Pour une croissance plus vigoureuse au Niger
"La croissance est un processus de destruction créatrice, qui révolutionne incessamment de l'intérieur la structure économique, en détruisant continuellement les éléments vieillis, et en créant continuellement des éléments neufs." (Joseph A. Schumpeter, Théorie de l'évolution économique, 1911).
Conformément aux attentes des analystes, l’Afrique de Ouest a connu une forte embellie en 2014 : son PIB a progressé de 6,1%. Deux pays se sont distingués durant cette année-là, à savoir le Niger et la Côte d'Ivoire, qui ont enregistré respectivement 7,1% et 8,3% de croissance de leur produit intérieur brut (PIB) (Cf. Graphique).
Pour le Niger, cette "performance, après une progression de 4,1 % en 2013, est essentiellement portée par la production agricole, qui a notamment bénéficié de bonnes conditions climatiques, ainsi que par le dynamisme des sous-secteurs de la construction et des transports et communications". Quant à la croissance du PIB ivoirien, elle est "soutenue à la fois par la demande intérieure et extérieure. Les investissements publics et privés dans le domaine des infrastructures et la consommation des ménages soutiennent la demande intérieure. La demande extérieure stimule de son côté les exportations des produits de base, grâce à des cours mondiaux orientés à la hausse". (Perspectives Economiques Africaines (PEA), 2015). Au Niger, tout comme dans les autres de la sous-région, cette embellie a suscité une grande euphorie, notamment au sein du gouvernement.
Les principaux moteurs de notre croissance sont la consommation finale, surtout celle des ménages (6,2 % en 2014, contre 4,5 % en 2013), et la formation brute de capital fixe (17,1 % en 2014, contre seulement 2.6 % en 2009). Cependant, il n'y a pas de quoi pavoiser pour longtemps. La dégradation du commerce extérieur devrait préoccuper le gouvernement. Selon l'Institut National de la Statistique (INS) (2015), les exportations et les importations auraient respectivement plombé "le PIB de 1,3 points et 2,7 points". En cause, "la hausse de 6,2% des importations en volume [qui] est liée à la poursuite des achats de certains biens d’équipement et des biens intermédiaires qui restent encore élevés", et qui traduit la difficulté du système productif nigérien (6,4% du PIB en 2013, hors mines) à répondre à une hausse de la demande interne et externe. La chute des exportations s’expliquerait, à la fois, par le "recul de la vente de l’uranium et au rythme de progression des exportations des produits pétroliers, moins important que celui de l’année précédente", selon cette institution.
Des perspectives favorables pour les années à venir....
Les perspectives de croissance de l’économie nigérienne restent favorables pour les deux années à venir. Selon Facinet SYLLA et Mansour NDIAYE(2015), notre économie " devrait enregistrer un taux de croissance réel du PIB de 6,0% en 2015 et de 6,5 % en 2016". Et pour ce faire, ces auteurs « s'appuient sur un certains nombre d'hypothèses : i) passer la production de pétrole brut du pays de 6,4 millions de barils en 2014 à 7,2 millions en 2015, avec une augmentation des quantités raffinées pour compenser, dans la mesure du possible, la chute du cours du baril de brut ; ii) stabiliser les prix de l’uranium et normaliser sa production ; iii) poursuivre les investissements dans les infrastructures et les secteurs sociaux ; et iv) maîtriser l’eau et développer l’irrigation en vue de réduire la dépendance de la production agricole aux aléas climatiques, à travers notamment la poursuite de la mise en œuvre de l’Initiative 3N. Les prévisions de 2016, outre i) la poursuite de la politique de relance du secteur agricole, reposent essentiellement sur ii) le début des exportations de pétrole brut et de produits raffinés ; mais surtout sur iii) le maintien des efforts dans la réalisation des infrastructures de soutien à la croissance, notamment la ligne ferroviaire Niamey- Parakou-Cotonou, la dorsale transsaharienne en fibre optique et les infrastructures routières de désenclavement ».
....mais qui risquent d'être compromises.
Trois risques majeurs (non exhaustifs bien évidemment) pourraient remettre en cause ces perspectives :
- Les aléas climatiques : Les conditions climatiques défavorables pourraient menacer le secteur primaire qui représente plus de 40 % du PIB. D'où l'intérêt pour notre gouvernement d’accélérer la mise en œuvre de l’Initiative 3N, un programme qui pour ambition la maîtrise l’eau et le développement de l’irrigation pour rendre la production agricole plus autonome.
- L'insécurité de biens et de personnes : Il s'agit du risque lié au regain de l'activité terroriste dans la sous-région qui compromettrait la réalisation d’importants investissements directs étrangers (IDE) dans le pays et ses voisins;
- L'insécurité énergétique : Le développement d'un pays se nourrit essentiellement de l’abondance d'énergies : électricité, produits pétroliers, bon marché et de qualité. Au Niger, c'est la situation inverse qu'on observe puisque le taux d’électrification tourne autour de 10% en 2013, soit 405 localités électrifiées; et ce malgré les sources d'énergie que regorge le pays : pétrole, uranium, fleuve, et un ensoleillement permanent, qui restent pour l'essentiel sous-exploitées ou pas. L'explication de notre retard résiderait de la rareté de l'énergie, qui accroît son coût et la vétusté des réseaux de distribution qui entamerait la qualité.
Le coût de l'énergie : Bien que le Niger soit exportateur net de produits pétroliers depuis 2011, leur prix élevé (Super Sans Plomb : 540 FCFA /L, Gasoil : 538FCFA/L, soit plus de la moitié du salaire journalier d’un salarié payé au SMIG : 30047FCFA mensuel) : ce qui les rend quasi-inaccessible pour la majorité des nigériens. Or, contrairement à ce qu'affirment certains hommes politiques du pays, une baisse le prix de l'énergie aurait un impact [positif] très significatif sur la croissance (voir notre schéma). L'accroissement de la ressource disponible, qui résulterait de la baisse du coût de l’énergie, pourrait booster la demande intérieure... et notre économie rentrerait dans un cercle vertueux. Le gouvernement aurait donc tout à gagner en renégociant le contrat qui le lie avec la CNPC.
La qualité de l'énergie : Avec l'émergence de la classe moyenne (44,9% de la population du Niger en 2015 selon l’INS(2015)), qui a un pouvoir d’achat relativement élevé et arrive à se procurer facilement les produits électroménagers, la demande en énergie s'est considérablement accrue. Conséquence, l'offre énergétique de la Nigelec : (totale, Non Synchrone et hors miniers du nord) Puissance Interconnexion: 210MW installés / 96MW disponibles, Centrales thermiques : 125MW installés / 61MW disponibles, Pointe 2013: 150MW ; constituée de 60% d'électricité importée du Nigeria ainsi que la production locale, n'arrive plus à couvrir les besoins énergétiques annuels du pays(difficile à estimer faute de données officielles). La raison ? Un manque d'anticipation de la part de la société Nigérienne d’électricité (Nigelec) dont l’offre est "restée stationnaire pendant plus de 10 ans"(Réunion du Comité Scientifique de l’ASEA NIAMEY, octobre 2013). Et faute d’investissements lourds pour adapter les infrastructures/capacités existantes et satisfaire cette demande en énergie électrique de plus en plus croissante, les coupures de courant se multiplient.
Ces délestages, devenus récurrents dans le pays au fil des années, et surtout pendant les périodes de chaleur, occasionneraient des "perturbations non négligeables pour les usagers" (Réseau de Transport d'Electricité (Français), 2011) :
Pour les ménages : L’absence d’éclairage et de moyens de communication (internet, téléphone) sont les gênes les plus couramment constatées. Le temps perdu du fait de la perte de données informatiques ou de la reprogrammation d’appareils électroniques est également souvent cité. En revanche, d’un point de vue économique, le contenu du congélateur ou du réfrigérateur qu’il a fallu jeter ou encore la réparation d’un ordinateur endommagé pèsent nettement plus.
Pour les entreprises industrielles : une perturbation de l’alimentation électrique est rarement anodine en termes économiques.
Il s’agit des coûts liés aux pertes de production, au remplacement ou à la réparation des matériels endommagés, aux pertes de matières premières, au non respect de contrats avec des clients, aux coûts de la main d’œuvre pendant les interruptions de travail. Difficile dans ces conditions d'attirer de nouvelles petites et moyennes industries et promouvoir le "made in Niger".
Dans le secteur tertiaire, la perte de vente est la principale conséquence économique d’une interruption de l’alimentation électrique. De façon plus indirecte, le temps perdu par les personnes extérieures qui se trouvent dans l’établissement au moment de la coupure - clients, élèves.... - représente un coût pour la société. Dans certains cas, les coupures peuvent mettre en danger la sécurité des personnes (malades, hôpitaux, sites sensibles, signalisation routière, etc.).
Au cotés de ces perturbations, il faudrait aussi tenir compte des pertes importantes associées à ces coupures intempestives pour notre économie. Faute d'enquête et études sérieuses sur ce sujet, il serait difficile de les chiffrer au Niger. Selon le RTE (2011), "l’analyse des conséquences des coupures d’électricité permet de distinguer deux types de coûts : les coûts économiques, qui sont associés aux dommages subis directement par les consommateurs et aisément monétisés (temps perdu, perte de production), et les coûts sociétaux, qui concernent les dommages causés à des tiers du fait de la coupure de courant, ainsi que les préjudices non monétisés subis par les consommateurs d’électricité (perte de confort, temps perdu par le public, impact sous-traitants, client)".
Or, "la qualité du courant est un atout important pour la compétitivité car les coupures (moins de 3 minutes), et même les microcoupures (inférieures à 3 secondes), sont handicapantes pour l’activité des entreprises [et le bien-être des ménages]. Elle est [également] un atout important pour la compétitivité des industriels, c’est un argument pour leur implantation et, par là, un plus pour l’attractivité des territoires."(Chambre de Commerce et d’Industrie Française).
Améliorer la qualité de l'énergie consisterait à axer les efforts sur les objectifs suivants :
Associer les compagnies minières
Compte tenu de la prépondérance de l'industrie minière au Niger (10,2% du PIB en 2013), ce dernier devrait avoir un taux d'électrification élevé. Or, ce taux reste très faible : moins de 10 % de la population couverte, alors que le taux de couverture dépasse 80 % en Afrique du Sud et au Gabon. Ce qui nous laisse penser que nos industries minières (Somaïr qui alimente les villes d’Agadez, Tchirozérine, Arlit et Akokan ainsi que les Sociétés minières basées dans les environs et la Soraz) ne jouent pas assez le jeu. Et pourtant, si ces industries collaboraient avec la NIGELEC, elles pourraient apporter une réponse [quasi] satisfaisante aux besoins énergétiques croissants de la population. Puisque selon la Banque Mondiale " l’absence d’accès à l’électricité qui touche la majorité des Africains (y compris les Nigériens), peut être surmontée grâce aux sociétés minières qui ont un rôle essentiel à jouer dans l’exploitation des sources d’énergie propre dont recèle l'Afrique (y compris notre pays)".
Comme le souligne Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour la Région Afrique « l’intégration des secteurs de l’électricité et de l’industrie minière peut non seulement permettre aux mines de réaliser d’importantes économies, mais elle facilitera également l’électrification des communautés locales et offrira des possibilités d’investissement au secteur privé. Toutefois, pour y parvenir, les gouvernements, les compagnies d’électricité et les sociétés minières doivent collaborer ». Ces propos devraient inspirer notre gouvernement à engager des négociations avec la Somaïr et la Soraz. Et lorsqu'elles aboutissent, elles pourraient atténuer le problème de coupures d'électricité intempestives dans les régions où elles sont implantées voire davantage.
Construire des centrales thermiques :
Les constructions de centrales thermiques en cours ou à venir : Centrale électrique diesel 100MW de Gorou Banda (Niamey rive droite) et dont la mise en service prévue pour Juin 2015 et Centrale électrique à charbon de Salkadamna (Tahoua) pour 200MW extensible à 400MW pour l'horizon 2017, sont nécessaires pour pallier les délestages à court terme mais pas suffisantes pour remporter la bataille pour l’indépendance énergétique de notre pays.
Cependant, les deux objectifs étudiés précédemment ont une limite : les compagnies minières et la centrale thermique utilisent des énergies fossiles. Or, les sources d’énergie comme le pétrole, le charbon et même l’uranium se raréfient. Et à terme, en s’amenuisant, ces sources d’énergie coûteraient plus cher. Sans oublier leurs charges d'exploitations : qui peuvent s’avérer exorbitantes. A terme, cela risque de se répercuter sur le prix du kwh vendu actuellement à 59,45 FCFA pour une tranche de consommation de 0 à 50 kWh pour les abonnés domestiques dont la puissance souscrite est de 3 kWh. D'où l'intérêt de se tourner vers une source d'énergie intarissable que le soleil. Puis, "lorsqu'on a des ambitions, des visions d’avenir pour son pays, je pense qu’il faut aller vers la ressource qui va nous assurer la pérennité de notre approvisionnement en énergie électrique ; Et je crois que chez nous, cette ressource est disponible, c’est-à-dire le soleil." (Albert Wright, 2013).
Construire une Centrale solaire
Dans la plupart pays développés (Etats-Unis, France, Allemagne...) et certains pays en développement (Maroc, Ethiopie...), la tendance actuelle se tourne vers des énergies moins polluantes, plus respectueuses de l’environnement. Bien qu'il bénéficie d'un ensoleillement permanent, notre pays Niger reste à la traîne dans cette révolution énergétique et environnementale.
Malgré son coût élevé, la centrale solaire semble le choix pertinent compte tenu des atouts du pays. Certes l’investissement initial peut très élevé, mais le gouvernement peut compter sur les bailleurs de fonds tels que la Banque Mondiale qui appuierait un projet de centrale solaire au Maroc. En outre, une fois l’investissement réalisé, la centrale se rentabilise rapidement. Puis ses charges d’exploitation seraient nettement inférieures à celles d'une centrale thermique de taille équivalente : soleil (gratuit) contre produits pétroliers (payants) comme source d'énergie.
Les projets de construction des Centrales électriques solaires photovoltaïques de 5MW sur financement Eximbank Inde (à Niamey) et de 20MW de Guesselbody (20km de Niamey) en BOT s'inscrivent dans le cadre de la stratégie nationale que notre pays va mettre en place pour installer suffisamment d'unités de production d'énergie propre différentes pour satisfaire une grande partie de ses besoins d'électricité.
En attendant que ces projets voient le jour, le gouvernement devrait contribuer à démocratiser l'utilisation des panneaux solaires en réduisant les taxes qui pèsent sur leur importation.
Pour lever la crainte de voir la NIGELEC perdre son monopôle, celle-ci pourrait s'inspirer du modèle mis en place par l'Electricité de France (EDF), en France. Cela consisterait pour notre société d'électricité d'avoir l’obligation d’acheter, pendant une durée déterminée, l’électricité produite par des particuliers/entreprises à partir d’une énergie renouvelable, notamment le solaire. Les tarifs du photovoltaïque seraient fixés par l’Etat. Ainsi, les particuliers/entreprises auraient donc la garantie d’amortir leur investissement et de bénéficier d’un revenu régulier.
Dans un pays où l'accès à l’électricité reste encore un "luxe", comme nous l'avons mentionné plus haut, cette pratique ferait le bonheur des Nigériens puisqu'elle leur permettrait de s’y approvisionner qualitativement et surtout à moindre coût.
La réalisation des objectifs susmentionnés pourrait garantir un approvisionnement énergétique suffisant pour créer la croissance économique [robuste] nécessaire à la réduction de la pauvreté et à la promotion de la prospérité pour tous les Nigériens.
Adamou Louché Ibrahim
Analyste et consultant en économie de développement
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