Mahamadou Issoufou : « Entre les terroristes et nous, c’est une lutte à mort »
Menaces sécuritaires, chute des cours des matières premières, crise libyenne, Trump… Réélu en mars, le chef de l’État s’est confié à Jeune Afrique, en marge du dernier sommet de l’UA, sur les défis majeurs auxquels il est confronté.
Jeune afrique : Le Maroc fait son grand retour au sein de l’Union africaine (UA), mais, lors de ce 28e sommet, les échanges ont été houleux…
Mahamadou Issoufou : C’est normal, puisque tout l’enjeu était de parvenir à prendre une décision. Mais la majorité des pays membres ont estimé que le Maroc ne posait aucune condition à son retour, puisqu’il avait souscrit aux dispositions de l’acte constitutif de l’UA, et que le moment était venu. Cela a été un moment historique pour la grande famille africaine.
A-t-il fallu rassurer la République arabe sahraouie démocratique (RASD), ainsi que ses soutiens, sur le fait qu’elle ne serait pas exclue de l’UA ?
C’est un autre débat, qui devra être réglé par les instances de l’UA. Mais je rappelle que le Maroc a souscrit à l’acte constitutif de l’UA, une organisation dont la RASD est un membre fondateur.
L’armée nigérienne est engagée sur tous les fronts : aux côtés du Nigeria, du Cameroun et du Tchad contre Boko Haram, mais aussi aux côtés du Burkina Faso et du Mali contre les jihadistes, sachant qu’elle doit également composer avec les conséquences de la crise libyenne… Le Niger a-t-il les moyens, militaires et financiers, d’être à ce point omniprésent ?
Ce qui est sûr, c’est que le capital est lâche et que, si nous voulons que les investisseurs restent, il faut les rassurer. C’est pour cela que la sécurité est une priorité et que nous y consacrons 10 % de nos ressources. Cela dit, nous sommes bien conscients que nous ne pouvons pas lutter seuls et que nos voisins et nous devons mutualiser nos efforts. Ensemble, nous allons mettre en place une force mixte multinationale, à laquelle participeraient les membres du G5 Sahel [Tchad, Niger, Mali, Burkina Faso et Mauritanie], sur le modèle de ce que nous avons déjà fait avec les pays du bassin du lac Tchad. Cette force travaillera en coordination avec les Casques bleus de la Minusma et avec la force française Barkhane.
Diriez-vous que l’élection de Muhammadu Buhari au Nigeria a infléchi la lutte contre Boko Haram ?
Le président Buhari est très déterminé et, si la force mixte fonctionne aujourd’hui, c’est aussi grâce à l’appui financier du Nigeria. J’ajoute que, sur le terrain, tous les jours, l’armée nigériane combat Boko Haram et que cela l’a affaibli et divisé. Ce n’est pas un hasard s’il existe aujourd’hui deux factions rivales : celle d’Abubakar Shekau, d’une part, et celle de Mamman Nur et d’Abou Mosab al-Barnaoui, d’autre part.
Le mandat de la Minusma a été renforcé, ainsi que vous le demandiez. Êtes-vous satisfait ?
Il a été renforcé sur le papier, mais pas dans les faits. Nous avons demandé à Antonio Guterres, le nouveau secrétaire général de l’ONU, de faire en sorte qu’elle ait l’équipement nécessaire pour assumer un mandat plus offensif. Plus largement, il faut réfléchir à ce que l’on attend des missions de maintien de la paix. La paix, on la maintient quand elle existe, mais les menaces ont changé de nature et, entre les terroristes et nous, il n’y a pas de paix possible. C’est une lutte à mort.
Dans une enquête diffusée fin janvier et consacrée à la libération des otages d’Arlit, en octobre 2013, l’émission française « Envoyé spécial » suggère qu’une partie de la rançon versée aux ravisseurs a été détournée. C’est ce qui aurait poussé Aqmi à se venger en exécutant, quelques jours plus tard, deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Qu’en dites-vous ?
Je ne pense pas que les deux affaires soient liées. Je ne souhaite pas non plus m’ingérer dans les questions franco-françaises.
Mais le Niger a joué un rôle important dans la libération des otages…
Oui, mais je n’ai aucun élément permettant d’étayer la thèse que vous évoquez.
Dans le bassin du lac Tchad, ce sont des musulmans que Boko Haram égorge. En Libye, en Irak et en Syrie, c’est à des musulmans que s’en prend Daesh. »
Comment sortir la Libye du chaos dans lequel elle est plongée ?
Cela passera forcément par la réconciliation de tous les acteurs : le gouvernement de Fayez al-Sarraj, le gouvernement de Tobrouk, le général Haftar, les kadhafistes… C’est la condition pour mettre en place un gouvernement d’union nationale inclusif et pour rétablir l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire.
Fayez al-Sarraj est-il ouvert à une rencontre avec le général Haftar ?
Oui. Il était présent à Brazzaville et il est tout à fait ouvert à cette idée.
Qu’attendez-vous du nouveau président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, qui a été élu le 30 janvier ?
Nous comptons sur lui pour accélérer la mise en place de la Force africaine en attente [FAA] et de la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises [Caric]. Il a une grande expérience et vient d’un pays très engagé sur les questions de sécurité.
La Cedeao avait un candidat en la personne du Sénégalais Abdoulaye Bathily. Le bloc s’est semble-t-il fissuré…
Effectivement. Certains ont décidé de soutenir d’autres candidats. Dans toutes les sous-régions, d’ailleurs, il y a eu des prises de position que l’on pourrait qualifier de transversales.
Autre enjeu du sommet, la réforme de l’UA…
Oui. Outre la question du financement, nous sommes tombés d’accord sur l’établissement d’une zone de libre-échange, avec la suppression des barrières tarifaires, techniques, sanitaires, réglementaires, en matière de transport… Nous avons aussi décidé que l’Afrique ne devait parler que d’une seule voix lors des négociations avec les pays tiers. Nous allons poursuivre notre réflexion à ce sujet jusqu’à la fin de 2017.
La réaction de la Cedeao dans la crise gambienne fera-t-elle jurisprudence ?
Sans les pressions qu’elle a exercées, les négociations n’auraient pas abouti, et le verdict des urnes n’aurait pas été respecté. Son intervention a donc été salutaire.
N’y a-t-il pas eu deux poids deux mesures avec d’autres élections contestées, notamment en Afrique centrale ?
Ce ne sont pas deux poids deux mesures, mais deux régions différentes. On est en Afrique de l’Ouest, on parle de la Cedeao. Posez plutôt votre question aux chefs d’État d’Afrique centrale.
Vous avez été réélu pour un deuxième mandat en mars 2016. Où en sont les projets que vous aviez lancés ?
J’ai fait de l’éducation l’une de nos priorités et mis l’accent sur la formation professionnelle et technique. Lorsque je suis arrivé au pouvoir, en 2011, 8 % seulement des enfants nigériens allaient dans les centres professionnels et techniques. En cinq ans, ce chiffre est passé à 25 %. Mon objectif est de le porter à 40 % d’ici à 2021. Et, une fois que ces jeunes seront formés, il faudra leur trouver un emploi. Nos investissements dans les infrastructures routières, énergétiques, ferroviaires, de télécommunications créent des emplois.
L’objectif est d’aller vers une monnaie commune au sein de la Cedeao à l’horizon 2020. »
Le Niger est aussi un producteur de pétrole, et cette production va aller en augmentant. Cela nous donnera des opportunités d’emploi et nous permettra d’avoir des ressources pour financer mon nouveau programme. Celui que j’ai mis en place pendant mon premier mandat devait être financé à hauteur de 6 200 milliards de F CFA (9,4 milliards d’euros). Je l’ai financé à hauteur de 5 800 milliards, soit 93 %. Le nouveau doit être financé à hauteur de 8 200 milliards de F CFA.
Faut-il encore croire au redémarrage de la mine d’uranium d’Imouraren ?
Nous pensions que la conjoncture allait s’améliorer et que les cours de l’uranium allaient se redresser, mais cela n’a malheureusement pas encore été le cas. Cela étant, oui, le projet sera tôt ou tard relancé.
Comme d’autres pays de la sous-région, le Niger est également touché de plein fouet par la crise économique que traverse le Nigeria…
C’est bien pour cela il nous faut aller vers plus d’intégration, notamment monétaire, au sein de la Cedeao. Si nous avions la même monnaie que le Nigeria, nous ne connaîtrions pas ces difficultés. Le problème est d’ailleurs ancien : en 1994 déjà, la dévaluation du franc CFA aurait dû nous permettre d’être plus compétitifs face à Abuja. Mais le Nigeria a tout de suite réagi, ce qui nous a privés des avantages attendus. Moralité : un pays comme le Niger a intérêt à entrer dans une zone d’intégration plus large que l’Uemoa.
L’objectif est d’aller vers une monnaie commune au sein de la Cedeao à l’horizon 2020. Cela dit, je tiens à faire remarquer que, en dépit de tous les problèmes que nous avons évoqués, que ce soit la crise nigériane, la baisse des prix des matières premières ou les chocs sécuritaires, le taux de croissance moyen sous mon premier mandat a été de 6 % par an, et nous prévoyons 7 % pour les cinq prochaines années.
Il y a un débat très vif concernant le franc CFA. Faut-il en finir avec cette monnaie ou bien la réformer ?
Le débat actuel donne l’impression d’être motivé par une position contre la France. Mais je pense que le débat ne se pose pas en ces termes : la plus grande intégration que nous prônons au niveau de la Cedeao ne vise personne. D’ailleurs, la France ou l’Allemagne ont intérêt à ce que nos pays aient un marché plus vaste. La Cedeao, c’est tout de même 300 millions d’habitants !
Certains de vos adversaires dénoncent des dérives autoritaires. Que leur répondez-vous ?
Quels sont les indicateurs qu’ils avancent pour dire que je suis plus autoritaire ? Il n’y a pas d’entrave aux libertés au Niger. Ceux qui me font ce reproche étaient au pouvoir avant moi. Et, à leur époque, le Niger figurait à la 139e place du classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse. Aujourd’hui, nous sommes à la 52e place – le 9e pays africain. Cela veut dire que, sous ma présidence, notre pays est plus libre qu’à l’époque où ceux qui me reprochent d’avoir un comportement liberticide étaient au pouvoir. Les chiffres parlent pour moi.
Ne regrettez-vous pas que votre principal opposant, Hama Amadou, soit en exil ?
Si, mais personne n’empêche la personne dont vous parlez de revenir au Niger. Il y a chez nous une séparation des pouvoirs : Hama Amadou a des problèmes avec la justice, mais je n’ai aucun problème avec lui.
De l’avis de plusieurs membres de votre gouvernement, la lutte contre la corruption n’est pas allée assez loin pendant votre premier mandat…
Nous sommes sur la bonne voie, mais il faut renforcer notre action, l’accélérer. C’est mon objectif pour mon second mandat. D’ailleurs, la Haute Autorité de lutte contre la corruption a fait l’objet d’une loi pour la rendre plus indépendante. Elle transmettra désormais ses enquêtes directement à la justice, sans passer par l’exécutif.
Vincent Bolloré et Samuel Dossou vont-ils se retirer du projet de boucle ferroviaire, qui devrait notamment relier Niamey à Cotonou ?
Il y a des discussions entre le Niger, le Bénin et Bolloré. Je ne sais pas à quel type d’accord elles donneront lieu, mais nous allons trouver une solution.
Comment réagissez-vous aux premières décisions prises par le nouveau président américain, Donald Trump ?
Je n’ai pas pour habitude de commenter les situations intérieures de pays amis. Ce que je souhaite, c’est que nos relations se renforcent, dans l’intérêt bien compris de nos différents peuples, et que les relations internationales d’une manière plus générale soient plus équilibrées.
La coopération militaire avec les États-Unis est primordiale pour votre pays. Ne craignez-vous pas un désengagement ?
Washington n’a pas fait de déclaration en ce sens. Nous avons un ennemi commun : le terrorisme. Je fonde l’espoir que, sur ce plan-là, les relations avec les États-Unis vont se développer.
La décision de Donald Trump de bloquer l’émission de visas d’entrée pour les ressortissants de sept pays musulmans, dont trois africains, ne vous choque-t-elle pas ?
Les musulmans ne doivent pas être stigmatisés. Il faut que les Occidentaux comprennent que le terrorisme, ce n’est pas l’islam et que les musulmans sont les premières victimes du terrorisme. Dans le bassin du lac Tchad, ce sont des musulmans que Boko Haram égorge. En Libye, en Irak et en Syrie, c’est à des musulmans que s’en prend Daesh.
Jeune Afrique
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au moins bien vu, bien dit et c'est la v