Niger : Le Président Bazoum otage… du système ?
Le Niger connaît actuellement des moments difficiles qui interrogent sur la solidité du processus démocratique en cours depuis la Conférence nationale.
Depuis son accession à la magistrature suprême, le Président Bazoum a donné maintes fois des signes d’une volonté sincère d’améliorer la gouvernance politique en tentant notamment de s’attaquer à la corruption et à l’impunité. Des pesanteurs internes à son parti ainsi que la complexité des relations avec certains de ses amis, à commencer par son prédécesseur, ont manifestement restreint son champ d’action et l’ont empêché d’incarner pleinement son rôle de chef de l’Etat. C’est dans ce contexte que vient de se produire un coup d’Etat dont les motifs invoqués par ses protagonistes ne trompent pas sur les motivations réelles. Comme à l’accoutumée, les intérêts du pays et de la population passent après l’avidité du pouvoir et les guéguerres de clans. Les changements anticonstitutionnels, qu’ils soient militaires ou par le biais d’élections irrégulières, aboutissent au désordre et au recul de l’esprit démocratique.
S’il faut souhaiter un dénouement pacifique et heureux pour le pays, il devra nécessairement s’accompagner d’une remise en question des méthodes progressivement installées depuis des années qui ont ramené le pays à l’époque du Parti-Etat. Ces dérives ont abouti à un affaiblissement des institutions républicaines régulièrement mises à rude épreuve par une gouvernance partisane et clanique.
Personne ne peut nier l’urgence d’un changement de gouvernance. Le grief fait au Président Bazoum par certains « camarades » de son parti, serait, selon des sources crédibles, d’avoir décidé de se libérer de l’emprise de son mentor et de vouloir enfin s’assumer devant les Nigériens et la communauté internationale
La communauté internationale s’est montrée complaisante et silencieuse face aux dérives autoritaires et aux excès de la mal gouvernance dont le Président lui-même n’est finalement qu’une victime. Ce silence hypothèque gravement aujourd’hui la sincérité et la crédibilité des appels au retour à un ordre constitutionnel dont les bénéfices sont demeurés invisibles aux citoyens, lesquels seront alors peu mobilisables pour la défense d’un système qui ne les a point servis et enclins à succomber au chant des sirènes, quelles qu’elles soient.
Quand le Pouvoir civil s’enferme dans des pratiques despotiques conjuguées à des comportements de prédation qui font fi de l’intérêt général, il court toujours le risque de voir sa légitimité et ses arguments républicains s’effriter. Les acquis démocratiques sont régulièrement malmenés par des politiciens véreux qui en font un slogan pour mieux les saborder. Le parti qui dirige le pays depuis plus de dix ans s’est progressivement éloigné des idéaux qui ont suscité tant d’espoir de voir advenir enfin une gouvernance moderne orientée vers la construction d’un Etat de droit. Malheureusement, l’aile affairiste du parti a très vite pris le dessus et le Président Bazoum, quelles qu’aient été ses velléités, n’a pas eu les mains suffisamment libres pour pouvoir s’en abstraire, encore moins pour prendre des mesures afin de rectifier la qualité de la gouvernance.
Une multitude d’affaires de corruption souvent bien documentées demeurent bloquées par le Pouvoir politique qui ne parvient manifestement pas à les faire instruire. L’impuissance du Président Bazoum à assumer la responsabilité de leur traitement par la justice a révélé aux Nigériens le caractère par trop limité de son pouvoir et les a conduits à s’interroger sur son véritable rôle à la tête du pays. Il donne, en effet, l’impression de n’être qu’un élément d’un dispositif de gouvernance qui le dépasse, sa fonction de Président de la République étant souvent éclipsée par d’autres sources de pouvoir visiblement plus puissantes et agissantes. D’aucuns y voient un brin de naïveté souvent présentée comme loyauté envers son prédécesseur. Ce dernier ne manque pas une occasion de signifier, à qui veut comprendre, qu’il demeure dans le jeu et que sa volonté compte encore dans la gestion des affaires du pays. C’est d’ailleurs l’activisme envahissant de Mahamadou Issoufou, et l’ambiguïté qui en découle, qui fait dire à certains qu’il tient un rôle significatif dans la crise actuelle. Cela est corroboré par l’agitation des chancelleries étrangères autour de lui. C’est à se demander s’il est médiateur ou partie prenante de la crise.
La confusion autour de ce coup d’Etat s’expliquerait par une multitude d’acteurs et d’agendas dans un contexte géopolitique caractérisé par des rivalités de plus en plus pressantes de certaines puissances internationales. Quoi qu’il advienne, la classe dirigeante du pays devra se ressaisir en réduisant l’écart entre sa pratique désastreuse du pouvoir politique et les discours sur la démocratie, la république et ses institutions, servis trop commodément au peuple et surtout à la communauté internationale.
Abdoulahi ATTAYOUB
Consultant Lyon (France)
31 juillet 2023
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