Mahamadou Issoufou : "Nous avons la responsabilité commune de protéger les migrants"
ENTRETIEN. Migrations, terrorisme, démographie, développement, jeunesse, le président nigérien n'élude aucune question et livre le sens de son combat.
C'est certainement l'annonce la plus inattendue de cette fin d'année 2016. « Le flux de migrants remontant d'Afrique subsaharienne vers la Libye via le Niger a été réduit de près de 100 % entre mai et novembre », a indiqué mercredi 14 décembre la Commission européenne. Ces chiffres sont tombés juste à temps, la veille de la visite officielle du président nigérien Mahamadou Issoufou aux chefs des institutions européennes à Bruxelles le 15 décembre.
En effet, c'est bien de ce pays sahélien enclavé dont il est question dans l'annonce de ces résultats salués par l'Union européenne. Pourquoi ? Parce qu'avec le Sénégal, le Mali, le Nigeria et l'Éthiopie, le Niger est un des cinq pays africains avec lesquels la Commission a noué cette année un partenariat pour tenter de stopper les traversées périlleuses de la Méditerranée. Cela fait suite aux négociations nouées lors du Sommet de la Valette, à Malte, sur l'émigration clandestine et la coopération entre l'Europe et les États africains. Et le Niger, pays de transit pour des millions de migrants, par Agadez, revient de loin. Le président Issoufou déclarait prendre « le taureau par les cornes », et à l'heure du bilan, l'homme n'est pas peu fier de présenter sa méthode implacable pour lutter contre le trafic humain. Il entend aussi capitaliser sur ces premiers résultats pour impulser le développement économique du pays. Rencontre.
Le Point Afrique : D'abord, il y a ces chiffres, le nombre de migrants traversant le Sahara via le Niger a enregistré son plus bas niveau en tombant à 1 500 en novembre 2016. Êtes-vous satisfait ?
Le président Mahamadou Issoufou : Nous sommes vraiment satisfaits des résultats des actions que nous avons menées depuis le mois de juillet 2016. Ces actions ont consisté en trois points : premièrement, nous avons procédé à la confiscation des véhicules servant au transport des migrants ; deuxièmement, nous avons arrêté un grand nombre de passeurs qui se livrent à cette activité criminelle [106 passeurs arrêtés et renvoyés devant la justice, NDLR] ; et enfin, nous avons lancé des projets ciblés pour donner une activité économique aux migrants. Car ce trafic entraîne d'autres activités criminelles comme le trafic d'armes. De retour de Libye, ces passeurs ramènent des armes, de la drogue, et sèment la corruption au sein de notre administration, au sein de nos forces de défense et de sécurité. C'est ce cycle que nous avons voulu stopper. La Méditerranée est devenue un véritable cimetière, rien qu'entre 2015 et 2016, il y a eu 6 500 morts, sans compter tous ceux qui passent par le désert. Il est de notre devoir, en tant que dirigeants africains, de protéger nos ressortissants de ces souffrances. Nous avons donc décidé de nous battre, à la fois pour une raison morale, mais aussi par souci d'assurer la sécurité de notre pays. Je suis vraiment satisfait de l'évolution du flux migratoire depuis que ces actions ont été lancées. Il y a de plus en plus de migrants qui se présentent à Agadez au centre de l'OIM [l'Organisation internationale pour les migrations] pour demander le retour dans leurs pays d'origine et ils reçoivent aides et appuis dans leur projet.
Il y a un an se tenait le Sommet de la Valette. Aujourd'hui, l'heure est au bilan, quel est-il ?
Je pense que nous avons une responsabilité commune de protéger ces hommes et ces femmes qui viennent mourir dans la Méditerranée ou dans le désert.
Ne craignez-vous pas que cela devienne une occasion pour l'UE de fermer ses portes aux Africains et de les renvoyer chez eux avec la complicité des dirigeants... ?
L'Union européenne n'impose rien. C'est au Sommet de la Valette [qui s'est tenu les 11 et 12 novembre 2015, NDLR] que les chefs d'État européens et africains se sont réunis pour poser les bases de l'accord sur lequel nous sommes en train de travailler aujourd'hui. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'il ne s'agit pas uniquement de répression, ou de renvoi pur et simple des migrants. À côté de ce volet répressif, il est prévu des mesures de développement pour retenir les migrants dans leur pays d'origine. Dans cette volonté, nous avons tous, y compris les pays de transit et de destination, intérêt à mettre en place un partenariat solide qui prévoit la protection des migrants.
Et l'UE d'annoncer un budget conséquent de 610 millions d'euros en plus d'autres montants. C'est le Niger qui est gagnant, vraiment ?
Je suis satisfait des engagements financiers de l'Union européenne. Ils se situent sur deux plans : premièrement, sur une coopération classique, qui porte sur plus de 600 millions d'euros de conventions signés aujourd'hui dans des secteurs prioritaires pour le Niger. Comme la sécurité alimentaire et le développement agricole durable, l'éducation, la santé ou encore les infrastructures.
Puis dans un deuxième temps, le Niger a présenté des projets éligibles au fonds fiduciaire qui a été décidé en novembre 2015 au Sommet de la Valette et doté d'un montant de 1,8 milliard d'euros. L'objectif est de contribuer à la lutte contre les causes profondes de la migration. Vous savez que c'est principalement lié à la pauvreté, l'insécurité et le déficit de démocratie dans un certain nombre de nos pays. Le Niger a mis en place récemment des projets qui entrent dans le cadre de ce programme.
Parmi les projets qui viennent d'être approuvés par l'Union européenne, nous avons le volet développement agricole durable, nous avons un projet sur la formation professionnelle dans les zones d'origine des migrants ou dans les zones de transit avec la création d'emploi [10 000 sur le court terme, en particulier pour les jeunes] et le renforcement des capacités des forces de sécurité et de la justice pour combattre la migration irrégulière et la traite des êtres humains. Et pour mener à bien ces projets concrets, l'Union européenne s'est engagée à financer notre plan à hauteur de 600 millions d'euros [à ne pas confondre avec les 610 millions d'euros de conventions signés ce 15 décembre, NDLR].
Oui, c'est principalement le cas du programme de « Renforcement de la gestion et de la gouvernance des migrations et le retour durable au Niger » qui est concerné. Comment sera-t-il mis en place ?
Le contrôle et la lutte contre la migration illégale ne suffisent pas. Il faut aussi développer ces zones de transit bien connues des migrants, et proposer des activités économiques alternatives. Ce programme, adopté par l'Union européenne le 14 décembre, a pour objectif d'assurer la protection, le retour et la réintégration durable des migrants. Grâce aux différents centres établis le long de la route migratoire et soutenus par le Fonds fiduciaire. L'Organisation internationale pour les migrations fournit une aide humanitaire d'urgence et une première assistance [hébergement, nourriture, soins médicaux, soutien psychologique, articles non alimentaires de base]. Des services de soutien spécifique sont également disponibles et adaptés aux plus vulnérables, comme les enfants migrants non accompagnés, les migrants vulnérables à la traite et aux abus, les migrants ayant des besoins psychosociaux et de santé, ainsi que les personnes ayant besoin d'une protection internationale en tant que réfugiés. Ensuite viennent les projets de réintégration.
Que deviennent les passeurs ?
Nous menons des actions de justice contre les passeurs, conformément à l'État de droit nigérien. Nous avons voté des lois contre la traite des humains, contre l'exploitation et la migration irrégulière. Et ce sont ces lois que nous appliquons désormais. Les passeurs qui se livrent à cette activité criminelle sont arrêtés et présentés devant les tribunaux. C'est pourquoi nous avons proposé à l'Union européenne un volet sur le renforcement de la chaîne pénale : avec la formation des juges, et la mise en place de juridictions conformes, afin que tout cela ne se passe pas dans l'arbitraire [106 passeurs sont devant la justice à ce jour, NDLR].
Comment proposer aux migrants de revenir à l'agriculture alors que ce secteur est victime des changements climatiques, et pousse aux nombreux départs ?
Cela fait près de cinq ans que nous travaillons sur cette problématique et avons lancé l'initiative 3N [les Nigériens nourrissent les Nigériens] avec de très bons résultats. Avant, la sécheresse était synonyme de famines, ce n'est plus le cas aujourd'hui grâce à cette initiative qui prévoit la promotion de l'irrigation. Le Niger est un pays aride, mais il y a de l'eau dans le sous-sol. Il y a également de l'eau au niveau des surfaces. Il faut retenir l'eau de pluie par des barrages, c'est ce que nous sommes en train de faire pour enfin utiliser cette eau pour irriguer. Nous avons également créé les conditions d'amélioration des rendements des cultures pluviales. Et mis en place des projets pour le développement de l'élevage, parce que le Niger est un pays pastoral aussi. Cette initiative prévoit aussi la construction d'infrastructures pour assurer le transport des stocks de production vers les marchés. Ce sont des mesures d'adaptation face aux changements climatiques et elles produisent déjà leurs effets.
Et pourtant le Niger est loin d'être sorti d'affaire. Il y a toujours le terrorisme, même si la dernière attaque d'envergure date de juin 2016. Boko Haram, c'est fini ?
Le terrorisme est un frein majeur à la mise en place du plan contre la migration illégale. Si vous remarquez bien, nous sommes dans un contexte très difficile, pris que nous sommes entre la lutte contre les changements climatiques dont nous subissons les effets, la baisse des cours des matières premières [le Niger est producteur d'uranium, de pétrole…], la récession dans un pays aussi important que le Nigéria qui est notre principal partenaire commercial. Fort heureusement, en ce qui concerne Boko Haram, la force mixte multinationale que nous avons mise en place avec nos voisins du Tchad, du Cameroun, du Nigéria fait du bon travail. Je peux vous affirmer aujourd'hui que Boko Haram est en perte de vitesse sur sa capacité de nuisance, car nous avons trouvé la solution et allons le vaincre. Ce n'est plus qu'une question de temps.
Est-ce à dire que le Niger est déjà dans l'après-conflit...
Oui, tout à fait, nous y sommes.
Et donc comment préparez-vous le retour des déplacés, des réfugiés, des retournés…
Nous avons en effet des déplacés de Boko Haram, des déplacés internes et des retournés qui étaient dans certaines régions du Nigéria. Au total, c'est près de 250 000 personnes qu'il faut prendre en charge sans oublier les réfugiés maliens qui représentent 60 000 personnes. L'État prend ses responsabilités face à cette situation, avec l'aide aussi des partenaires régionaux et internationaux.
Vous avez l'air tout de même préoccupé par d'autres fronts…
Oui, actuellement nous sommes absorbés par ce qui se déroule au nord Mali. En octobre, nous avons été victimes de trois attaques [22 personnes tuées dans l'attaque d'un camp de réfugiés à Tazalit, à 180 kilomètres du Mali] et donc il faut trouver rapidement une solution. Je pense qu'il faut que le mandat de la Minusma soit plus offensif, et cela veut dire que la mission doit recevoir les équipements nécessaires pour faire son travail dans le nord Mali.
L'autre problème qui nous préoccupe, c'est le chaos libyen. Il faut en sortir rapidement, par la mise en place d'un gouvernement inclusif et consensuel, par la refondation d'une armée et la tenue des élections. Car actuellement, c'est le flou total.
Sans compter que vous avez dans votre pays un sérieux problème d'explosion démographique... Comment le voyez-vous ?
Ma vision, c'est effectivement que la démographie du Niger est une bombe à retardement. Nous avons un taux de croissance de 4 % par an, et un taux de fécondité de 7 enfants par femme. En plus, quand vous interrogez les femmes sur leur désir d'enfants, elles répondent qu'elles veulent neuf enfants, et les hommes, onze. Donc le nombre d'enfants désirés est supérieur au taux de fécondité. C'est un défi énorme auquel nous devons faire face. Et nous avons décidé de créer les conditions de développement du pays pour y répondre. Actuellement, les conditions de transition démographique sont réunies. Mais le développement est surtout synonyme d'éducation en particulier des jeunes filles. On met souvent cette démographie galopante à tort sur le compte de la religion musulmane, car bien de pays musulmans ont opéré leur transition démographique et ont maintenant des taux de croissance corrects. C'est le cas du Maroc, de l'Algérie, de certains pays du Golfe. Mon ambition est de porter ce taux à 2,5 % d'ici à 2020.
Quel message justement souhaitez-vous adresser à la jeunesse nigérienne, à qui on répète sans cesse qu'elle est une bombe à retardement… ?
La jeunesse, c'est surtout une chance..., si nous arrivons à l'éduquer, à lui créer des emplois. C'est un facteur de dynamisme pour l'économie du Niger. Le drame est que nous avons trop de formations diplômantes qui ne débouchent pas sur des emplois. Nous devons parvenir à mieux orienter les jeunes, surtout vers les secteurs techniques et professionnels, avec des études plus ciblées. Mon ambition est de voir ces jeunes nigériens réussir.
Le Point Afrique
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