Crise ouverte à l’UEMOA : les pays de l’AES claquent la porte du Conseil des ministres à Lomé
Lomé, 11 juillet 2025 — La 2e session ordinaire annuelle du Conseil des ministres de l’UEMOA, censée renforcer l’unité économique et monétaire sous-régionale, s’est soldée par un incident diplomatique retentissant. Les représentants du Burkina Faso, du Mali et du Niger – membres de la Confédération des États du Sahel (AES) – ont quitté brusquement la réunion, dénonçant le blocage de la présidence tournante du Conseil, qui devait revenir au Burkina Faso selon les règles statutaires.
Réunis à huis clos pendant plus de quatre heures à Lomé, les ministres des Finances des huit pays de l’UEMOA n’ont pu s’accorder sur la désignation du nouveau président du Conseil. Selon une source proche du dossier, Ouagadougou, soutenu par Bamako et Niamey, revendiquait légitimement la présidence, conformément à l’article 11 des statuts de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), qui prévoit une présidence tournante de deux ans entre les ministres des Finances.
Mais au cœur du bras de fer, un point de friction persistant : la position du Burkina Faso vis-à-vis de la France. Refusant toute interaction avec l’ancienne puissance coloniale, toujours garante du franc CFA et interlocuteur privilégié des instances de la zone monétaire, le Burkina Faso conditionnait sa prise de fonction à une redéfinition des relations entre l’Union et Paris.
Un verrou difficile à faire sauter dans un contexte où la France joue encore un rôle clé dans la convertibilité du franc CFA en euros, à travers un accord de coopération monétaire. Ce lien direct entre Paris et les institutions comme la BCEAO ou la Commission de l’UEMOA continue de cristalliser les tensions.
Devant l’impasse, le Conseil des ministres s’est refermé sans accord. La balle est désormais dans le camp de la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement de l’UEMOA, seule instance habilitée à arbitrer ce contentieux politique aux relents de rupture régionale.
En attendant, l’actuel président statutaire du Conseil, le ministre ivoirien des Finances Adama Coulibaly, assurera l’intérim. Un statu quo qui ne fait qu’exacerber le malaise au sein de l’Union.
Du côté des pays restés à la table, le ton est à l’inquiétude. Le ministre sénégalais de l’Économie, Abdourahmane SARR, a rappelé à l’issue des travaux dans un Tweet que « la stabilité et la crédibilité de l’Union reposent sur la discipline économique collective, la bonne gestion monétaire de la BCEAO, et la crédibilité politique et économique des États ».
Il a ajouté que cette crise souligne l’urgence de « maintenir et renforcer la confiance internationale par une gouvernance régionale solide et un leadership engagé », insistant sur la nécessité d’une communication claire et d’un cap politique assumé.
Au-delà du simple désaccord sur une présidence tournante, l’épisode de Lomé révèle une fracture plus profonde. Celle entre une UEMOA restée fidèle à un cadre institutionnel hérité, et une Confédération AES en pleine affirmation de souveraineté, aspirant à redéfinir les règles du jeu monétaire et politique.
Si aucun des trois pays de l’AES n’a officiellement quitté l’Union, leur posture de retrait progressif et de rupture avec certaines pratiques laisse planer le spectre d’un éclatement silencieux du consensus régional.
La question qui se pose désormais est de savoir si l'UEMOA pourra surmonter cette épreuve sans perdre trois de ses membres fondateurs, ou si elle devra s'adapter à une nouvelle donne géopolitique où la souveraineté monétaire devient un enjeu central. Les chefs d'État vont devoir faire preuve d'une habileté diplomatique rare pour éviter que cette crise de procédure ne se transforme en fracture définitive au sein de l'une des unions monétaires les plus anciennes et les plus stables d'Afrique.
Mohamed Cissé (actuniger.com)