L’élection présidentielle 2016 au Niger : le pari d’une victoire au premier tour à l’épreuve des faits historiques et structurels
Les prédictions d’une victoire dès le premier tour font, depuis 1996, partie des sujets constitutifs du débat politique à l’approche des élections présidentielles au Niger. Les récentes réélections, dès le premier tour des présidents sortants Alpha Condé de Guinée et Alassane Dramane Ouattara de Côte d’ivoire, combinées au contexte politique actuel, donnent cependant à celles que l’on entend ces derniers temps une tonalité assez particulière. Les partisans du Président sortant étant convaincus de la réalisation inéluctable d’un scénario similaire au Niger. Aussi, la persistance de cette croyance, dans un climat politique pour le moins tendu, incite à l’examen de ces fameuses prédictions à la lumière des faits concrets, inhérents à l’évolution politique et électorale du pays.
1- Depuis l’amorce du processus démocratique au début des années 1990, 5 élections présidentielles ont été organisées au Niger : 1993, 1996, 1999, 2004 et 2011. De toutes ces élections, 1 seulement s’est soldée par la proclamation de la victoire d’un des candidats au premier tour. Une issue qui a été largement contestée par les principaux partis politiques du pays. Pour les 4 autres, aucun parti politique n’a été en mesure de recueillir, à lui seul, la majorité absolue requise. Il a bien fallu organiser « des seconds tours » pour départager les finalistes du premier tour, soutenus par deux coalitions de partis politiques.
2- Mais ceux qui ne prévoient pas de second tour en 2016, ne semblent pas remettre en cause le fait que l’élection présidentielle se soit toujours jouée entre les trois plus grands partis politiques du pays, dans un schéma de 2 contre 1, avec le candidat arrivé 3ème en position de faiseur du roi. Ils mettent tout simplement en avant des arguments, qui rendraient ce schéma habituel inopérant en 2016. Des arguments structurés principalement autour des dissidences observées au sein des principaux partis politiques de l’opposition. La question majeure est dès lors de savoir si ces dissidences et scissions, sont véritablement en mesure de provoquer la profonde recomposition du paysage politique postulée et qui se solderait par la victoire du président sortant au premier tour.
3- Les dissidences et scissions sont, à n’en point douter, un facteur d’affaiblissement du poids des partis politiques. Le Niger cependant, il importe de le rappeler, n’est pas à sa première vague de dissidences au sein de ses principaux partis. La création du COSIMBA en 1996 et du RDP par la suite pendant la 4ème République, furent principalement le résultat de dissidences des cadres et militants du MNSD, CDS, l’ANDP et bien d’autres partis politiques de la 3ème République. Mais cela ne s’est pas traduit, pour autant, par une restructuration significative du paysage politique nigérien. C’est du moins ce qu’indiquaient les résultats du premier tour de 1999, qui ont remis en scelle le même tiercé de la 3ème République (MNSD, CDS, PNDS), avant de provoquer la réédition du fameux schéma de 2 contre 1.
4- Le MNSD, avec 32,33%, n’avait ainsi perdu que 1,89% de son score de 34,22% de 1993. Et le CDS, qui a recueilli 22,51 % n’avait régressé que de 4,08% par rapport à son rendement de 26,59% en 1993. Une régression qui serait pourtant moins liée aux dissidences observées au sein du parti pendant la 4ème République qu’au climat tendu qui a prévalu au sein du parti, à la veille de la présidentielle de 1999, dont l’une des manifestations avait été la disqualification de Cheiffou Amadou du poste de directeur de campagne du parti qu’il occupa en 1996. Une décision qui n’était pas de nature à favoriser un engagement significatif de ses partisans dans la mobilisation électorale, tant sur le plan national qu’au niveau de la région de Maradi, le second fief du parti. Le PNDS est quant à lui passé de 15,92 % en 1993 à 22,79%. Un score qui ne représentait cependant pas exclusivement le poids électoral du PNDS. Le candidat du PNDS ayant bénéficié du soutien, dès le premier tour, des partis politiques comme le RDA, le PNA, etc...
5- Le faible impact des dissidences et scissions observées pendant la 4ème République sur l’issue de la présidentielle de 1999, est en grande partie lié à la double dynamique de personnalisation et de personnification des partis politiques nigériens. Une dynamique qui consacre d’une part la préséance des facteurs personnels sur les facteurs institutionnels dans l’engagement partisan et électoral, tout en se traduisant, d’autre part, par la mise en œuvre de stratégies et réflexes de monopolisation des partis politiques.
6- Concrètement, les militants, adhérents, sympathisants et électeurs nigériens, sont globalement moins attachés aux partis politiques qu’aux pères fondateurs de ceux-ci, leaders des différents fiefs et ceux qui jouissent de leur confiance. Et nombreux sont les leaders de partis politiques qui n’hésitent pas à favoriser activement la visibilité et la promotion des personnes qui ne sont pas susceptibles de leur faire ombrage ou de défier leur leadership exclusif.
7- Dans cette perspective, le degré de vulnérabilité du poids électoral des partis politiques face aux dissidences, demeure moins liée aux positions occupées par les dissidents au sein des instances dirigeantes des partis concernés, qu’aux facteurs qui sont à l’origine de celles-ci. Autrement dit, la dissidence d’un cadre dont l’ascension au sein du parti résulte de sa seule proximité avec le leader, aura logiquement moins d’incidences sur les retombées électorales du parti que celle d’un cadre qui dispose d’une assise électorale.
8- Dans le débat actuel, il intéressant de constater que certains dissidents dont les noms sont évoqués pour annoncer la défaite de l’opposition, sont en grande partie le produit des stratégies de personnalisation de leurs partis. C’est le cas de Abdou Labo, qui joua pour Mahamane Ousmane un rôle précis, celui de contrecarrer le poids de cheiffou Amadou dans la région de Maradi et son ambition pour le leadership du CDS. De même, les dissidents actuels du MNSD, issus de la région de Tillabéry et de la communauté urbaine de Niamey, doivent en grande partie leur promotion ou visibilité aux circonstances qui ont précédé et suivi le départ de Hama Amadou du MNSD. Le but étant de les présenter comme des leaders d’opinion et des grands électeurs. Ce qui était loin d’être le cas.
9 - Au premier tour de la présidentielle de 1993 par exemple, le MNSD avait recueilli 51% des suffrages exprimés valables dans la région de Tillabéry et 42,07% dans la communauté urbaine de Niamey. Et au premier tour de 2011, le MODEN-FA avait recueilli, selon les chiffres bruts de la CENI, 46,69 % dans la région de Tillabéry, contre 18,77% pour le MNSD et 40,63% dans la communauté urbaine contre 13,39% pour le MNSD. Des chiffres assez illustratifs du poids de Hama Amadou dans l’électorat de ces régions et qui poussent surtout à la relativisation du poids attribué aux actuels dissidents aussi bien du MNSD que du MODEN-FA ,dans cette partie du pays.
10 - Les attentes que l’on peut à cet égard formuler aux pronostiqueurs d’une victoire du président sortant au premier tour, c’est de ressortir l’apport concret des dissidents du MNSD de ces régions, dans les 137.000 voix remportées par le MNSD à Tillabéry et dans la communauté urbaine de Niamey en 2011, afin de mieux comprendre leur éventuelle contribution à la victoire au 1er tour annoncée. Et en ce qui concerne les dissidents du MNSD issus des régions de Tahoua, Zinder et surtout Maradi, des régions où la popularité de l’ancien Président Tandja Mamadou ne fait l’ombre d’aucun doute, ce que l’on aimerait savoir, c’est moins le positionnement d’anciens dauphins du Président Tandja Mamadou comme Albadé Abouba que le point de vue du Président Tandja Mamadou lui-même ainsi que la disponibilité de ses anciens lieutenants qui ont des fiefs électoraux significatifs, comme Ali Sabo, à remobiliser leurs troupes en faveur de Seyni Oumarou.
11- On attend également des éclaircissements sur l’apport de la très médiatisée aile du CDS affiliée à la mouvance présidentielle, sur la spectaculaire victoire postulée. Ceci, au regard du score réalisé en 2011 par le président sortant dans la région de Maradi, le fief présumé de Abdou Labo. En 2011 en effet, les voix recueillies au 1er tour par l’UDR, le RSD, le MODEN-FA, le PNDS et l’ANDP dans la région de Maradi s’élevaient à près de 275.005, selon les chiffres bruts de la CENI (soit respectivement 4795 + 77.063 + 55.089 +130.406 + 7652). Tous ces partis avaient appelé à voter pour le candidat du PNDS au second tour. Mais celui-ci n’est au final entré en possession que de 173.828 voix seulement. Il aurait ainsi perdu près de 101.177 voix au second tour, dans la région de Maradi. Et ce, en dépit de la décision prise par Abdou Labo de braver la consigne de vote de son parti pour le soutenir.
12- Tous ces éléments démontrent le caractère plutôt fort improbable d’une profonde recomposition du paysage politique, susceptible d’occasionner la réélection du président sortant dès le 1er tour en 2016. Et les prédictions qui s’appuient sur des arguments mettant en avant le nombre d’années que les principaux partis de l’opposition, et en particulier le MNSD, ont passées en marge du pouvoir et qui serait un handicap majeur pour la reconquête du pouvoir, ne résistent pas également à l’examen d’autres faits historiques et structurels du jeu politique nigérien.
13- En effet, l’autre argument développé par les tenants de la victoire du président sortant au 1er tour est celui de l’érosion des réseaux relationnels que le MNSD aurait acquis à la faveur de l’exercice du pouvoir. Des réseaux qui seraient indispensables à la reconquête du pouvoir et que le MNSD ne serait plus en mesure de mettre à contribution. Il importe de rappeler à ce propos, ne serait-ce qu’aux jeunes générations, que le MNSD n’est pas à sa première traversée du désert. Depuis sa création des cendres du Parti-État en 1991, il est resté en marge du pouvoir jusqu’en janvier 1995. Un retour aux affaires qui fut écourté par le coup d’Etat du 27 janvier 1996 et la mise en place de la 4ème République. Mais cela ne l’a pas empêché de revenir au pouvoir, en 1999.
14- Le MNSD, fait ainsi partie de très rares partis politiques d’Afrique francophone qui avaient été évincés du pouvoir par les revendications démocratiques et qui ont regagné les devants de la scène politique à la faveur d’élections libres et transparentes. Il a non seulement survécu à l’alternance du début des années 1990, mais il a continué à dominer le jeu politique nigérien, jusqu’à sa scission en 2010 (une scission qui est structurellement bien différente de celles que le parti a connues ces derniers mois !). Et Tandja Mamadou demeure, jusque-là, le président le mieux élu de la période démocratique, après avoir mobilisé 29% du nombre total des inscrits sur les listes électorales du pays en 2004. Il est par ailleurs utile de remarquer, qu’il était revenu au pouvoir, en dépit de la stratégie de la relégation hors du jeu économique d’une bonne partie des opérateurs économiques qui lui ont été favorables lors des élections de 1993, au profit des commerçants plutôt proches de l’AFC. Et d’autres opérateurs économiques militant dans ses rangs avaient par la suite été récupérés par le RDP sous la 4ème République, à quoi s’est surtout ajouté le décès de El Souley Dan Gara dit Bala Dan Sani de Maradi, qui était présenté comme le principal mécène du parti. Ce sont là des éléments qui semblent indiquer que la force du MNSD repose moins sur l’argent que sur l’ancrage populaire hérité du parti-Etat.
15- Ainsi, ceux qui prédisent la victoire du président sortant dès le 1er tour, en misant sur une moindre performance du MNSD à cause de la perte du soutien des opérateurs économiques qui auraient rallié le camp du pouvoir en place, doivent revoir, au tout au moins nuancer, leur pronostics, à la lumière de ces éléments historiques. Il leur serait surtout important de remarquer la nette différence existant entre la génération des opérateurs économiques des années 1990 et celle d’aujourd’hui. Les premiers s’investissaient pleinement avant et pendant la période électorale aux côtés des candidats de leurs choix. Les seconds ont plutôt tendance à être attentifs aux résultats, avant de s’engager. Si bien que, la question n’est plus de savoir avec qui sont ces derniers, mais avec qui ils n’ont pas été, après son accession au pouvoir. Leurs soutiens sont par conséquent encore moins déterminants que ne l’avaient été ceux de la génération précédente.
16 - En plus des limites des arguments qui tablent sur les effets des scissions et le ralliement de certains opérateurs économiques au camp du pouvoir, soulignés plus haut, on doit ajouter l’impact des facteurs conjoncturels, que ceux qui prédisent une victoire au 1er tour semblent ignorer. Ils en ont pourtant fait les frais en 2004, avec le revirement spectaculaire des leaders de l’ANDP, du CDS, du RSD et du RDP. Ces derniers ayant annoncé, après la proclamation des résultats du 1er tour, leur décision de soutenir le candidat du MNSD au second tour, alors qu’ils s’étaient résolument engagés à soutenir le candidat du PNDS.
17- D’autre part, ceux qui sont irrésistiblement tentés par la transposition des récents scénarios de la Côte d’Ivoire et de la Guinée, doivent se rappeler que ces pays ont connu des trajectoires politiques différentes de celle du Niger. Et que par ailleurs, l’actualité électorale de la sous-région est faite de ces deux réélections au 1er tour, mais aussi de la défaite du président sortant du Nigeria voisin, GoodLuck Jonathan. Ce dernier ayant été, du reste, emporté par les allégations de corruption ainsi que son évidente incapacité à gérer les problèmes d’insécurité du Nord.
18- Enfin, Joseph Schumpeter, l’un des plus grands théoriciens de la démocratie du siècle dernier, assimile la démocratie à un régime qui se caractérise par la certitude quant aux procédures et l’incertitude quant aux résultats. Certitude concernant les temporalités et les règles qui régissent les compétitions électorales, dont les résultats ne sont pas connus à l’avance. Dans le contexte politique actuel du Niger, la certitude que l’on semble avoir, à moins de 3 mois des élections, se résume aux prédictions de la victoire au 1er tour du président sortant, que brandissent de plus en plus ses partisans. En revanche, une incertitude, sans précédent, plane sur la disponibilité et la fiabilité du fichier électoral, ainsi que sur le nombre de candidats qui seront habilités à prendre part à la compétition, au regard de l’arrestation en cours de certains opposants et l’épée de Damoclès qui est suspendue au-dessus d’autres candidats déclarés.
19- Dans ces conditions, pour être crédible et en mesure de contribuer à une meilleure compréhension du phénomène électoral, tout en renforçant la confiance entre les acteurs impliqués dans le processus électoral, l’évaluation de l’impact des dissidences et scissions observées ces derniers mois sur l’issue de la présidentielle de 2016, doit nécessairement aller au-delà des spéculations et des fausses évidences. Elle ne peut faire l’économie d’un recours rigoureux aux performances antérieures des différents partis politiques mais aussi à leurs histoires et modes de fonctionnement d’une manière générale. Elle doit surtout fournir l’effort de distinguer l’incertitude des résultats prônée par Schumpeter, inhérente à la possibilité qui est donnée à tous de participer à une compétition libre, équitable et transparente, du miracle politique. Miracle politique, tel qu’il a été défini par le juge franco-norvégien Eva Joly, à savoir : ce fait « rodé en maints pays d’Afrique, qui multiplie à volonté les électeurs et les votants, transforme une minorité en majorité, une défaite en victoire ».
Somme toute, les populations nigériennes méritent bien plus que ces 3 scénarios que semble leur proposer la classe politique : celui des élections de la 1ère République, dont les résultats étaient connus d’avance ; celui de la 4ème République, dans lequel l’opposition participe aux élections avant de les contester et les boycotts de la 6ème République. Il est donc grand temps que les uns et les autres, et en particulier le pouvoir en place, s’activent pour la réinstauration de la quiétude politique indispensable à l’organisation des élections libres, transparentes et équitables.
Dr. Elisabeth SHERIF
Diplômée de l’Ecole Doctorale de Science Politique de Bordeaux (France) et du Département de Science politique de l’Université d’Ibadan (Nigeria).
Commentaires
Pourquoi Bare ne pouvait pas pass
Pourquoi Bare ne pouvait pas pass
Nos enseignants chercheurs et docteurs et ingenieurs qui courent derri
- Meme chose pour l'opposiation ivoirienne, qui a m
nous sommes tous d'accord qu'il a la volont
Issoufou lui m
Merci de trouver mati
si le president Issoufou n'avait pas comme compagnons les deux filous de la renaissace, il pouvait faire meilleur score, mais helas.
KO au 1er tour inchallah. masu fach
Franchement, vous
A vous lire, Ousmane n'aurait plus les 37000 voix qu'il avaient eues en 2011
Amadou Bouba, c'
Echange int
oubl