Sahel : ces ressources en or qui aiguisent les appétits étrangers (Par Fatim Ouattara)
Chinois, Russes et Turcs – mais aussi rebelles jihadistes – n’ont qu’une obsession : mettre la main sur les ressources naturelles de la région. Objet de toutes les convoitises, l’or attire autant les trafics illicites qu’il stimule la signature d’accords avec des opérateurs étrangers.
Les pays du Sahel, victime de leur géologie ? La question semble saugrenue, et pourtant. Depuis la découverte en 2012 d’un nouveau filon aurifère allant de la Mauritanie au Soudan, le business de l’orpaillage connaît un boom et intéresse à la fois les autorités des pays concernés, les opérateurs étrangers et les rebelles de toute sorte qui sapent l’autorité des États de la région.
L’or du Sahel, le nerf de la guerre
Plusieurs pays vivent le même calvaire : le Mali, le Niger ou le Burkina-Faso ont d’abord attisé la convoitise des groupes rebelles qui profitent de l’insécurité régnant dans les zones d’orpaillage. Selon l’International Crisis Group, « ces groupes armés, y compris jihadistes, trouvent dans ces mines d’or une nouvelle source de financement, voire un terrain de recrutement. Des réseaux informels sont de plus en plus impliqués dans le transport du métal précieux. L’orpaillage artisanal risque donc d’alimenter la violence et les réseaux criminels transnationaux. Les États sahéliens devraient redoubler d’efforts pour sécuriser les sites d’orpaillage et éviter que les forces de sécurité ou les milices alliées ne deviennent des éléments prédateurs ».
Mais voilà, ces États ne sont pas en position de force, en raison de l’insécurité endémique, de l’instabilité politique intérieure ou encore des faiblesses de leurs fonctions régaliennes. Si bien que des pays, étrangers au continent africain, proposent désormais leurs services. À la fois pour la sécurisation des zones où se situent les ressources naturelles, et pour leur exploitation. Et ils se bousculent.
Selon l’ancien directeur de la communication de la Cédéao Adama Gaye cité par la Deutsche Welle, « les Russes viennent en apportant une expertise, mais évidemment aussi dans l’idée de récupérer de nouveaux marchés, des terres arables, des terres rares et autres ressources naturelles ». C’est ainsi que la Russie de Vladimir Poutine grignote du terrain partout en Afrique. Comme il l’a fait en Syrie pour les hydrocarbures et les mines de phosphates, le groupe paramilitaire Wagner arrive en éclaireur et sécurise les zones à exploiter, soit pour son profit direct, soit pour des entreprises russes liées au Kremlin. Cette stratégie s’est répétée pour l’or à la fois en République centrafricaine et au Mali et, risque très bientôt de s’appliquer au Burkina-Faso, où l’or est à la fois un trésor national et une malédiction.
Mais les Russes ne sont pas seuls dans la course. Les Chinois eux aussi, attirés par les minerais et les terres rares, exploitent les richesses africaines. Au Mali, le village de Lenguenkoto-Fougadina paye même un prix très lourd en contrepartie de l’extraction de l’or : « Les Chinois sont là pour extraire de l’or, explique Mamadou Djiré, villageois cité par le média malien Maliactu.net. Ils ont entouré tout le village. Ils ont pris même nos vergers. Nous avons organisé des manifestations à la suite desquelles ils ont dit que c’est une affaire d’Assimi Goïta, président de la Transition. Nous sommes dans cette situation sans aucune issue depuis près de deux ans. Ils sont en train d’exploiter actuellement notre cimetière. Nous ne dormons plus dans notre village à cause du bruit des machines d’extraction. » Selon le maire de Lenguenkoto-Fougadina, cette entreprise travaillerait sur ordre du chef de la junte militaire, Asimi Goïta. Les habitants n’ont donc aucun recours.
Au Cameroun, les entreprises chinoises sont également pointées du doigt pour leurs pratiques industrielles, peu respectueuses de l’environnement. Selon le Centre for Environment and Development (CED), les mineurs de Mencheng Mining et Zinquo Mining rejettent chacun, 2 litres par jour de mercure et de cyanide dans la rivière Djiengou. Dans toute l’Afrique subsaharienne, Moscou et Pékin se livrent ainsi une guerre sans merci, par l’intermédiaire d’acteurs internationaux de premier plan comme le Chinois Shandong Gold et le Russe Nordgold, qui absorbent des entreprises locales pour gagner des parts de marchés. En 2020 par exemple au Ghana, le premier avait remporté un bras de fer de plusieurs centaines de millions de dollars face au second, pour mettre la main sur la mine d’or de Namdini, selon l’agence Ecofin.
Les Turcs bien placés pour rafler la mise
Si la Russie et la Chine ont choisi des stratégies agressives en liant directement leur appétit aux liens qu’elles tissent avec les hommes forts au pouvoir, un autre pays pourrait lui aussi faire la une des journaux : la Turquie. Forte de son implantation militaire en Somalie et en Libye, elle développe activement son réseau dans toute l’Afrique : liaisons aériennes, ventes d’armes et de biens de consommation, coopération en tout genre, construction de mosquées… Ankara est devenu un acteur incontournable dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, quitte à jouer des coudes avec la France au Niger par exemple, pays avec lequel Recep Tayyip Erdo?an a signé un pacte de coopération militaire en 2021.
Mais l’offensive de charme de la Turquie – à la fois diplomatique, militaire et commerciale – vise aussi l’exploitation des ressources naturelles en Afrique de l’Ouest, et l’or en particulier. En Côte d’Ivoire avec l’entreprise Toya Gold, au Burkina-Faso avec la société minière Avesoro… sans oublier le projet de Kopore Metals à la mine d’uranium d’Agadez, au Niger. Cité par NewsDirect en juin dernier, Yasin Hac?o?lu – PDG de Hac?o?lu Gold Mining et nouvel homme fort de l’exploitation de l’or en Afrique – prédit même un fort développement de son industrie dans les années à venir : « L’Afrique de l'Ouest est actuellement l’une des régions les plus importantes au monde pour l’industrie de l'or, nous pensons qu’il existe encore un énorme potentiel de gain de parts de marché. Notre société a donc augmenté son capital de plus de 2,4 milliards de dollars pour étendre ses opérations aurifères sur plusieurs territoires, suivant notre nouvelle stratégie ouest-africaine. » Dans son collimateur : le Ghana, le Burkina Faso et le Mali.
Les sociétés minières turques sont arrivées dans les cartons de la diplomatie d’Ankara qui a un point commun majeur avec Moscou et Pékin : la non-ingérence sur les questions de politique intérieure et de droits de l’Homme. Et un avantage non-négligeable sur ses concurrents russes et chinois : leur culture musulmane commune, ce qui fait de la Turquie un partenaire privilégié dans la région. Autant de paramètres sur lesquels les pays occidentaux ne peuvent évidemment pas s’aligner.
Fatim Ouattara
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