L’admission du vote par témoignage est une situation de « deux poids deux mesures » qui crée par elle même une violation de la loi
« Le peuple c’est la nation, la nation c’est l’Etat, et l’Etat c’est moi ! »déclare le Roi. À quoi les sujets répondent : « qui t’a fait Roi ? ». Ce bref échange entre le Roi et ses sujets est à l’image d’une causalité sans fin qui est peut être l’indice de l'impossibilité d’une réponse théorique à la question de la cause.
Mais nous voilà sur une piste qui nous mène droit au cœur de l’actualité juridico-politique nigérienne à savoir, les modalités de vote. Entendez par là, les mécanismes juridiques par lesquels une personne (électeur) est admise à exercer son droit fondamental (le vote).
Cette situation est sans doute, et pour partiedu moins, une manifestation du caractère incertain, voire « douteux » ou « détourné », de la loi électorale.
La prédominance voire les assauts répétés de l’exécutif qui semble ainsi s’inscrire dans une tradition ancienne, soit disant, pour répondre aux intérêts d’une catégorie d’électeurs qui seraient dépourvus de pièces d'état civil, ne vise en réalité qu’à répondre aux intérêts d’une élite désireuse de se maintenir aux affaires. En effet, la question est présentée comme la manifestation d’un réflexe de légalité constitutionnelle, d’un souci d’établirl’égalité des citoyens devant la loi, susceptibles de trouver leur légitimité dans un avis complaisant du conseil d’Etat se fondant sur l’esprit des lois et les pratiques électorales au Niger.
Un Niger dont l’histoire démocratique est couronné de spécificités et, dont les institutions démocratiques finissent par s’ordonner malgré tout autour d’une dualité du bon désir démocratique contre le mauvais pouvoir.
S’il est vrai qu’en l’occurence le droit de vote est un droit fondamental, qui figure en bonne place dans notre « bloc de constitutionnalité » et dont tous citoyens en âge de voter peut invoquer, il est aussi indéniable que la loi électorale actuellement en vigueur en limite substantiellement la jouissance.L’alinéa 2 de l’article 25 l’ordonnance n°2010-96 du 28 décembre 2010, portant code électoral au Niger fixe exhaustivement la liste despièces pouvant attester de l’identité de l’électeur pour y être inscrit sur une liste électorale : « la carte nationale d’identité, le passeport, le permis de conduire, la carte consulaire, la carte militaire ou carte d’agent des Forces de sécurité, le livret de pension civile ou militaire, le livret ou la carte de famille ».
Les rédacteurs du texte, tenaientà préserver d'éventuels électeurs de bonne foi, qui lors de l’opération d’inscription ne disposaient pas de pièces d’identité exigibles pour leur inscription mais qui devraient pouvoir se conformer à la loi avant le jour du scrutin. On Comprend initialementles motivations des rédacteurs lorsqu’ils autorisent l’inscription par témoignage aux alinéas 3 et 4 qui disposent respectivement « À défaut de toutes ces pièces(énumérées a l’alinéa 2), il est provisoirement permis d’inscrire un électeur qui produit deux témoins valables pouvant attester se l’honneur, de l’exactitude de son identité » ; « De même, la preuve de la situation matrimoniale du mineur émancipé peut être fournie à défaut de pièces justificatives de son état, par témoignage dans les mêmes conditions que ci-dessus ». Ce qui frappe ici, c’est la prudence des rédacteurs du texte qui ont tenu à préciser le caractère provisoire de l’inscription par témoignage, ce qui suppose, l’obligation pour l’électeur inscrit selon cette modalité, de se procurer une pièce justificative le jour du scrutin puisqu’il ne saurait y avoir inscription par témoignage et vote par témoignage, ce serait un témoignage de trop. Cette idée est confirmée par l’article 76 de l’ordonnance de 2010 qui dispose à l’alinéa 1er« la vérification de l’identité s’effectue au vu des pièces suivantes : carte d’identité nationale, passeport, permis de conduire, carte consulaire, carte de militaire ou d’agent des Forces de sécurité, livret de pension civile ou militaire. » À l’évidence, même le livret de famille mentionné pour l’inscription n’y figure pas le vote. De plus, nulle part il n’a été fait mention d’une possibilité de vote par témoignage, il serait donc mal venue de vouloir corriger ce qui, selon toute vraisemblance, n’est pas une erreur, mais une omission de fait.
Comment peut-il en être autrement si le gouvernement n’a pas entendu se souscrire depuis cinq (ans) a l’obligation posée à l’Article 28 de l’ordonnance portant code électorale au Niger qui dispose « les listes électorales sont permanentes. Elles font l’objet d’une révision annuelle systématique du 1er Septembre au 31 décembre.
Sont radiées des listes électorales toutes les personnes décédées, déchues de la nationalité nigérienne ou de leurs droits civiques.
Après chaque révision annuelle ou en cas de reprise du fichier, les listes doivent être affichées et protégées par l’autorité administrative pendant un mois au moins dans les ambassades, consulats, communes, groupements, villages et tribus. ».
Cette attitude du gouvernement qui, d’un seul coup,manifeste un souci de l’équilibre voire de l’égalité des citoyens, est tout de même curieuse et frise le ridicule, d’autant que si les listes électorales, étaient, au sens de cet article, tenues à jour, une telle situation ne serait pas advenu. En vérité, les premières menaces internes qui risquent de porter atteinte à la crédibilité de ces élections, ce sont les agissements de l’exécutif. A y voir de près, Il y a manifestement un projet déguisé derrière cette manœuvre législative du gouvernement, qui veut mettre hors jeu le juge constitutionnel dans le contentieux électoral dont il est pourtant le juge bien aimé.
Que la CENI prenne garde,à ne pas vouloir se substituer au législateur, et sa dernière décision en faveur du vote par témoignage, si elle est portée devant le juge constitutionnel, encours l’annulation. Il est d’ailleurs impératif que les personnes autorisés saisissent l’office du juge constitutionnel en procédure d’urgence pour qu’il se prononce sur cette question et mettre fin à cette situation de deux poids deux mesures.
Aussi la CEDEAO, à travers le Protocole A/SP/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance, n’interdit-il pas toute réforme importante de la loi électorale dans les six mois qui précèdent une élection à défaut de consensus clair, c’est à dire sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ? Ne prescrit-il pas dans cet esprit, la tenue du fichier électoral à jour ?À tout point de vue, les réponses à ces questions ne s’y trouvent pas dans la solution retenue par la CENI.
Votre bien dévoué
Me Bachir
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