Il ne faut pas être naïf, la Russie ne viendra pas sauver le Mali (Par Gado Alzouma)
En voici les raisons:
Tout d’abord, certains Africains ont parfois pour habitude d’adopter des comportements et des attitudes que nous croyons acceptables, comme allant de soi, mais que les autres peuples du monde trouvent profondément humiliants. En conséquence, ces attitudes et comportements ne font que les conforter dans l’idée qu’ils se font de nous et qui est faite de toutes sortes de préjugés déshonorants. Pour mieux me faire comprendre, je vais vous donner un exemple. Au début des années 90, quand se tenaient toutes sortes de débats devant mener à l’instauration de la démocratie, l’ambassadeur de France au Niger de l’époque s’est un jour montré extrêmement gêné de devoir répondre à un certain nombre de questions des journalistes, notamment sur ce qu’ils appelaient « la manne de l’aide internationale ».
Comme l’un d’entre eux lui demandait pourquoi, il répondit à peu près ceci : « le mot « manne » est déshonorant pour votre pays. Vous ne devriez pas parler comme ça. Vous ne devriez pas présenter les choses sous cet angle-là. » Bien évidemment, les journalistes n’ont rien compris et semblent n’avoir rien compris jusqu’à ce jour puisque ces termes sont encore constamment utilisés par eux, probablement parce qu’ils ne savent pas exactement ce qu’ils sont en train de dire. Par exemple que ce mot a été emprunté au vocabulaire médiatique (et raciste) visant à discréditer les Africains et à les décrire comme des gens sans initiative attendant, comme des petits oiseaux au bec ouvert et tendu vers le ciel, qu’une nourriture miraculeuse leur tombe de là-haut : en effet, le dictionnaire définit le mot « manne » comme une «nourriture miraculeuse envoyée aux Hébreux dans le désert ». Maints autres termes du même ordre (par exemple « élections tropicalisées » qu’on trouve jusque dans les discours du Président de la République ! ou bien « Don de l’Arabie Saoudite au Niger » ou « Don de l’Allemagne au Niger » etc.), qui font partie du vocabulaire d’autoflagellation sont ainsi quotidiennement utilisés au Niger et ailleurs et personne n’y trouve rien à redire, sauf les étrangers qui se montrent toujours gênés quand ils les entendent comme ils se montrent gênés quand on utilise le « N.. word » devant eux. A propos de dons, il faut d’ailleurs rappeler que chaque jour que Dieu fait, on voit à la télévision nationale un ministre qui s’est déplacé pour réceptionner des « dons » parfois insignifiants (comme par exemple quelques ventilateurs pour des cases de santé). Personne ne semble penser que ce n’est pas normal et que nous ne devrions pas nous confondre publiquement en effusions de reconnaissance larmoyantes pour si peu alors même que nos « bienfaiteurs » n’en demandent pas tant et ne savent parfois où mettre la tête face à des expressions de gratitude exagérées venant de personnalités ci-haut placées.
Pour en venir au sujet qui nous occupe ici, il faut ranger dans le même type de comportements le fait de demander à la Russie de venir secourir les Maliens sans souligner qu’il appartient d’abord et avant tout aux Maliens de se libérer eux-mêmes. Non pas qu’on ne puisse pas solliciter une aide quelconque d’un ami étranger (on a bien vu, dans le cas de la Syrie, que le régime dynastique des Assad n’a survécu que grâce à l’intervention de la Russie et de l’Iran et maints autres exemples peuvent être rappelés) mais l’esprit dans lequel on le fait ne doit pas être celui qui consiste à abandonner toute initiative et à s’en remettre aux autres pour son propre salut, car cela montrerait clairement que les Africains sont dénués de toute « agency » (capacité du sujet à s’autodéterminer) ou même de toute fierté. Pour mieux me faire comprendre, j’évoquerai par exemple le cas de l’Érythrée, ce petit pays sciemment créé par les impérialistes pour couper tout accès à la mer à l’Éthiopie et dont le dictateur local, Issayas Afeworki, refuse toute aide internationale, de quelque nature que ce soit et d’où qu’elle vienne. Même si cet extrémisme doit être condamné, il faut aussi souligner qu’il résulte de la volonté des dirigeants érythréens de créer chez leurs concitoyens une certaine fierté nationale et le réflexe de compter d’abord et avant tout sur eux-mêmes et non d’abandonner toute initiative historique pour remettre leur destin dans les mains des autres.
A cet égard, tout le monde se réjouit que les militaires aient chassé IBK du pouvoir, mais le tout n’est pas de chasser IBK. IBK parti, les problèmes du Mali restent entiers et personne jusqu’à présent, ni les militaires, ni les dirigeants de l’opposition n’a proposé des solutions convaincantes pour sortir le Mali de l’ornière, par exemple libérer les 60% du territoire occupés par divers groupes dont certains sont clairement sous la protection de la France (par exemple à Kidal). Il ne faut pas qu’encore une fois cette « révolution » se limite tout juste à un changement de personnel politique. Il semble que la junte vienne d’appeler la Russie au secours et que les Maliens aient crié « Russie ! Russie ! » lors du dernier grand rassemblement de vendredi. Cela fait partie du genre d’attitudes que je dénonce ci-haut. Les mêmes scènes de liesse honteuses ont accueilli le loup dans la bergerie quand les Français sont venus se présenter en sauveurs face aux groupes rebelles qu’ils ont eux-mêmes créés de toute pièce. C’est donc une politique irréfléchie et à courte vue et les espoirs de ces Maliens qui cherchent des solutions de facilité seront nécessairement déçus : car Il y a de bonnes raisons de penser que la Russie ne viendra pas sauver le Mali :
1) Les Russes coopèrent aussi avec la France et l'Europe et en matière de relations internationales, il n'y a que les intérêts qui comptent. Les Français peuvent très bien mettre dans la balance les intérêts de la Russie en France (et en Europe). On n'a pas besoin d'être grand clerc pour savoir que ceux (les intérêts) qu’ils ont au Mali ne pèsent rien à côté de ceux que la Russie a en Europe et en France. En conséquence, les Russes hésiteront certainement à sacrifier les intérêts qu'ils ont en France et en Europe contre ceux qu'ils ont au Mali. Ce n'est pas d'aujourd'hui que datent les tentatives des Maliens pour convaincre les Russes d'intervenir, mais ceux-ci sont restés très prudents jusqu’à présent et ont toujours répondu qu'ils voudraient bien, mais que cela risquerait de les faire entrer en conflit (pas nécessairement militaire, mais politique et diplomatique) avec la France. Ils ne tiennent pas à courir ce risque qui pourrait leur coûter cher.
2) Une entrée en scène ouverte de la Russie en Afrique risque de sérieusement bouleverser "les équilibres établis » (un euphémisme pour désigner l’ordre géopolitique international ou le partage d’influence planétaire entre grandes puissances) et c'est la Russie qui sera certainement condamnée par toutes les autres puissances pour avoir rompu une entente tacite. Les Russes ne voudront pas courir ce risque.
3) La stratégie de la France est d'entraîner les autres puissances européennes derrière elle. Elle a jusqu'à présent échoué, mais il n'est pas exclu (il est même certain) qu'elle a déjà discuté avec la Russie et trouvé un terrain d'entente (un accord tacite ou secret) sur ce sujet avec les Russes. Aucun doute là-dessus. On peut parier que cet accord exclue nécessairement une intervention ouverte de la Russie au Sahel et qu'il a été conclu sur la base d'intérêts réciproques, c'est-à-dire un marchandage politique (donnant donnant) pour l'inactivisme de la Russie.
4) Une intervention militaire est coûteuse et toujours hasardeuse. Qu’est-ce que la Russie pourrait obtenir en contrepartie ? Car la question est, encore une fois, qu’est-ce la Russie pourrait obtenir en contrepartie ? Il n’y a rien de désintéressé en matière diplomatique. Certes, la Russie pourrait en obtenir une grande popularité au Mali et en Afrique en général, mais cela braquerait nécessairement les autres puissances contre elle et comme je l’ai dit plus haut, les intérêts qu’elle a avec ces dernières sont certainement un million de fois plus importants que ceux qu’elle pourrait avoir avec le Mali. Il ne faut jamais, jamais, perdre de vue les intérêts, les intérêts, les intérêts. En outre ses propres populations pourraient voir d’un mauvais œil le coût militaire (et humain) de cet engagement dans des contrées lointaines dont l’importance stratégique pourrait leur échapper.
5) La Russie pourrait aussi se demander où elle met les pieds. Par exemple, sur la nature du gouvernement malien ou des dirigeants maliens avec qui elle coopère car les péripéties de la politique intérieure malienne et le manque de sérieux chez les partenaires maliens (ou leur corruption et impopularité) pourraient déteindre sur le gouvernement russe comme ces facteurs déteignent en ce moment sur la France, décriée de toutes parts, y compris pour des fautes qui lui sont parfois tout juste mises sur le dos. Donc cela aussi a un coût politique. C’est un pari hasardeux sans compter qu’un embourbement militaire est possible (si la France décide par exemple de ne pas lui faciliter la tâche).
6) Il ne faut peut-être pas écarter à 100% l’éventualité d’une intervention, même indirecte, de la Russie. Toutefois, si cela devait advenir, ce qu'il faut surtout craindre, c'est un jeu de dupes (comme cela se passe en ce moment en Centrafrique) où les deux puissances tutélaires pourraient se retrouver sur le même territoire et jouer aux adversaires complices aux dépens des Maliens, chacun tentant de se rendre indispensable aux yeux de ses ouailles sans qu'on puisse entrevoir, à court ou à moyen terme, un règlement définitif du problème qui se trouve ainsi prolongé pendant qu’elles tirent les marrons du feu. Cela me fait penser à ces juges corrompus de chez nous qui ne tranchent jamais pour l'un ou l'autre des camps (ce qu'on remarque le plus souvent dans les conflits fonciers), se donnant ainsi l'occasion de continuer à se faire "graisser la patte" pendant des années et des années, comme dans un chantage qui ne dit pas son nom. De même, la guerre (et le terrorisme) ne semblent pas devoir finir avec la victoire définitive d'un camp sur l'autre, car cela signifierait que la présence des puissances étrangères ne se justifierait plus. En effet, ce qui prolonge les guerres en Afrique, ce sont les innombrables intérêts nationaux mais aussi individuels comme par exemple avec certains officiers supérieurs africains et européens qui en profitent professionnellement et financièrement ou avec ces innombrables fonctionnaires internationaux qui se retrouveraient oisifs et auraient du mal, autrement, à donner un contenu à leurs postes et à justifier les salaires mirobolants qu’on leur octroie généreusement. C’est pourquoi la guerre contre le terrorisme semble n’avoir d'autre fin que la guerre contre le terrorisme et en conséquence la présence indéfinie des troupes étrangères. C'est pourquoi aussi les médias français font tout pour nous convaincre que le conflit se prolongera, qu'il n'a pas de solution à court ou à moyen terme et qu'il faudra sans doute compter encore 15 ou même 30 ans de présence étrangère pour en venir à bout. Le seul problème, c'est que cette posture a des contrecoups politiques sérieux car, comme on le voit dans les rues de Bamako, c'est contre la France que les Maliens se braquent et ce sont ses rivaux qu'ils appellent au secours alors qu'ils demandent de plus en plus son départ. Toutefois, ces derniers temps, de plus en plus de voix s’élèvent dans la presse française pour questionner cette attitude. Peut-être que les apprentis-sorciers de la macronie sont en train de se rendre qu’à ce jeu ils seront les plus grands perdants car ils sont en train de s’aliéner définitivement la jeunesse et les populations africaines.
Dans ces conditions, que faut-il faire et sur qui faut-il compter ? A cette question je réponds ceci :
Le seul fait que nous en soyons à « quémander » l’intervention d’une puissance étrangère quelconque montre une irresponsabilité morale et politique de notre part et une absence de volonté manifeste. Cinq siècles de domination esclavagiste et coloniale ont cultivé en nous ce sentiment d’impuissance qui nous fait croire que nous avons besoin de maître ou de tutelle en toute circonstance. Toutefois, il n’appartient pas à la Russie ou à qui que ce soit de libérer le Mali. Il appartient d’abord et avant tout aux Maliens de libérer le Mali. Si eux et leurs dirigeants pensent qu’ils n’en sont pas capables, alors ils n’en seront jamais capables. Quelqu’un qui n’a pas la volonté de mener une bataille mais en est réduit à pousser un tiers devant lui pour recevoir les coups à sa place a perdu le combat d’avance.
Gado Alzouma
Professeur des universités
Commentaires
Ce faisant le Mali a importe une guerre mondiale en Afrique de l'Ouest. Parceque la france ne va jamais quitter le Niger et la Cote d'Ivoire. Donc une guerre qui devrait etre faite sur le sol europeen est transportee chez nous. Et si la Russie s'installe au mali, ce clash aura lieu quelqu'en soit le temps.
Mefiez-vous, maitriser vos emotions.
Change ton pseudo et attire-toi seulement la positivit