Dans son message radiotélévisé à la nation, le chef de l'État a évoqué un « conflit ouvert » sur un « différend » entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, sur fond « d’une supposée affaire de corruption de juges », pour justifier sa décision d’abroger le décret sur la convocation du corps électoral, reportant de facto la tenue de l’élection présidentielle du 25 février 2024, dont la campagne électorale s’ouvre dans quelques heures.
Le président de la République, Macky Sall, qui a réaffirmé sa décision de ne pas se présenter à la prochaine présidentielle, a pris cette décision en attendant les résultats de la commission d’enquête parlementaire visant à clarifier les conditions dans lesquelles certaines candidatures ont été déclarées irrecevables.
Le Parti démocratique sénégalais (PDS) avait, en effet, demandé et obtenu la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire après l’invalidation de la candidature de Karim Wade à l’élection présidentielle pour cause de double nationalité. Le PDS a émis des accusations de corruption présumée à l’encontre de certains membres du Conseil constitutionnel, chargé de l’examen des candidatures à ce scrutin.
Conflit entre les pouvoirs législatif et judiciaire
Dans son message, le Président sénégalais a toutefois noté que le Conseil constitutionnel, dans son communiqué du 29 janvier 2024 signé par tous ses membres, « a réfuté les allégations portées contre lui, tout en prenant la mesure de la gravité des accusations, et en tenant à ce que toute la lumière soit faite dans le respect des procédures constitutionnelles et légales régissant les relations entre les institutions, notamment la séparation des pouvoirs et le statut de ses membres ». Et d’ajouter qu’« à cette situation suffisamment grave et confuse, est venue s’ajouter la polémique sur une candidate dont la binationalité a été découverte après la publication de la liste définitive des candidats par le Conseil constitutionnel ». Ce qui, a-t-il mis en évidence, « constitue une violation de l’article 28 de la Constitution qui dispose que « tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise » ».
Selon le président de la République sénégalais, « ces conditions troubles pourraient gravement nuire à la crédibilité du scrutin en installant les germes d’un contentieux pré et postélectoral ».
« Alors qu'il porte encore les stigmates des violentes manifestations de mars 2021 et de juin 2023, notre pays ne peut pas se permettre une nouvelle crise », sans compter « qu’en ma qualité de président de la République, garant du fonctionnement régulier des institutions, et respectueux de la séparation des pouvoirs, je ne saurais intervenir dans le conflit opposant le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire », a ajouté Macky Sall. Il a signalé que l’Assemblée nationale, « agissant en vertu de ses prérogatives », l’a saisi, pour avis, conformément à son règlement intérieur, d’une proposition de loi constitutionnelle en procédure d’urgence portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution. Le président Sall dit avoir pris acte de « cette saisine après avoir consulté le président de l’Assemblée nationale, le Premier ministre, le président du Haut Conseil des collectivités territoriales, le président du Conseil économique, social et environnemental et le président du Conseil constitutionnel ».
« En conséquence, compte tenu des délibérations en cours à l’Assemblée nationale réunie en procédure d’urgence, et sans préjuger du vote des députés, j’ai signé le décret n° 2024-106 du 3 février 2024 abrogeant le décret n° 2023-2283 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral », a annoncé le président de la République, qui a conclu son adresse en réitérant son « engagement solennel » à ne pas se présenter à l’élection présidentielle, tout en faisant part de sa décision d’engager « un dialogue national ouvert, afin de réunir les conditions d’une élection libre, transparente et inclusive dans un Sénégal apaisé et réconcilié ».
« Coup d’Etat institutionnel »
Les rumeurs sur un éventuel report du très attendu scrutin du 25 février faisaient la une de l’actualité sénégalaise depuis plusieurs semaines. Mais elles ont été jusqu'à présent démenties par le camp présidentiel. À plusieurs reprises, le dauphin du président sortant, l’actuel Premier ministre Amadou Ba, a même catégoriquement écarté cette éventualité.
L’annonce du report du scrutin présidentiel a provoqué une véritable levée de boucliers dans le pays, notamment de la part des autres candidats ainsi que des associations de la société civile qui dénoncent « un coup d’état institutionnel ». Avant même la diffusion du message, la Coalition Khalifa Sall, qui soutient l’ancien maire de Dakar pour la présidentielle, a rejeté catégoriquement tout report du scrutin du 25 février. « Le respect du calendrier républicain est essentiel pour garantir la légitimité du processus démocratique et la stabilité politique », a déclaré Khalifa Sall.
Cette annonce du report du scrutin présidentiel du 25 février 2024 risque d’amplifier la crise politique qui émergeait depuis quelques mois au Sénégal. Le président Sall avait fixé le scrutin présidentiel au 25 février dans un décret daté du 29 novembre 2023. Il avait promis fin décembre de remettre début avril le pouvoir au président élu à l'issue du scrutin et l'a réitéré plusieurs fois.
Élu en 2012 pour sept ans et réélu en 2019 pour cinq ans, il a annoncé en juillet 2023 ne pas être candidat à un nouveau mandat. Il a désigné comme dauphin en septembre le Premier ministre Amadou Bâ, un responsable du parti présidentiel. Le Conseil constitutionnel a exclu du scrutin des dizaines de prétendants. Parmi eux, deux ténors de l'opposition, le candidat antisystème Ousmane Sonko, en prison depuis juillet 2023 notamment pour appel à l'insurrection et disqualifié par le Conseil à la suite d'une condamnation pour diffamation dans un dossier distinct, et Karim Wade, ministre et fils de l'ex-président Abdoulaye Wade (2000-2012).
M. Abdoul Karim (actuniger.com)
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La suite on la connait.