blanchiment qui manquent, mais le contrôle de leur application qui doit être renforcé, partout dans le monde. Le système financier dans son ensemble se doit de réguler le grand Meccano de l’offshore. Il a tout à y gagner.
Le lexique de l'offshore ACTIONNAIRE(S) Ce sont les propriétaires déclarés des sociétés offshore. Certains possèdent réellement le capital de ces sociétés, d’autres ne sont que des prête-noms. ACTIONS AU PORTEUR A la différence des actions nominatives, ces actions anonymes permettent aux propriétaires réels des sociétés offshore de dissimuler leur identité. Ce type de titres, qui organise une opacité totale sur l’actionnariat, est en train de disparaître. Le Panama est l’un des derniers pays à les proposer. ACTIONS NOMINATIVES C’est l’inverse des actions au porteur : l’identité des personnes physiques ou morales qui les détiennent est révélée. C’est ce type d’actions qu’émettent les entreprises des pays transparents. ADMINISTRATEURS Ce sont les personnes qui dirigent les sociétés et peuvent être indifféremment directeurs ou membres du conseil d’administration. Dans les sociétés offshore, cela n’implique pas de gérer une activité, mais d’assumer la responsabilité légale et d’assumer la responsabilité légale. AGENT DE DOMICILIATION DE SOCIÉTÉS OFFSHORE C’est l’une des activités principales du cabinet d’avocats Mossack Fonseca : l’enregistrement de sociétés dans des paradis fiscaux pour le compte de ses clients, un métier qui implique une solide connaissance du droit. En appui, la firme propose d’autres services : la location de prête-noms, des services bancaires...
AYANT DROIT OU BÉNÉFICIAIRE ÉCONOMIQUE Personne qui tire les véritables bénéfices d’une société, même si elle n’apparaît pas officiellement comme actionnaire ou administratrice. BLANCHIMENT D'ARGENT Il consiste à dissimuler des fonds de provenance illicite (trafic de drogue, vente d’armes, fraude fiscale...) pour les réinvestir dans des activités légales et donc les recycler. Les sociétés offshore sont parfois utilisées pour blanchir de l’argent. CERTIFICAT D'ACTIONS Document certifiant qu’une personne est actionnaire d’une société ou qu’elle détient un nombre d’actions donné. Si le certificat est émis « au porteur », et non pas à une personne ou à une entité nommément désignée, il s’agit d’un certificat d’action au porteur. « COMPLIANCE » C’est l’ensemble des procédures de « vérification de conformité » qu’un cabinet comme Mossack Fonseca a l’obligation de mener auprès de ses clients. Il vérifie notamment que ceux-ci n’ont pas d’antécédents judiciaires, qu’ils ne figurent pas sur une liste de sanctions internationales ou ne sont pas des « personnalités politiquement exposées » (présentant un risque). ÉCHANGE AUTOMATIQUE DE DONNÉES Cette procédure sera mise en place à compter de 2017 ou 2018 et consistera, pour les Etats, à s’échanger entre eux, de façon systématique, les informations bancaires sur les contribuables (comptes bancaires ouverts à l’étranger, parts de société etc.). ÉVASION/OPTIMISATION FISCALE Utilisation de moyens légaux pour baisser le montant de son imposition, voire y échapper. Elle suppose une bonne connaissance des lois et de ses failles. EXILÉ FISCAL Se dit d’une personne qui, pour échapper à un impôt qu’elle considère trop important, déménage dans un pays à la fiscalité plus légère. FONDATION Une entité légale qui agit comme une société offshore mais garantit plus d’opacité. Les fondations ne sont soumises à aucune forme d’imposition au Panama. Les noms des bénéficiaires ne sont pas divulgués. Les fondations n’ont pas à produire de rapports financiers.
FRAUDE FISCALE Utilisation de moyens illégaux pour baisser le montant de son imposition, voire y échapper. Le fait de déplacer des capitaux dans des juridictions étrangères sans en avertir le fisc constitue une forme de fraude fiscale. HOLDING Généralement, une société dont la seule activité est de prendre des participations dans d’autres sociétés. Nombreux sont ceux qui créent des holdings au Luxembourg pour gérer leurs affaires, car l’imposition y est très faible. INTERMÉDIAIRE FINANCIER Personne ou institution qui fait le lien entre le bénéficiaire réel d’une société offshore ou un compte et l’agent de domiciliation, comme Mossack Fonseca, qui va effectivement l’ouvrir. Cet intermédiaire peut être un avocat fiscaliste, un gestionnaire de fonds ou une banque. PARADIS FISCAL Pays ou territoire où certains impôts sont très bas voire inexistants, et qui cultive une certaine opacité sur les titulaires des comptes et des sociétés. Leur définition varie selon l’époque et l’organisation qui établit la liste des paradis fiscaux. PORT FRANC/ZONE FRANCHE Zone où l’on peut entreposer des biens sans qu’ils soient soumis aux taxes douanières. De nombreuses œuvres d’art sont par exemple stockées dans le port franc de Genève. PRÊTE-NOM(S) Personne qui agit au nom d’une autre comme actionnaire ou administratrice d’une société. L’utilisation de prête-noms permet de dissimuler l’identité du bénéficiaire réel. PROCURATION Autorisation donnée à une personne, physique ou morale, pour représenter une société offshore. La procuration confère des droits, dont la gestion sans restriction de la société, la signature de contrats, l’achat de produits financiers ou encore la possibilité d’emprunter ou de prêter de l’argent. Chaque autorisation spécifie quels pouvoirs sont donnés à la personne qui agit au nom de la société. SOCIÉTÉ COQUILLE Société déjà créée qui ne détient pas ou peu d’actifs (comme un œuf vide) et qui n’exerce pas d’activité économique réelle. Elle peut servir à détenir discrètement des comptes en banque, des participations ou des investissements. SOCIÉTÉ ÉCRAN Société fictive créée dans le but d’opacifier les transactions financières d’autres sociétés. SOCIÉTÉ OFFSHORE Littéralement, « offshore » signifie « extraterritorial ». Une société offshore est enregistrée dans un pays non pour y exercer une activités mais pour disposer d’une boîte à lettres – souvent pour profiter des avantages fiscaux ou règlementaires du paradis fiscal choisi. TRUST/FIDUCIE/FIDUCIAIRE Une fiduciaire (du latin fiducia, confiance) est la personne physique ou la société qui détient temporairement de l’argent ou des biens pour le compte d’un tiers (le fiduciant). A charge pour la fiduciaire de gérer les fonds ou les mandats qui lui ont été transférés. Le trust, ou fiducie, est le contrat qui lie ces deux parties. Quant aux sociétés fiduciaires, ce sont des structures spécialisées dans ces opérations. |
Le Monde
Commentaires
Moi je ne peux pas