Le rôle fondamental d’un gourou dans la manipulation politique
Pour comprendre la question du rôle d’un chef (que je qualifierai volontairement, le long du texte de gourou) dans la manipulation politique, je vais partir de l’hypothèse de « la culpabilité comme moyen de manipulation politique». Dans le développement, je vais traiter seulement des moyens utilisés et des effets de cette manipulation. Je me garderai des multiples illustrations ; la démonstration permettra à celui qui veut, d’en faire le corollaire.
Ce qui est faute ou pas faute est apprécié par ceux qui font la loi, tout dépend de l’esprit de chacun.
« L’homme », disait Max Weber, « est un animal suspendu dans des réseaux de significations qu’il a lui-même tissés ». Au Niger, comme dans la plupart des pays d’Afrique, on constate que, dans leur ensemble, les différents gouvernements successifs relient étroitement « la loi et l’ordre ». L’on est favorable à la loi qui représente l’ordre public et social. La loi conçue comme impérative, au respect de laquelle doivent veiller les autorités, devient le symbole de la stabilité et de la sécurité au sein de la société. Elle semble plus sécurisante, en tout cas vis-à-vis des autorités, que la loi qui attribue aux individus droits subjectifs et possibilités d’action ; enfin nous voici au cœur archaïque de toute les confusions, comme le montre la situation politique actuelle et surtout les interpellations déviantes et massives. Dès qu’une thèse leur semble opposable, les autorités ont spontanément recours à une méthode dérivée de l’autorité divine, délimitant le « permis » et surtout « l’interdit ».
Cette interdiction favoriserait à leurs yeux, la structuration de leur politique et permettra d’asseoir leur propre pensée.
Pourtant, de façon intéressante, l’on voit se faire jour, chez les nigériens, une contestation de cette forme de gouvernance, qui n’est pas sans rappeler les réponses contestataires des acteurs de défense des droits humains et de la démocratie.
Prétextant des troubles à l’ordre public, les gouvernants vont empêcher, par leur intransigeance et par leur autoritarisme, le progrès des idées en interdisant tout débat critique, avec la complicité de certains hommes de droit, certains journalistes et d’autres politiques particulièrement dociles. Au Niger, depuis la conférence nationale souveraine, la liberté d’expression a connu un progrès indéniable par rapport aux systèmes répressifs antérieurs issus des régimes d’exception.
Une interrogation fondamentale mérite donc d’être posée, dans l’actuelle 7éme République, le président de la République, est-il maître de ses idées ? Cette interrogation a été suscitée par l’agissement peu honorable de certains de ses collaborateurs directs, qui affichent leur mépris à l’égard du peuple nigérien et des libertés fondamentales, sans qu’aucune mise au point ne soit intervenue pour ne pas dire une sanction républicaine. Or, la liberté est le fondement de la responsabilité et il ne saurait y avoir de responsabilité sans liberté.
En effet, créer une dépendance ou exploiter une dépendance à l’intérieur d’un groupe est l’objectif de la manipulation politique, dans l’optique de porter atteinte aux droits fondamentaux de l’adepte ou de son entourage. C’est aujourd’hui en grande partie ce qui définit les démocraties africaines.
Cette manipulation mentale (exercée par les gouvernants sur certains opposants) repose sur la culpabilité qui se trouve à toutes les étapes de la vie de l’opposant s’il a déjà exercé une fonction publique (exemple ; il peut être accusé de détournement, de corruption, de blanchiment, de négligence…) ou à sa façon se conduire en public. Sa culpabilité doit donc être examinée à deux moments : D’abord comme moyen de maintenir l’opposant sous dépendance (I) ensuite comme moyen de l’empêcher d’abandonner le groupe (II)
I. La Culpabilité comme moyen de maintenir l’autre sous dépendance
La culpabilisation est un des meilleurs moyens d’aliénation, de dépersonnalisation et de négation de l’individu au profit d’un groupe.
La puissance manipulatrice du gourou dispose in fine, de trois outils pour placer et maintenir l’autre dans la dépendance et la culpabilité : le gourou culmine tout simplement entre ses mains les trois pouvoirs institutionnels constitutifs de tout régime démocratique : le législatif, l‘exécutif et le judiciaire. Tout juriste sait que depuis Montesquieu, la garantie que représente pour le respect des libertés fondamentales la séparation de ces pouvoirs.
Le gourou le sait aussi et c’est intentionnellement, dans une optique de souveraineté absolue, qu’il détient et exerce tous les pouvoirs.
Le gourou incarne d’abord le pouvoir législatif. La législation interne et dont il a le contrôle, est intransigeante tout en étant souvent contradictoire à cause des multiples niveaux de la lecture qu’elle exige selon les besoins du gourou. Cette multiplicité d’interprétations changeant selon les besoins du gourou, ne fait qu’accroître la dimension de culpabilité de celui à qui, on peut à tout moment reprocher une transgression de la règle. Ainsi, le gourou ballotant sa victime, peut aisément altérer et façonner la personnalité de la personne acquise à sa cause, qui, pendant la phase de séduction, à déjà appris à bannir le doute.
Douter de l’action du gourou, c’est trahir et faire courir à l’ensemble du groupe, le risque d’échouer dans l’œuvre. La crainte continuera toujours à se nourrir de la hantise de laisser un doute envahir la personne dissidente qui risque de regagner les rangs de son ancienne famille politique.
Mais la séduction, le luxe aura raison sur le parvenu, son unique désire est de correspondre à l’attente du gourou en devenant son bras armé la où la morale l’interdit. Peu importe dirait-il, la morale et la dignité sont toujours du coté du plus fort. On lui fera miroiter alors une lourde responsabilité. Il deviendra finalement le cheval de Troie pour le groupe et sera le jouet des forces occultes qui, profitant de son caractère impur, l’utilisent pour saboter l’adversaire.
Le pouvoir législatif du gourou régente tous les aspects de la vie, et toute pensée négative à l’égard du maître est littéralement criminelle est punie comme telle.
Dans l’exercice du pouvoir exécutif, le gourou pose la règle du pouvoir du groupe de façon continue, selon son bon vouloir. Mais il se charge d’appliquer ou également de faire appliquer sa règle par le groupe qui, formé à l’interdit du doute, approuve sans la moindre remise en question ce contrôle de l’activité, mais également des pensées politiques.
Chacun acceptera l’obligation de rendre compte de son action, de ses pensées, de ses sentiments au gourou et se rendra coupable de ne pas le faire.
La rigidité de la norme n’empêche pas qu’il puisse y avoir une application différente, selon les individus et selon les moments, ce qui accroît la confusion chez le dissident et ne peut que l’inciter à ne plus se poser de question, c'est-à-dire à ne plus se sentir coupable des actes posées et à croire à l’Omnipotence du gourou. Ce dernier impose une régression et une désorientation à l’adepte en le contraignant à demander la permission pour les actes élémentaires de la vie quotidienne. Au Niger comme dans beaucoup de pays, les exemples sont multiples, incroyables, stupéfiants et aussi divers que variés.
Le pouvoir exécutif du gourou va s’appuyer sur des pratiques variées : l’espionnage, la délation au sein du groupe sont encouragées. Tout ce qui est dit est littéralement utilisé. Le mensonge prend une place importante dans ce contexte.
La suprématie du gourou ne peut exister sans détenir le pouvoir exécutif, corollaire du pouvoir législatif. Mais le gourou va de surcroît juger les transgressions à la règle dont les adversaires vont se rendre coupable.
Quant au pouvoir judiciaire, le gourou l’exerce essentiellement sur les manquements à la norme de son action que les adversaires peuvent commettre en critiquant. Ce qui fonde en grande partie, la toute puissance du gourou. L’essentiel de la culpabilité des adeptes, repose en effet sur la crainte du jugement négatif que le gourou qui est, rappelons-le, prescripteur de la norme, pourra porter sur chacun.
La norme ou l’interprétation de la norme ayant plusieurs niveaux de lecture de la part du gourou selon les besoins du moment, des actions peu différentes les unes des autres, mais aussi des pensées ou même des sentiments entraînent tantôt une récompense, tantôt une punition selon que l’on soit pour ou contre.
Les pensées les plus anodines, les paroles ou actions tant soit peu négatives, provoquent des menaces sur la liberté, sur la fonction ou sur la carrière, ce qui entraînent l’obéissance aveugle de la part du non méritant. Ici l’obéissance aux ordres se veut absolue et la soumission à l’autorité ne saurait être remise en question.
Le gourou incarne donc le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, enfermant ainsi l’adversaire dans un sentiment d’impuissance. Ce cumul des pouvoirs explique ainsi la dimension totalitaire que prennent certains régimes pseudo-démocratiques.
II. La culpabilité comme moyen d’empêcher l’autre d’abandonner la majorité
Le pouvoir exalte la dimension élitiste de l’adepte liée à l’appartenance au groupe. Ce sentiment de supériorité, lié au fait d’avoir été choisi pour accomplir une mission, contribue à couper le dissident de son environnement présenté comme la « vieille vie », son « ancienne famille politique ».
L’adepte en rupture avec sa famille, sa vieille vie, est alors tenaillé par le sentiment confus et paradoxal d’appartenir à un monde supérieur et de n’avoir pas pu réaliser l’utopie à laquelle il a cru auparavant, même si, il arrive que soit développée en lui, de temps en temps, la crainte d’un châtiment extrême.
Son abandon est alors présenté dans sa famille comme une trahison et difficile à pardonner. Le jugement de ses anciens frères politiques va lui valoir un « bannissement politique ». Il est renvoyé donc à la dimension de l’indignité qui accompagne véritablement l’exclusion.
Quand il commencera a être rongé par le sentiment de culpabilité d’avoir abandonné son entourage d’avant, le dissident se pose alors certaines questions telles comment revenir vers ses anciens amis et ses proches en reconnaissant s’être fourvoyé ? Cette culpabilité contribuera à rendre plus difficile pour lui, une reprise de contact ultérieur avec son milieu d’origine.
A la fin de la mission pour laquelle il a été débauché, l’homme comprendra la réalité de l’exclusion et prendra conscience du temps qu’il a perdu. Il se sentira coupable de n’avoir pas été capable d’ouvrir les yeux plus tôt sur l’imposture qu’il a subie et partagée. Plus douloureux encore, il prendra la mesure de l’appauvrissement affectif dans lequel il se trouve et aura la plupart des temps des difficultés à se réadapter politiquement et parfois même socialement, ne serait-ce que sur un plan professionnel car son aventure ne lui sera d’aucune utilité. Il lui faudra retrouver un ancien entourage peu à même de comprendre l’aventure dont il a été acteur.
Voilà quelques réflexions que l’on peut faire de la manipulation politique, que le juge tente courageusement d’extirper du système démocratique, mais qui ne pourra être comprise que si la dimension essentielle de la culpabilité qui la sous tend est approchée dans ses aspects destructeurs de la démocratie.
AMADOU ADAMOU Bachir