Niger : Un fichier électoral « propre » et si on le concevait ensemble pour 2021
Harouna MOUMOUNI MOUSSA, a été membre du Comité d’Experts commis par le CFEB (Comité du Fichier électoral Biométrique) pour aider dans le choix du prestataire devant mettre en place le Fichier électoral biométrique en 2014. Il a donné plusieurs interviews et écrit plusieurs articles sur le sujet depuis 2013.
Le Rapport de synthèse des travaux de l’Audit du Fichier électoral du Niger, présenté le 03 janvier 2016 par le Général Siaka SANGARE sous mandat de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) a mis enlumière quelques forces et faiblesses de ce fichier Malgré la « cure » opérée sous l’égide des experts de l’OIF, des imperfections ont subsisté dans ce fichier, impactant certainement sur la qualité des résultats issus des élections de février-mars.
Retour sur les écueils décelés par l’audit international
L’audit a révélé des inscrits qui n’atteindront leur majorité qu’après les élections du 21 février 2016 (39.229 inscrits concernés). Il a également levé le voile sur la faiblesse des pièces justificatives de l’identité des inscrits. C’est du reste pourquoi, les 4.711.766 électeurs, inscrits sur la base du « simple » carnet de famille, aura contribué à rendre quelque « alambiqué » ce fichier électoral car représentant 61,3% du fichier électoral global. Le carnet de famille permettant l’enrôlement de personnes absentes (immigrés, exodants, décédés …et pire, des personnes n’ayant jamais existé) ou l’omniprésence des inscriptions (inscrits à plusieurs endroits à la fois), on peut aisément comprendre la raison qui en a fait un document non représentatif du nombre de personnes habitant réellement dans un ménage. A ces 61,3% d’inscrits, se sont ajoutés 15,4% qui représentent 1.180.738 électeurs sur la base du témoignage. D’autres tares encore plus graves sont insérées au fichier ; on peut citer les nombreuses erreurs sur les dates de naissance et les omissions de certains électeurs dont les données ont été collectées pourtant par les agents collecteurs. Ce « cocktail »est la résultante de plusieurs causes et facteurs, dont des défaillances humaines, des erreurs, de mauvais choix technologiques mais le principal « coupable » est notre système d’état-civil quasi-inopérant sinon inexistant à plusieurs égards La fiabilité des listes électorales dépend de la bonne tenue du fichier d’état civil. Pour ne plus avoir à recourir aux recensements à chaque échéance électorale, les listes d’électeurs doivent être alimentées par un état civil solide et pérenne.
Bâtir un véritable « état civil » et disposer d’un fichier électoral
Il faut donc avancer et cinq (05) années nous séparent de scrutins d’une telle envergure et au vu des précédents, le Niger n’aura aucune excuse de ne pas disposer d’un fichier électoral de confiance à l’horizon 2021. Un « vrai » fichier « aseptisé » et qui aura été mis en place, assaini, optimisé et destiné à de multiples usages.
L’état civil fondant l’identité, le droit à l’identité citoyenne passe par un système d’enregistrement des faits d’état civil solide, exhaustif et permanent, maillé sur tout le territoire. Sa consolidation doit être une priorité absolue, et doit intégrer les données biométriques pour :
L’établissement périodique des listes électorales biométriques à l’instar de certains pays de la sous-région[H1] ; (Bénin, Togo, Burkina …)
L’établissement et la délivrance des pièces d’identité sécurisées (carte d’identité, passeport, permis de conduire …) ;
La gestion de la sécurité avec diverses applications possibles pour l’Etat[H2] (base de données d’empreintes digitales et de reconnaissance faciales qui seront comparées aux données recueillies sur une scène de crime par exemple ; définition de profils types pour tracker des délinquants ….)
Il faut désormais se départir des fichiers électoraux « saisonniers » conçus à chaque élection présidentielle avec tout son lot d’équipements et de ressources humaines renouvelés ; surtout dans un pays où on n’arrive pas encore à avoir assez d’argent pour assurer les dépenses de souveraineté. Cette manière d’engendrer des dépenses supplémentaires à l’Etat constitue un véritable « crime » qui interpelle tout le monde. Il est vrai que c’est une période que beaucoup de structures politiques attendent pour trouver un « job » à leurs « représentants » et se remplir les poches mais nous devrons songer à des solutions durables et évolutives à même de servir dans les 50 prochaines années en lieu et place de chaque quinquennat.
Les administrations électorales des pays développés s’appuient sur les registres d’état-civil des populations administrées ; et ces opérations sont encadrées par l’Etat, dans le strict respect des données personnelles des citoyens. Ces pays, disposant d’un état-civil consolidé, nul besoin de procéder à un quelconque recensement onéreux pour sortir une liste d’électeurs et encore moins y introduire une technologie biométrique qui a la réputation d’être coûteuse. Le fichier électoral biométrique du Niger est (à mon avis) plus une question de volonté politique qu’une conclusion découlant d’une analyse sérieuse de nos besoins et de nos priorités.
Pour les élections de 2015, le Niger était prêt à « injecter » une cinquantaine de milliards CFA pour disposer d’un fichier électoral biométrique, qui s’il avait été confectionné de cette manière, n’aurait pas eu de résultat différent de ce que le fichier classique nous aurait donné. On n’aurait pas été épargné de l’ubiquité des enregistrements, de l’inscription de non-nigériens, de l’enrôlement de mineurs non-émancipés … car le support de l’identité de départ étant le carnet de famille et le témoignage, les gens n’ont eu aucun scrupule à user de faux témoignages.
Il faut capitaliser le compte à rebours….
Mettons à profit ce nouveau compte à rebours de 5 ans pour disposer de quelque chose de vraiment utile et qui sera à multiple usages et dont les couts d’implémentation pourront être amoindris ou amortis sur le temps. Le but étant de :
Mettre en place un registre d’état-civil informatisé ;
Utiliser la même technologie avec accès distant aux niveaux local, régional et national ;
Mettre en place un dispositif permettant des centres de saisie locaux capables de communiquer entre eux en temps réel ;
Mettre en place un système de gestion centralisé permettant de détecter et traiter les doublons à l’échelle national ;
Attribuer un numéro de citoyen unique afin de garantir l’unicité des citoyens et qui servira désormais d’identifiant pour cette personne dans toutes ses relations avec l’Etat (carte d’identité, passeport, impôts, contrat de travail…. Certificat de mariage) ;
Garantir la sécurité du stockage des données et leur traitement ;
Coupler la carte d’électeur à la carte d’identité nationale portant les données d’identité numérique ;
Utiliser les données biométriques dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme ;
Pour l’atteinte de ces objectifs, il n’est point utile de mettre en place des structures avec des centaines de membres qui représentent des partis politiques, des syndicats et des acteurs de société civile. Cela aurait l’inconvénient d’alourdir les prises de décisions, de grever les budgets mais surtout de ne pas pouvoir capitaliser une expertise sur ce projet. Des partis politiques n’ayant aucune expérience d’élections et n’aspirant à rien qui usent de leur droit de disposer d’un représentant qui peuvent aussi désigner un militant (ou un parent), histoire de lui trouver une occupation. Une bonne centaine de représentants émargeant sur les maigres ressources de la structure mais n’ayant aucune valeur-ajoutée réelle.
Il serait plus judicieux de disposer d’une petite « Task-force » de deux à trois personnes qui réfléchiront pour concevoir dans un premier temps un cahier des charges recensant les besoins réels et usages possibles du futur fichier d’état-civil informatisé qui pourrait donner systématiquement naissance au fichier électoral biométrique. L’Etat pourra ensuite mettre en place une Institution étatique permanente responsable du registre de l’état civil qui aura pour premier rôle de définir et identifier la technologie appropriée en accord avec les besoins du Niger.
Il est important que cette structure soit maître d’œuvre du projet, en partenariat avec l’entreprise privée choisie, de façon à bien maîtriser la mise en place de la biométrisation et à assurer un transfert de compétence pour que les administrateurs nationaux soient autonomes dans la gestion du registre, une fois le contrat du partenaire privé terminé.
Il est important aussi de s’appuyer sur des entreprises nationales pour certains aspects de la mise en place pour non seulement développer l’expertise locale mais surtout réunir les conditions pour « garder en local » le maximum de cette manne financière qui sera investie. Je pense ici à la SONITEL à qui on doit penser pour lui confier la mise en place et la gestion de toute la réseautique permettant de relier les centres d’enregistrement … cela constituera un geste de volonté de relèvement économique de cette société nationale qui croule sous le poids des charges de fonctionnement et de mauvais choix d’investissement.
Sa mission pourra être de relier tous les centres d’enregistrement (niveau communal) par Liaison Spécialisée (Réseau Numérique à Intégration de Services) aux Centres de Traitement Régionaux ; qui eux même seront reliés au Centre de Traitement National par des liaisons Spécialisées interurbaines Fibre Optique dont la SONITEL a la parfaite maitrise. Ces liaisons, déployées seront totalement en marge des connexions Internet et pourront disposer de débits dédiés avec des accès sécurisés. Ce maillage sera alors le backbone de l’E-Administration puisqu’il sera présent au moins dans toutes les Régions, Départements et communes du Niger. Il pourra être raccordé facilement à d’autres institutions telles que la Police, l’Armée, administrations fiscales …
Harouna MOUMOUNI MOUSSA
Ingénieur Informatique
Master of Science en Systèmes, Réseaux et Sécurité
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J'esp