La pathologie de la société nigérienne : les racines du mal
À peine prêté serment, le régime socialiste nigérien entre en scène avec un bataillon d’une quarantaine de ministres et une dizaine de conseillers bénéficiant des mêmes privilèges que ces derniers. La machine étatique qui a n’a jamais réussi à résoudre les problèmes les plus élémentaires de la population (depuis le programme d’ajustement structurel) se retrouve alourdie, étouffée et asphyxiée davantage.
De toute évidence, il n’y a manifestement aucune volonté de diminuer les charges et les dépenses publiques, si ce n’est de les augmenter. Aucune volonté d’atténuer la pauvreté, de favoriser l’équité et de réduire les inégalités, si ce n’est d’appauvrir les plus pauvres, d’enrichir les plus nantis. Il ne s’agit pas donc de réduire les inégalités sociales, mais de les amplifier. Il ne s’agit pas non plus d’opter pour un choix qualitatif, mais pour le quantitatif. En fait, il s’agit de renouer avec les vieilles habitudes qui prônent l’apologie de la médiocrité, non de rompre avec celles-ci. Ce constat alarmant et inquiétant a été mis en évidence par plusieurs compatriotes à travers de nombreux commentaires. Ceux-ci pour la plupart pertinents, fondés sur des faits irréfutables pointent du doigt la responsabilité d’un régime arrogant, sourd, aveugle, insensible aux souffrances et doléances du peuple d’une part, et d’autre part, une opposition moribonde, en décadence, sans alternative. L’incapacité et la fragilité de la société civile qui peine à jouer son rôle face aux verrous du système et la démission de l'élite intellectuelle dans sa mission de dénonciation et de conscientisation en toute neutralité sont passées sous silence. De même, la responsabilité du peuple semble être ignorée, pourtant fondamentale. En ce sens, je vais m’attarder sur ce dernier point.
De prime abord, si les régimes ne font que changer, se succéder et que la paupérisation ne fait que persister, il convient de ne pas réduire le problème à une poignée d’individus opportunistes au risque de sous-estimer ou de simplifier non seulement la complexité du système de gouvernance, mais aussi l’importance de la masse populaire. Nul besoin de faire une analyse exhaustive, détaillée pour montrer qu’avant d’être la victime, le peuple, « le public d’en bas » a été le complice de ce cancer social qui ronge la chair nigérienne. Et, pourtant, on s’étonne, on s’indigne. On oublie que cette pathologie, on l’a provoquée, on l’a soutenue, on l’a entretenue, on l’a légitimée parce que jusque-là, on n’a le regard orienté que sur nos intérêts égoïstes. Aujourd’hui encore, on continue de la nourrir, de l’alimenter, en créant les conditions propices pour sa prolifération. On en est responsable.
À l’instar de Césaire (1955) et Fanon (1961), il faudrait prendre la peine d’étudier cliniquement dans les détails le cas du Niger pour relever aux distingués frères et sœurs nigériens qu’on porte en nous les germes de la naïveté, de l’amnésie et le syndrome de la contradiction. De montrer et de démontrer que si on vitupère, insulte, critique nos dirigeants et on déplore constamment la médiocrité de nos intuitions, nos systèmes c’est par manque de logique. Puisqu’au fond, ils ne sont que les reflets de nos comportements et des valeurs de notre société, parfois contradictoires (Donabedien, 1975 ; Contandriopoulos, 2003). Pour cause, nous voulons tous le changement, mais personne ne veut changer. Nous voulons tous « percer », « arriver » devenir quelqu’un, mais personne n’est prêt à souffrir. Nous voulons « réussir » en prenant l'ascenseur, très peu l’escalier, jamais la marche. Or, « c'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain » (Genèse 3 : 19). Ces propos clairs, précis, nets, exempts de toute ambiguïté sont réitérés dans de nombreux versets coraniques et nos adages. Pour autant, le peu de personnes qui osent entreprendre sont souvent critiqués, rarement encouragés.
Force est de prédire qu’aussi longtemps qu’on se contentera de refrains de résignation comme « ça va finir », « on ne peut rien faire », « Dieu est là », « on va faire comment ? » et ce, sans aucune initiative on sera condamné à répéter les erreurs de la génération passée et on compromettra la génération future. Par conséquent, la misère règnera, l’impunité se normalisera, la politisation des institutions se développera, les marchés et les résultats de concours seront constamment annulés. La démocratie sera étranglée, nos libertés porteront des menottes, nos espoirs seront assassinés, nos rêves se transformeront en cauchemars. De même, aussi longtemps qu’on se contentera de se promener avec des chapelets dans les rues, les églises et les mosquées sans initiative pensant qu’un messie viendra nous extirper et nous délivrer de cet enfer dont nous sommes les seuls responsables, la tristesse et le désespoir seront nos quotidiens, les journalistes seront réduits au silence. La prière est nécessaire, voire indispensable, mais à condition qu’elle s’accompagne d’action. D’ailleurs, récemment avec les caricatures de prophète Mohamed (PSA), beaucoup des frères et sœurs n’ont rien attendu pour agir. Des édifices ont été détruits et brulés, des compatriotes ont été frappés et agressés violemment. La barbarie est telle que le « lion » (Issoufou) est sorti de sa cage pour s’expliquer. Dès lors, je pose les questions suivantes: Comment se fait-il que la patrie saigne et on est indifférent, mais lorsqu’on touche à la religion tout le monde réagit ? Entre le créateur et la créature qui a besoin d’être secouru ? Un peuple incapable de se libérer des problèmes majeurs auxquels son existence est confrontée pourrait-il secourir ou protéger le prophète ?
J’admets que l’indignation sans violence est bien et pourrait se justifier, mais de la religion notamment musulmane et chrétienne à l’antipatriotisme la distance est infinie (à moins d’être victime d’une constipation spirituelle). Ni Ahmed Deebat devant Albâni, ni le philosophe allemand Nietzsche et encore moins Karl Marx ne le contestent. D’ailleurs, l’instrumentalisation de la religion pour asseoir certains régimes, légitimer et justifier leurs dérives n’est pas un secret. En ce sens, la pertinence des propos de Carl Gustav Jung, médecin psychiatre suisse, doit nous inciter à réfléchir. Pour lui, ce qu’on nie nous soumet, et ce qu’on accepte nous transforme.
Par ailleurs, le peuple est dominé et exploité, mais pas domestiqué. Il est coupable, mais pas condamné, enchaîné. À ce titre, il est impératif qu’il abandonne son rôle du gibier pour prendre celui du chasseur (Fanon, 1961). Qu’il abandonne son rôle de victime pour prendre celui de l’agresseur. En effet, analysant les différentes étapes de changement social, Lénine (1917) conclut que la révolution commence le jour où le peuple comprend qu’il ne peut plus vivre aujourd’hui comme il a vécu hier. Dès lors, le devoir de notre génération est de provoquer et de précipiter la venue de ce jour, ce, par tous les moyens. Mais comment ?
L’enjeu est énorme, la tâche est difficile d’autant plus que les étudiants censés être les précurseurs de ce changement se font entendre uniquement quand il est question de bourses ou si l’université saigne. Ils sont pour la plupart révoltés intellectuellement, mais totalement soumis (Ramadan, 2011). Ils disent quelque chose par la bouche, mais le contredisent par le geste. « La société là, c’est du n’importe quoi, on ne va se pas laisser faire », disent-ils et ça s’arrête là. Parmi eux, certains se lancent dans la politique, s’allient avec les bourreaux qu’ils prétendent combattre pour perpétuer le même système. Ceux qui sont à l’étranger ne veulent pas rentrer soit par choix, soit par contrainte. D'autres encore estiment que le manque de compétence est un véritable handicap au Niger. Les écoles publiques semblent être oubliées. Leur sort dépend des enseignants, mal traités, mal formés, sous-estimés, sous-payés, non motivés et constamment en grève, De Sardan l’a bien illustré. Au delà de cet aspect, le complot international du FMI, de la Banque Mondiale, de leurs affilés et complices dénoncé par Houetto (2008) mérite d'être rappelé. Dans ces conditions comment peut-on stopper cette pathologie ? De toute évidence, seuls un travail éducatif, une véritable pédagogie appliquée et critique pourraient nous permettre de nous libérer. Cela pourrait faire en sorte que tout ce qui est courbé soit redressé, tout ce qui est dressé soit amélioré (Césaire 1973), et ce qui n’est pas soit pour la patrie, pour les « sans voix », pour les « laissés pour compte ». Les leaders religieux ont un rôle fondamental à jouer dans ce processus. Ceux-ci ont la particularité d’être entendus et écoutés par toutes les classes sociales, peu importe l’âge, le statut, le sexe (A. Samri).
Au demeurant, « les seules vraies loyautés sont critiques : avec son gouvernement, avec ses coreligionnaires ou avec la « umma », il ne s’agit jamais de soutenir « les siens », aveuglément, contre tous « les autres ». Il s’agit d’être fidèle à des principes de justice, de dignité, d’égalité et d’être capables de critiquer et de manifester contre son gouvernement (voire la majorité de sa société) quand celui-ci se lance dans une guerre injuste, quand il légitime l’apartheid ou traite avec les pires dictateurs de la terre » (Ramadan, 2016).
Par Mamane Abdoulaye Samri
Ph. D (c) en Santé Communautaire/ Médecine Sociale et Préventive - Université Laval, Québec (Canada).
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Références
Césaire, A. (1973). Une saison au Congo (Vol. 59). Seuil.
Césaire, A. (1955). Discours sur le colonialisme. Présence africaine.
Contandriopoulos, A. P. (2003). Inertie et changement. Ruptures, revue transdisciplinaire en santé, 9 (2), 4-31.
De Sardan, J-P.O. (2016). Lettre à mes amis du PNDS au Niger : saurez-vous ne pas reproduire les erreurs du passé ?
Donabedian, A. (1973). Social values. Dans A. Donabedian (dir.), Aspects of medical care administration: Specifying requirements for health care (pp. 1-15). Cambridge: Harvard University Press
Fanon, F. (1961). Les damnés de la terre (p. 273). Paris: f. Maspero.
Houeto, D. (2008) La promotion de la santé en Afrique subsaharienne: état actuel des connaissances et besoins d'actions. Promotion et Éducation: 15: 49-53.
Lénine, V. I. (1919). L'Etat et la révolution. Comité exécutif de l'internationale communiste.
Ramadan, T. (2016). Identités multiples : d’abord français ou musulman ?
Ramadan, T (2011). Conférence sur Malcom X.
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