Diffa : déclaration de Alternative Espaces Citoyens sur la situation humanitaire
Après une série d’attaques meurtrières attribuées à des éléments de Boko Haram, Alternative Espaces Citoyens a appris, par le biais de ses relais locaux de veille citoyenne en période de conflit armé, que des centaines de personnes, hommes, femmes, enfants et vieillards sont, depuis hier, 24 mars 2019, en train de quitter leurs villages et sites pour rejoindre des localités présumées plus sûres, notamment la commune de Diffa.
Ce mouvement de personnes, qui semble presque spontané, vient rappeler à tous que la situation sécuritaire dans la région de Diffa reste toujours préoccupante; et ce, en dépit des mesures particulièrement drastiques et sévères prises par les autorités dans le cadre de l’état d’urgence en vigueur, depuis le 10 février 2015, sur toute l’étendue de la région.
Au regard de la gravité de cette situation, Alternative Espaces Citoyens tient à attirer l’attention de l’opinion nationale et internationale, du gouvernement et des autorités régionales sur les faits suivants :
1-La région de Diffa est celle qui compte le plus grand nombre de réfugiés et déplacés internes au Niger. Selon les statistique de la direction régionale de l’état civil (DREC), elle compte au 31 août 2017, quelques 252 305 personnes vivant hors de leurs résidences habituelles, dont 129 015 déplacés internes, 108 470 réfugiés venus essentiellement du Nigeria voisin et 14 820 retournés. La plupart de ces personnes dépendent, en partie, de l’aide internationale apportée par une multitude d’organisations humanitaires présentes sur le terrain.
2-Le mouvement des personnes observé au cours de ces deux (2) derniers jours, traduit clairement le désarroi et le découragement qui se sont installés progressivement au sein d’une population civile manifestement très peu protégée contre les attaques et les enlèvements fréquemment opérés par des présumés éléments des groupes armés, notamment Boko Haram. Ces derniers mois, les populations civiles de la région de Diffa ont, à maintes reprises, exprimé leur sentiment de frustration et d’incompréhension devant la faible réactivité, en particulier les soirs, des forces de défense et de sécurité.
3-Les informations en possession d’Alternative Espaces Citoyens indiquent que, depuis au moins le 30 novembre 2018, les autorités régionales étaient en discussion avec les acteurs humanitaires présents à Diffa pour obtenir leur adhésion et leur soutien à une opération de relocalisation des réfugiés, notamment ceux vivant dans les localités de Toumour, Bosso et environs, ainsi que ceux vivant dans les villages bordant la Komadougou et sur les sites longeant la RN1. Cette initiative de relocalisation n’a pas pu être concrétisée à ce jour en raison, principalement des conditions de bon sens posées par les acteurs humanitaires, soucieux avant tout de respecter les normes pertinentes du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’Homme;
4-L’association Alternative Espaces Citoyens, tout en se gardant d’établir un lien direct entre la faiblesse du dispositif de sécurisation des populations civiles et la volonté affirmée des autorités régionales de procéder à une relocalisation des réfugiés et autres personnes déplacées, tient à rappeler que le souhait exprimé des populations déplacées de la région de Diffa est bien de retourner dans leurs villages d’origine et non de s’en éloigner davantage. Ce souhait, les populations civiles l’ont exprimé clairement à plusieurs occasions; et une enquête menée par Alternative en septembre 2018 en a apporté la preuve concrète : 57% des personnes interrogées se sont dites prêtes à retourner dans leurs villages si le gouvernement les y autorisait;
5-Le mouvement des personnes actuellement en cours aura certainement, comme les mouvements antérieurs, des conséquences lourdes, aussi bien sur le plan humanitaire que sur le plan sécuritaire. Alternative Espaces Citoyens rappelle à cet égard que le déguerpissement en mai 2015 des populations vivant dans les îles et villages situés dans le lit du lac Tchad n’avait fait que favoriser le contrôle de cet espace par les éléments des groupes armés liés à Boko Haram; et aujourd’hui, rien ne permet de croire que les dispositions seront effectivement prises pour éviter la répétition du scénario de mai 2015. A moins que des dispositions idoines ne soient prises en matière de sécurisation des axes routiers, la circulation entre la ville de Diffa et toutes les localités situées plus à l’est, notamment N’guigmi, pourrait devenir plus compliquée du fait du vide que peut créer le départ des populations vivant le long de la RN1.
6-La situation actuelle dans la région de Diffa vient hypothéquer les résultats attendus de l’assouplissement annoncé des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence toujours en vigueur dans toute la région. C’est le lieu de rappeler que ces mesures n’ont pas démontré leur efficacité sur le plan du renforcement de la sécurité; elles ont plutôt contribué à dégrader la situation économique et sociale des populations de la région. Entre le 1er janvier et le 25 mars 2019, il convient de noter qu’au moins 61 personnes, en majorité des civils, ont été tuées dans la région au cours de différentes attaques attribuées à des éléments de Boko Haram. Sur la même période, au moins 22 personnes, dont 13 femmes et filles, ont été enlevées par des hommes armés, et n’ont pu recouvrer leur liberté qu’après avoir payé des rançons à leurs ravisseurs;
En conclusion, Alternative Espaces Citoyens condamne avec la dernière énergie les attaques et les enlèvements des personnes civiles, et rappelle à leurs auteurs que des tels actes constituent des crimes de guerre au regard du droit international humanitaire.
L’association Alternative Espaces Citoyens invite les autorités nigériennes à prendre urgemment toutes les dispositions utiles afin de :
-Assumer leurs obligations en matière de protection et de sécurisation des personnes civiles partout où elles se trouvent sur le territoire national, en déployant les forces de défense et de sécurité et en veillant à ce qu’elles soient réactives de jour comme de nuit;
-Mettre en place un dispositif adéquat de transport, d’accueil, d’installation et d’accompagnement des populations désirant quitter leurs villages et sites, ainsi qu’un dispositif de protection pour ceux et celles désirant rester encore sur place.
Par ailleurs, Alternative Espaces Citoyens appelle tous les acteurs de la société civile, les défenseurs des droits humains, y compris la Commission Nationale des Droits de l’Homme, à accorder une attention soutenue à la situation en cours dans la région de Diffa et de veiller, comme ils peuvent, à ce que la situation présente ne donne lieu à des violations des droits humains, sous quelque prétexte que ce soit.
Enfin, Alternative Espaces Citoyens saisit la présente occasion pour déplorer et condamner vigoureusement le massacre des populations civiles du village peulh de Ogassagou au Mali, perpétré le 23 mars 2019, par des présumés éléments d’une milice d’autodéfense. Cette situation dramatique vient rappeler à tous l’urgence d’une mobilisation citoyenne forte, partout au Sahel pour un retour rapide de la paix. Alternative Espaces Citoyens exprime sa solidarité et sa compassion à l’endroit des communautés victimes de cette barbarie et les exhorte à ne point céder à la tentation d’un affrontement communautaire généralisé qui ne ferait que l’affaire des forces obscures.
Fait à Niamey le 25 Mars 2019
Le Secrétaire général
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