Maradi : comment santé, numérique et changement social transforment les communautés dans les départements de Dakoro et Mayahi [Reportage]
Dans la région de Maradi, notamment dans les départements de Dakoro et Mayahi, la vie quotidienne des familles est rythmée par des défis constants : la malnutrition, l’insécurité alimentaire, accès à l’eau potable, des épidémies récurrentes, et de fortes barrières structurelles à l'accès aux services de base. Ces fléaux frappent particulièrement les femmes et les enfants, créant un cercle vicieux de vulnérabilité. Pourtant, derrière ce tableau sombre, une transformation silencieuse mais profonde est en marche.
Portée par l’Initiative pour la résilience au Sahel (SRI), financée par le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ) et mise en œuvre par l’UNICEF, le PAM et la GIZ, cette dynamique repose sur une conviction simple : la résilience ne peut s’obtenir qu’en conjuguant plusieurs forces, plusieurs leviers à la fois. Ces actions de l’UNICEF sont mises en œuvre en appui à l’État du Niger, dans le cadre du programme de coopération Niger–UNICEF, garantissant ainsi leur alignement sur les priorités nationales. À cela s’ajoute l’appui décisif de Gavi, l’Alliance du Vaccin, qui, à travers l’UNICEF, assure la disponibilité des vaccins et renforce ainsi le pilier essentiel de la santé et de la prévention.
Dans les villages, les infirmiers se déplacent désormais jusqu’aux communautés pour vacciner chaque enfant. Les relais communautaires sensibilisent les mères aux bonnes pratiques d’alimentation du nourrisson et du jeune enfant. Les adolescentes et les leaders religieux prennent la parole pour transformer les comportements sociaux, favoriser les accouchements médicalisés et retarder les mariages précoces. À Kornaka, commune du département de Dakoro, comme à Mayahi et à Guidan Amoumoune, commune du département de Mayahi, de jeunes garçons et filles posent pour la première fois leurs mains hésitantes sur un clavier d’ordinateur. Dans ces localités du Niger, les Hubs numériques transforment la découverte en révélation, ouvrant aux jeunes une fenêtre inédite sur le monde.
Santé, nutrition, changement social et numérique : quatre domaines intimement liés, quatre piliers qui se renforcent mutuellement pour construire la résilience. Ensemble, ils dessinent une réponse intégrée aux multiples crises que traverse le Sahel.
Ce reportage vous emmène au plus près des communautés, dans les villages des départements de Dakoro et Mayahi, pour comprendre comment cette synergie change concrètement la vie des femmes, des enfants et des jeunes. Entre espoirs, difficultés et victoires quotidiennes, voici le récit d’une résilience en train de s’écrire.
Quand la vaccination va à la rencontre des familles : sur le terrain à Garin Nahanshi
L'UNICEF a soutenu la mise en œuvre de stratégies novatrices dans les districts sanitaires de Dakoro et Mayahi. Face aux faibles performances de la VAR2 et à la présence d'enfants "zéro dose" ou insuffisamment vaccinés, cet appui a permis aux formations sanitaires d'organiser des sorties avancées et mobiles dans les villages éloignés, jusque-là non couverts.
Sous un hangar improvisé à Garin Nahanshi, les femmes se rassemblent, bébés au dos ou dans les bras. Carnet de vaccination en main, elles attendent leur tour. L'infirmier appelle chaque nom, vérifie le statut vaccinal, inscrit les informations dans le registre, puis administre la dose. Cris de nourrissons et rires des villageoises se mêlent dans une ambiance vivante et dynamique.
C'est l'image même de la stratégie avancée : les agents de santé quittent leurs structures pour rejoindre des villages situés entre 6 et 15 km d'un centre de santé. Au-delà de 15 km, la stratégie mobile prend le relais, garantissant que plus aucun enfant ne soit oublié.
« Avant, la vaccination était trop centralisée. Des villages entiers échappaient à la couverture et les communautés n'étaient pas impliquées », explique le Dr Yaou Ladou, Directeur régional de la Santé publique à Maradi. Avec l'approche ACE – Atteindre chaque communauté – les choses ont changé. « Nous allons vers les familles, nous discutons avec elles, nous les responsabilisons. Cette implication communautaire transforme la vaccination en affaire collective », souligne-t-il.
Les chiffres confirment ce changement : la proportion d'enfants "zéro dose" est passée de 15.5% en 2021 à 3.3% en 2023, la couverture Penta3 atteint désormais 85%, et la VAR2 a bondi de 42.9% à près de 80% en 2024. En 2025, plus de 1 591 enfants non ou insuffisamment vaccinés ont déjà été rattrapés.
Au CSI d'Adjékoria, le médecin-chef Rabiou Adamou détaille le processus : « Nous choisissons les villages à partir des données, ciblant les zones où des enfants ont été perdus de vue. Les relais communautaires identifient les familles, puis nous organisons des sorties planifiées chaque mois. Grâce aux chaînes de froid installées dans nos cases de santé avec l'appui de l'UNICEF, nous pouvons stocker les vaccins sur place ».
Il insiste sur la rigueur du suivi : « Chaque tournée est encadrée par une supervision régulière. À la fin du mois, nous analysons les résultats avec les relais et les chefs de CSI. Résultat : rien qu'en juin, nous avons vacciné 561 enfants pour le VAR1 – presque le double des années passées ».
À Garin Nahanshi, le relais communautaire Mamane Ada Nassir veille à ce qu'aucun enfant ne soit oublié : « J'ai été formé pour sensibiliser les familles sur la vaccination, l'hygiène, l'allaitement et les droits des enfants. Mon rôle est aussi de retrouver les enfants non vaccinés et d'orienter leurs parents vers les séances. Aujourd'hui, il est devenu rare de trouver un enfant non vacciné dans le village ».
Pour les femmes du village, cette évolution est un véritable soulagement. Hadiza Issoufou, mère de 13 enfants, serre son dernier-né contre elle et laisse transparaître un sourire chargé de gratitude. « Nous sommes ravies que désormais ce soient les agents de santé qui viennent jusqu'à nous », confie-t-elle, la voix empreinte d'émotion. « Pour ces premiers vaccins, je devais me rendre jusqu'au CSI d'Adjékoria. Il nous fallait payer le taxi-moto, et quand nous n'avions pas les moyens, nous parcourions ces kilomètres à pied, souvent pour rentrer tard le soir, épuisées ».
Si les campagnes de vaccination attirent l'attention par leurs files de mères et leurs glacières bleues pleines de vaccins, une autre révolution se joue dans l'ombre, moins visible mais tout aussi décisive: la gestion des données sanitaires grâce au DHIS2.
Le District Health Information System 2 est un logiciel adopté par le Niger pour collecter, centraliser et analyser toutes les informations liées à la santé: nombre d'enfants vaccinés, cas de malnutrition dépistés, activités de routine dans les centres de santé. Autrefois, ces données restaient dispersées dans des registres papier, souvent incohérents ou incomplets. Aujourd'hui, elles sont saisies, vérifiées et compilées au même endroit, offrant une vision claire et en temps réel de la situation sanitaire.
« Nous avons un centre de surveillance épidémiologique animé par deux épidémiologistes, et le DHIS2 nous permet de suivre toutes les activités, de la vaccination à la nutrition », explique le Dr Issoufou Yahaya, médecin-chef du district de Dakoro. « Cette plateforme est un outil d'alerte pour détecter rapidement des situations d'urgence et un levier pour plaider le financement des interventions ».
Au-delà du suivi statistique, le DHIS2 est aussi un outil de formation et de responsabilisation. Chaque mois, dans les salles de réunion du district, les chefs de centres de santé, les agents du district et même certains acteurs privés se retrouvent autour de cet outil. Ensemble, ils vérifient la cohérence des chiffres, corrigent les erreurs et tirent des enseignements pour améliorer les services. « Avant, il suffisait d'un zéro mal tapé pour fausser tout un rapport », se souvient le Dr Yahaya. Aujourd'hui, l'exactitude est au rendez-vous.
Ces sessions sont également l'occasion pour de nombreux agents peu familiers avec l'informatique de se former et de gagner en confiance dans l'usage du numérique. « Le fait de se réunir régulièrement nous motive et nous assure que toutes les données qui sortent du district sont fiables », explique le Dr Yahaya, soulignant l'impact concret de cette innovation sur la planification et l'efficacité des interventions sanitaires.
Le résultat est tangible: une planification plus efficace, des données fiables et une capacité renforcée à anticiper les crises. La surveillance de la rougeole, par exemple, s'est affinée: « Cela fait plusieurs semaines que nous n'avons enregistré aucun cas, et nous avons atteint 95% de couverture pour la deuxième dose, ce qui est exceptionnel au Niger », se félicite le Dr Yahaya.
Derrière chaque chiffre inscrit sur les registres papier, il y a désormais une vérification numérique. Dans un contexte où chaque erreur peut coûter des vies, le DHIS2 est devenu la colonne vertébrale invisible mais indispensable du système de santé.
Dakoro : santé maternelle et infantile au cœur d'une mobilisation communautaire
Sous le soleil brûlant de Dakoro, au Niger, une révolution silencieuse est en marche. Ici, ce ne sont pas seulement des médecins qui luttent contre la mortalité maternelle et infantile, mais tout un village : chefs traditionnels, maris, et surtout, des adolescentes déterminées.
Portée par l'UNICEF, une stratégie pilote innovante transforme les communautés en un véritable écosystème de santé. L'objectif est simple et ambitieux : impliquer chaque acteur – du chef de village à la jeune écolière – pour que les femmes enceintes et les nouveau-nés soient protégés.
« Nous avons compris que la santé ne peut pas se limiter aux murs des centres de santé », explique le Dr Yahaya. « Notre stratégie associe tous les acteurs locaux : chefs de village, leaders communautaires, femmes modèles, jeunes filles et garçons. Chacun joue un rôle pour que les femmes accèdent aux soins à temps ». Son objectif est clair : réduire drastiquement la mortalité maternelle et infantile, encore trop élevée malgré la présence de 34 CSI et 103 cases de santé dans le district.
À 45 km de Kornaka, dont 35 sur une voie latéritique, le CSI d'Alforma devient le cœur de cette mobilisation. Le Dr Harouna Seydou raconte comment la stratégie prend forme sur le terrain : « Nous avons organisé des réunions de plaidoyer avec le chef de village et les leaders religieux, puis des focus groups avec adolescentes, garçons, femmes modèles et comités de gestion. Trois groupes supplémentaires de jeunes filles, y compris des écolières, ont été formés pour mener la sensibilisation. Tous ont un planning précis : lundi, mercredi et samedi, porte-à-porte, séances d'animation et visites à domicile, même dans les villages les plus reculés ».
Ainsi, les plannings soigneusement établis prennent vie sous les arbres et dans les ruelles d'Alforma, où Chamsiya Laoualy, 16 ans, anime un groupe de femmes et adolescentes. Les rayons du soleil filtrent à travers les feuilles, et les discussions vont bon train. « Nous expliquons l'importance des consultations prénatales, les risques liés au mariage précoce et comment reconnaître les signes de danger », dit-elle. Les femmes écoutent attentivement, posent des questions, échangent leurs expériences. La transmission des savoirs se fait dans le dialogue et le respect.
Les effets concrets ne se font pas attendre. Nafissa Abou, maman de 30 ans, raconte : « Pendant ma grossesse, j'ai reconnu des signes de danger grâce aux conseils de Chamsiya. J'ai pu aller rapidement au CSI. Mon bébé est en bonne santé. Ma famille et la communauté ont été à mes côtés grâce à cet accompagnement ». Ce témoignage illustre clairement l'impact direct des jeunes animatrices sur la vie des femmes et des enfants.
Dans les ruelles d'Alforma, Chamsiya et d'autres animatrices like Rakia bravent les traditions pour expliquer l'importance des consultations prénatales et lutter contre le mariage des enfants. « Je vais dans tous les coins du village pour sensibiliser sur l'accouchement sécurisé, l'espacement des naissances et la lutte contre le mariage des enfants. Avant, les hommes s'occupaient des naissances et les femmes évitaient les centres. Aujourd'hui, les accouchements dans un centre ont augmenté, les consultations prénatales commencent dès le deuxième mois et les vaccinations sont respectées. Nos pagnes sont bien attachés, nous sommes déterminées », lance Rakia.
Les résultats sont déjà tangibles : plus de consultations, plus de vaccinations, une parole qui se libère. Le chef de village Alhassane Haido lui-même s'implique pour soutenir ces jeunes femmes. « Je m'implique pour soutenir les femmes et faciliter le travail des jeunes animatrices et relais communautaires. Ensemble, nous veillons à ce que tous les foyers aient accès aux messages et aux soins ».
La coordination entre autorités locales et jeunes acteurs crée un cercle vertueux : chaque message relayé, chaque visite à domicile renforce l'impact de la sensibilisation. Depuis le début de la phase pilote, les changements sont tangibles : les adolescentes prennent la parole, les femmes reconnaissent les signes de danger, et les familles accompagnent leurs mères et enfants vers les centres de santé. La dynamique communautaire est palpable : jeunes, relais et leaders locaux travaillent main dans la main pour réduire la mortalité maternelle et infantile.
Changement social et comportemental : la jeunesse connectée à l'avenir grâce aux Hubs numériques
La résilience ne se limite pas à la santé physique : elle passe aussi par le potentiel humain, particulièrement celui des jeunes. Au Niger, où un habitant sur trois a moins de 15 ans et où le taux de pénétration d'Internet approche 30%, l'accès au numérique devient un levier crucial pour le développement.
C'est dans cette optique que le programme SaRES, avec l'appui du BMZ et de l'UNICEF, a installé des "Hubs de collectivité" à Kornaka, Guidan Amoumoune et Mayahi. Ces centres éducatifs, récréatifs et ludiques permettent aux jeunes d'apprendre, d'échanger et de se former aux technologies de l'information. Jusqu'ici, beaucoup n'avaient jamais touché un ordinateur ; aujourd'hui, ils découvrent les logiciels de bureautique, les outils de recherche et les ressources éducatives en ligne. L'enthousiasme est palpable : cliquetis des claviers, éclats de rire et regards émerveillés accompagnent chaque découverte.
Tchibi Souley, chef de la Division Régionale de la Jeunesse et point focal du programme, explique : « L'objectif est de former les jeunes en Word, Excel, PowerPoint et de leur donner les moyens de transmettre leurs acquis à leurs pairs, pour ceux qui ne peuvent pas venir aux centres ».
L'investissement est conséquent : 26 501 656 FCFA pour équiper chaque centre de quatre ordinateurs de bureau et deux portables, imprimantes, mobilier, groupes électrogènes et kits Starlink pour une connexion Internet haut débit. Mais pour les jeunes, l'enjeu dépasse le matériel : c'est une ouverture sur le monde et une chance de développement personnel. Dans le centre de Kornaka, une adolescente confie : « Je peux maintenant taper un texte et l'imprimer. Je rêve de devenir enseignante, et ça va m'aider ».
Le programme forme également 60 pairs animateurs – 20 par commune – qui, après une formation intensive de quatre semaines, accompagnent d'autres jeunes. L'ambition est claire : former 460 jeunes par an et par centre.
Au-delà de l'informatique de base, les Hubs proposent des programmes éducatifs adaptés aux scolaires et aux jeunes déscolarisés, y compris des modules sur le développement d'activités génératrices de revenus grâce au projet Villages Intelligents. Ces espaces deviennent aussi des incubateurs de citoyenneté et de solidarité : les jeunes organisent des campagnes de sensibilisation sur l'hygiène, la salubrité publique ou la protection de l'environnement. « Nous voulons que les jeunes soient acteurs du changement, pas seulement bénéficiaires », conclut Tchibi Souley.
La synergie des acteurs au service de la résilience
Dans les villages, les communautés ne se considèrent plus comme de simples bénéficiaires, mais comme actrices de leur propre avenir. Cette dynamique de proximité a créé une nouvelle relation avec les autorités sanitaires et les partenaires techniques, fondée sur la confiance et la coresponsabilité.
Les résultats parlent d'eux-mêmes : baisse spectaculaire des enfants "zéro dose", couverture vaccinale en hausse, fréquentation accrue des centres de santé, engouement des jeunes pour les Hubs numériques. Mais ces acquis restent fragiles : instabilité sécuritaire, crises climatiques et pression démographique peuvent rapidement les mettre en danger.
De la place publique de Na Hanshi transformée en dispensaire improvisé à la salle climatisée d'un Hub numérique à Kornaka, une même logique traverse toutes les interventions : la résilience naît de la complémentarité. Vaccination, nutrition et mobilisation sociale ne sont pas des actions isolées. Elles se renforcent mutuellement et bâtissent un socle durable sur lequel les communautés peuvent s'appuyer face aux crises.
L'Initiative pour la résilience au Sahel (SRI), financée par le BMZ et mise en œuvre par l'UNICEF, le PAM et la GIZ, illustre concrètement le Nexus humanitaire–développement–paix. L'aide immédiate (vacciner, soigner, nourrir) se double d'un travail de fond : changer les comportements, renforcer les systèmes de santé, former les jeunes. Ce double mouvement permet d'éviter que les progrès ne s'effondrent à la première crise.
Dans les villages de Dakoro, les changements se voient et se vivent : des enfants vaccinés qui rient sur les genoux de leur mère, des jeunes filles qui osent parler de leur avenir, des relais communautaires qui sillonnent les pistes sablonneuses pour transmettre des messages de santé. La résilience ici n'est pas un slogan : c'est une construction patiente, quotidienne, qui relie santé, nutrition et changement social. Une promesse fragile, mais réelle, d'un avenir plus stable pour le Sahel.
Abdoulkarim Moumouni, Envoyé Special (actuniger.com)
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