Rupture de gaz à Niamey : la pénurie persiste, les consommateurs se plaignent, le gouvernement s'investit
De longues files d'attente, d'interminables rangées de bonbonnes de gaz butane devant les dépôts de vente, aux alentours du rond-point Maurice Delens de Niamey. Dans cette zone, le gaz est introuvable.
Depuis plusieurs semaines, en effet, Niamey connait une pénurie de gaz sans précédent, une pénurie qui n'épargne aucun quartier. Alors que les uns et les autres se rejettent la responsabilité de cette situation, la spéculation sur les prix de gaz gagne du terrain, les consommateurs se plaignent, l'Etat propose des solutions, pour l'instant temporaires. Certains disent ne pas comprendre que le Niger, pays producteur du pétrole, soit dans une situation de pénurie de gaz domestique alors que le besoin de cette source d'énergie est de plus en plus croissant, surtout avec les campagnes faites autour de ce combustible, dans le cadre de la lutte contre la déforestation. Beaucoup de questions sur cette de pénurie de gaz.
Karimou Issa est un fonctionnaire de 48 ans vivant au quartier Soni de Niamey. Ses deux bouteilles de gaz (l'une de 12 kg et l'autre de 6 kg), solidement attachées derrière sa moto, il fait le tour de Niamey à la recherche du précieux combustible. «Aujourd'hui, j'ai parcouru plus de trente kms, dans Niamey, pour acheter ne serait-ce qu'une bouteille de gaz. En effet, j'ai d'abord été chez mon fournisseur habituel à Yantala, qui m'a fait savoir que son stock est terminé il y a de cela 10 jours. Il a dit avoir lancé la commande mais en vain », indique M. Issa. Par la suite, poursuit-il, «j'ai été à la rive droite, à Wadata, au Plateau, à la Poudrière, et même au quartier Niamey 2.000 mais je n'ai pas eu le moindre kg de gaz ». «Il parait que c'est l'approvisionnement au niveau de la Soraz qui fait défaut », dit-il. D'autres sources, selon Karimou Issa, évoquent une pénurie orchestrée par les sociétés de commercialisation de gaz, pour dénoncer la non- attribution de fonds pour l'énergie, promis par les autorités en charge du secteur.
« Dans tous les cas, cela fait deux jours que je mange du Dibi-gadan, c'est-à-dire un plat froid fait à base de feuille de moringa et de farine de manioc. C'est certes nutritif mais cela ne peut pas être continuel. Comme solution, je compte acheter du bois pour la préparation des plats quotidiens. C'est dommage, mais je n'ai pas le choix », se désole M. Issa. Devant le magasin d'un vendeur du gaz, avec sa bouteille de 12 kg, Salamatou Insa, une enseignante de 25 ans, est énervée. « Je ne comprends vraiment pas ce pays, quand on ne produisait pas le gaz on avait moins de problème de disponibilité du gaz. Maintenant qu'on le produit, chaque année nous avons quatre à cinq fois de rupture et de manque de gaz, surtout à Niamey. Où passe le gaz que produit quotidiennement la SORAZ », s'interroge-t-elle.
« On nous a fait abandonner notre bois traditionnel pour le gaz et voilà que ce combustible fait défaut et cela dure non seulement des années mais aussi plusieurs fois pas ans », se plaint-elle. « Comme il n'y a pas de gaz, les commerçants ont doublé le prix de leur stock restant. Il y a quelques jours, la bouteille de 2.000 FCFA était montée à 4.000 FCFA et celle vendue à 4.000 revient à 8.000 FCFA. Là encore, il va falloir trouver là où il est disponible. Ce qui n'est pas le cas à Niamey», explique-t-elle. Dans son foyer, Salamatou dit avoir pris l'habitude de faire la cuisine avec le gaz domestique. Le bois et le charbon ne lui rappellent que des mauvais souvenirs. « Le gaz nous a facilité la cuisine. Aujourd'hui nous n'en trouvons plus sur le marché, nous revenons au bois et au charbon, c'est dur mais avons-nous le choix ? il faut bien qu'on prépare pour la famille », se résigne-t-elle. Ces cas illustrent la situation difficile que vivent les populations de la capitale, suite à cette pénurie qui dure depuis plusieurs semaines.
Les causes des pénuries toujours non maitrisées, et les explications non satisfaisantes
Le Directeur Général de GANI-GAZ, M. Mohamed Mahamoud Ali et le Directeur des opérations de la société nigérienne des hydrocarbures SONIHY, M. Abass Samaila, expliquent que cette situation résulte du sous approvisionnement en gaz au niveau de la société de raffinerie de Zinder (SORAZ). Selon M. Mohamed Mahamoud Ali, «c'est le manque de gaz au niveau de la Raffinerie de SORAZ, parce qu'aujourd'hui cela fait plus de 2 à 3 mois que la Raffinerie ne nous donne que 5 à 6 citernes par jour au maximum et pour toute la consommation nationale, c'est très peu alors que GANI-GAZ à elle seule a besoin de 5 camions par jour. La seule solution à envisager pendant cette période est que l'Etat nous autorise à importer du gaz nous-mêmes de l'extérieur», propose le Directeur Général de GANI-GAZ.
Pour sa part, le Directeur des opérations de la société nigérienne des hydrocarbures SONIHY, estime que cette pénurie est due à des difficultés qui datent de longtemps. « Mais le principal problème du moment c'est au niveau de l'approvisionnement. Nous ne recevons pas les quantités suffisantes pour nos exploitations » précise M. Abass Samaila. « Ces difficultés ont été signalées à la SONIDEP depuis mai 2017, et aujourd'hui la SONIHY reçoit à peine une citerne par jour. Etant entendu que nous sommes représentée sur l'ensemble du territoire national, quelques 20 à 22 tonnes par jour ne peuvent pas régler le problème» ajoute-t-il. «En 2012, avec la mise en activité de la SORAZ, Société de Raffinage de Zinder, le gaz est produit localement et l'Etat, pour faciliter l'accès à cette source d'énergie aux populations, a fixé des prix à la vente sans subvention à 3.750 FCFA pour la bouteille de 12 kg et 1.800 FCFA pour la bouteille de 6 kg, a rappelé le directeur des opérations de la SONIHY».
Il faut noter que la société de raffinage de Zinder (SORAZ) a une capacité de chargement de 8 citernes par jour mais selon des explications techniques, la société nationale de produits pétroliers et d'hydrocarbures, comme les autres sociétés de distribution et de commercialisation, et même la SORAZ ne dispose pas, suffisamment, de réservoir pour stocker le gaz. En plus une partie de la production destinée à la consommation serait exportée frauduleusement. Selon un livreur qui a requis l'anonymat, en prenant le gaz à la SORAZ avec indication de desservir la région de Niamey, par exemple, certains opérateurs indélicats transportent en réalité leurs cargaisons jusqu'en territoire nigérian où ils les vendent à un prix d'or. Sans jamais payer le moindre franc en termes de taxe d'exportation. Malgré plusieurs dénonciations, ces fraudes continuent manifestement, privant les foyers nigériens de gaz domestique tandis que des sociétés bien connues se font de l'argent sur leur dos grâce à des activités illégales et attentatoires à la vie des utilisateurs. «Les pénuries de gaz continuent, donc, au gré des fraudes massives organisées par des hommes d'affaires ayant pignon sur rue à Niamey et ailleurs », estime-t-il. Selon une autre source, cette situation de pénurie est due à « un retard accumulé par les transporteurs qui sont chargés de livrer le produit ici à Niamey. Quand ils vont à Zinder, ils tardent avant de rentrer ».
M. Hamadi Youssef est membre l'Association pour la Promotion et la Défense des Droits des Consommateurs du Niger (APDDCN-Sawki), qui vise à contribuer à la lutte contre la vie chère et à faire la promotion des produits locaux et de leur production en qualité et en quantité. Pour lui, les premières pénuries de gaz dans notre pays, seraient dues au non versement par l'Etat des subventions prévues dans le cadre de la commercialisation de ce produit. En effet, lorsque le Niger a commencé à produire son propre gaz en 2011 à la raffinerie de Zinder (SORAZ), le gouvernement et les professionnels de la distribution de ce produit ont signé un accord pour fixer un prix subventionné. Ainsi la bouteille de 12,5 kg est vendue à 3.500 FCFA et celle de 6 kg à 1.800 FCFA par les sociétés de distribution à qui l'Etat reverse une compensation de 1.250 FCFA par bouteille de 12 kg à travers un mécanisme appelé Fonds de l'Energie.
«Le choix est clair, le gouvernement doit autoriser les distributeurs à vendre le gaz au prix réel», estime cet activiste. Ce prix dit réel tournerait autour de 6.000 FCFA pour la bonbonne de 12 Kg, vendue actuellement à moins de 4.000 et 3.000 FCFA la bonbonne de 6 Kg qui est à 2.000 FCFA. «En tant que source d'énergie, le gaz a beaucoup d'avantages comparé aux autres sources comme le bois ou le charbon. Il reste et demeure le combustible le plus utilisé après le bois de chauffe dans les ménages car ne coutant pas cher. Il est disponible en temps normal, presque dans tous les coins et recoins des quartiers de Niamey. Le marché de ce produit a favorisé la création des petites entreprises qui permettent principalement aux jeunes sans emplois de gagner leurs pains quotidiens », explique M. Youssef.
Cette pénurie est, selon le responsable du groupement des professionnels du gaz, prévisible depuis fort longtemps. Depuis 2011, les prix fixés par l'Etat étaient jugés irréalistes par les professionnels en l'occurrence les compagnies de distribution. Ces prix n'ont jamais été pratiqués par les détaillants qui augmentent 200 FCFA sur la bouteille de 6 kg, vendue à 2 000 FCFA au lieu de 1.800 FCFA, et 4.000 FCFA celle de 12 kg, cédée à 4.000 FCFA au lieu de 3.750 FCFA. « Ainsi, les détaillants ont officieusement augmenté leur marge bénéficiaire. Chose que ne pouvaient faire les sociétés formelles du domaine. Mais face aux mécontentements de ces dernières, le gouvernement s'était engagé à revoir les tarifs 6 mois après la fixation des prix. Hélas quatre années plus tard, le gouvernement ne tient toujours pas sa promesse », ajoute –t-il.
« Après plusieurs tentatives de dialogue initiées par le Groupement des professionnels du gaz (GPG), un comité Ad'hoc a été mis en place par le gouvernement mais, les conclusions auxquelles ont abouti les travaux de ce comité sont restées lettre morte. Pour ainsi décanter la situation des solutions ont même été enregistrées dans un document intitulé ''Rapport de synthèse des travaux du comité ad' hoc chargé de réfléchir sur la commercialisation du gaz domestique GPL''. Aussi en dehors des propositions de sorties de crise, ce rapport dresse également un certain nombre de recommandations devant permettre de préserver et pérenniser le secteur du gaz domestique au Niger », précise M Youssef. « Pour l'heure, il ne manque donc plus que la volonté politique pour sortir de l'impasse et aller de l'avant et pour cela seul le gouvernement est capable de parvenir à cette fin», estime-t-il. A défaut du versement de la compensation, les sociétés de distribution espèrent un retour aux anciens prix pratiqués (5.250 voire 5.500 FCFA pour la bonbonne de 12 kg et 2.500 à 3. 000 FCFA pour celle de 6 kg.
2000 tonnes de Gaz commandées pour juguler la pénurie
Face à la pénurie de gaz domestique à laquelle sont confrontées certaines localités du Niger et particulièrement Niamey depuis quelques semaines, le ministre du Commerce et de la Promotion du secteur privé Sadou Seydou, a animé, le 29 janvier dernier, un point de presse, pour expliquer les raisons de cette énième rupture de l'approvisionnement de ce combustible. Après avoir fait la genèse de la situation et ses conséquences, M. Seydou a expliqué les raisons de cette rupture. Il a aussi profité de cette sortie pour rassurer les consommateurs des dispositions prises par le gouvernement afin de stabiliser la situation. Selon lui, la SORAZ livrait jusqu'à huit citernes par jour et aujourd'hui, avec les quelques difficultés que nous observons dans le système, elle arrive à livrer moins de quatre citernes par jour. Ce qui ne couvre qu'une partie minime de la demande nationale. Une faible disponibilité du gaz domestique qui est accentuée par son exportation frauduleuse. Et la conséquence, c'est la rupture de l'approvisionnement.
En dehors de l'approvisionnement qui fait défaut, les besoins sont également en très grande hausse par rapport à la demande nationale. Pourtant, du gaz est exporté frauduleusement, ce qui réduit davantage la disponibilité nationale. « Ce qui crée la rupture, c'est aussi cette situation qui engendre l'augmentation des prix. Pour combattre ce problème il faut approvisionner le marché. Le gouvernement nous a instruits pour créer un stock de régulation et la SONIDEP a lancé une commande de 2.000 tonnes uniquement destinées aux marchés de Niamey. Quant à la quantité fournie présentement par la SORAZ, elle permettra de ravitailler les autres localités», avait annoncé le ministre du Commerce, devant la presse. M. Sadou Seydou a ensuite indiqué que l'Etat mettra tout en œuvre pour que les prix qui sont en vigueur soient respectés, mais aussi pour assurer l'approvisionnement du gaz au Niger. Il a mentionné que ce sont plus de 600 millions FCFA de différentiel que l'Etat supporte pour les 2.000 tonnes commandées pour couvrir les besoins pour deux à trois mois. « C'est insuffisant, mais nous devons agir pour que ce que nous disposons puisse être équitablement réparti à travers le pays », a-t-il ajouté.
Le ministre en charge du Commerce a assuré que la situation est sous contrôle et que le gouvernement est conscient du problème d'approvisionnement du gaz. « Mais, je dois vous rassurer que la situation que nous connaissons actuellement ne doit plus se répéter, avec les 2.000 tonnes que l'Etat a commandé », a-t-il indiqué. Le Ministre Seydou a rassuré les Nigériens que la SORAZ va reprendre sa production et l'Etat continuera à disposer d'un stock de sécurité pour des éventuelles ruptures. « Le Gouvernement est conscient de la situation, il a pris les choses en main et la situation sera très bientôt stabilisée par l'approvisionnement du pays à travers des interventions ponctuelles », a dit le ministre Sadou Seydou, tout en insistant sur les mesures prises pour veiller au respect des prix à tous les niveaux, ainsi que les dispositions prises pour maitriser les sorties frauduleuses. « Nous ne pouvons pas l'interdire, parce que nous sommes dans un commerce libéralisé, mais nous pouvons le rationaliser pour que l'approvisionnement du pays soit assuré » a-t-il indiqué.
L'Etat initie plusieurs actions pour une meilleure gestion du secteur des hydrocarbures
Pour les acteurs de ce secteur d'activité, il est temps, au regard de la demande sans cesse grandissante, que le gouvernement autorise l'importation du gaz pour permettre de résoudre une fois pour toutes ce problème de pénurie. Dans le but d'assainir la gestion du secteur des hydrocarbures, dont la distribution et la commercialisation du gaz domestique, une convention a été signée le mardi 29 janvier 2019 entre le Ministère des Finances et le Bureau Veritas-GSIT et la SICPA pour un contrat de marquage des hydrocarbures. Ce qui permettra d'assurer un contrôle afin de sécuriser les recettes des produits pétroliers. Avec cette signature, le Niger vient ainsi de mettre en œuvre une technologie de marquage des hydrocarbures pour sécuriser ses recettes. A cette occasion, le ministre des Finances sortant M. Massoudou Hassoumi avait déclaré que « l'industrie pétrolière et gazière mondiale est confrontée à des fraudes de plus en plus sophistiquées, entraînant des pertes de recettes importantes pour les Etats producteurs du pétrole en raison de la contrebande, de l'adultération des produits, du vol de pipelines et des abus de subventions, qui constituent une menace importante pour nos économies ».
C'est pour faire face à ce fléau, que le gouvernement nigérien a retenu la technologie de marquage du carburant qui représente de manière précise l'une des voies légales de contrôle de tout le carburant (essence, diesel, kérosène) destiné à la consommation. Pour rappel, le Niger, déjà producteur et exportateur de pétrole depuis 2011, dispose actuellement d'une industrie pétrolière complète. Bientôt, le pays va augmenter sa production qui passera de 20.000 barils/jour à environ 110.000 barils/jour, d'ici 2021. Le Niger va aussi bénéficier d'importants revenus grâce à l'adoption en juin dernier d'un avenant avantageux au contrat de partage de production de son bloc pétrolier d'Agadem (nord-est), exploité par le consortium China National Petroleum Corporation (CNPC). D'après le ministre des Finances sortant, la signature de ce contrat de marquage des hydrocarbures permettra au Niger de tirer divers avantages, notamment la sécurisation et l'augmentation des recettes fiscales, la protection des consommateurs, la création d'emplois et le renforcement des capacités, le contrôle de la chaîne de valeurs avec des statistiques fiables, la protection de l'environnement, le développement de la qualité des carburants et des équipements.
La demande nationale en gaz domestique ne cesse de croître. Elle a progressé ces dernières années de façon fulgurante, passant de 3.000 tonnes par an à plus de 35 000 tonnes aujourd'hui. En effet, le gaz, ce combustible naturel, économique et disponible dans notre sous-sol, commence à prendre la place dans le bilan énergétique des ménages surtout urbains dans un pays en grande partie désertique et où la biomasse est la principale source d'énergie. Cependant, la récurrence et la multiplication, depuis quelques années, des pénuries de gaz à Niamey notamment, émoussent les efforts déployés chaque jour par les autorités et les populations pour lutter contre la déforestation et désertification dans un si vaste pays aux deux tiers (2/3) désertiques. Le Niger étant un pays producteur du pétrole, les autorités et les responsables de la Soraz doivent prendre des dispositions, pour éviter, à l'avenir, ces pénuries qui renvoient les ménages vers l'utilisation de bois de chauffe et qui engendrent des désagréments aux consommateurs. Le Niger a produit 44.000 tonnes de gaz depuis 2011. Avant la vulgarisation du gaz domestique, le pays consommait 200.000 tonnes de bois par an, ce qui correspond à 100.000 hectares de forêts détruits pour un pays aux 2/3 désertiques.
Mahamadou Diallo(onep)
Commentaires