Manifestations à l’Université de Niamey : Origines et enjeux sécuritaires
Résumé
Le mois de septembre coïncide avec la rentrée académique au niveau Universitaire. A l’Université de Niamey, c’était le 04 septembre que les Etudiants étaientcenséseffectuer leur rentrée[1], cependant, celle-cifut « boycottée » pendant deux jours par les étudiants qui posent un certain nombre de conditions notamment le paiement des arriérés des bourses. Ensuite, c’est après la reprise des cours que l’Université de Niamey n’a cessé d’être le théâtre de nombreuses manifestions souvent non couvertes par les medias.
L’enjeux est de taille, car, c’est lors d’une de ces manifestation que le 10 avril 2017 qu’un étudiant perdit la vie et un autre fut victime de « coups et blessure » selon les termes d’un jugementqui condamne trois policiers à un an de prison ferme chacun.
La situation sécuritaire du pays en général est telle que tous les aspects de la sécurité nécessitent observation et analyse. Pour comprendre ce phénomène social, notre analyse s’est basée sur des données récoltées sur le terrain en rencontrant les étudiants, en les interviewant et en analysant les discours qu’ils prononcent.
Dans un pays où la sécurité est de plus en plus un défi, la jeunesse doit être prise en compte, écoutée et impliquée dans la prise en compte de sa responsabilité de futur leader. L’un des avantages de l’Etat face aux groupes terroristes est simplement d’avoir de son côté une jeunesse scolarisée, motivée et encadrée sous peine de la voire frustrée et récupérée par ces groupes armés. Elle doit être écoutée et impliquée dans les débats portant sur la sécurité au sens large du terme pour qu’elle en face un défi.
$1 I. Pourquoi les étudiantsmanifestent-t-ils
$11. Non-paiement des arriérés de bourse
Le 03 septembre dernier, les étudiants de l’Université Abdou Moumouni, à travers leur structure dirigeante, l’Union des Etudiants Nigériens de l’Université de Niamey, ont motivé le « boycott » de la rentrée pour deux jours à compter du 04 septembre par le « refus du gouvernement à procéder au paiement d’arriérés des bourses d’Avril-mai-juin et celle des vacances[2] », entre autre.
Pour confirmer les mots à la réalité du terrain, nous étions à la rencontre des étudiants logeant sur la cité universitaire. Sur 100 boursiers, 20% ont 3 mois d’arriérer de bourses (d’Avril-mai-juin), et plus de 80% affirment qu’ils ont dorénavant 6 mois d’arriéré. Une telle condition contribue à révolter les étudiants et rend le climat très tendu entre les autorités étatiques d’une part et les étudiants d’autre part. D’ailleurs pour ces derniers, la raison de ce manque de paiement est simplement « la mauvaise foi du gouvernement » ou simplement « des autorités en charges de la question » notamment l’Agence Nigérienne des Allocation et des Bourses (ANAB). Toutes les réponses des interviewés montrent une quasi-impopularité de la politique gouvernementale au niveau des étudiants.
C’est le même problème qui revient chaque année. Dans un article de presse de Tamtaminfo, du 21 mai 2014, on peut lire que « les étudiants de l’université Abdou Moumouni de Niamey sont sortis dans les rues en cette journée de mardi 20 mai du matin au soir pour manifester contre un certain nombre de points relatifs à leur plateforme revendicative dont le payement de l’aide sociale (accompagnement de tout étudiant non boursier avec une somme pour amoindrir les charges du quotidien) qui était à la base de cette frustration. ».
Avec dorénavant un effectif de plus de 23 000 inscrits, la situation des étudiants à l’UAM mérite une minutieuse observation. Cette question de non-paiement de la bourse reste au centre d’intérêt de toute stabilisation car elle figure dans toutes les revendications.
$12. Conditions de vie difficiles
Pour les étudiants, l’un des problèmes « décourageant » est le retard pour finir les années académiques dans le délai normal. Le retard dans la finitiondes années académiques est réel. La moyenne pour finir la licence est de 4 ans alors qu’elle est censée durer 3 ans. Les étudiants ont sollicité l’établissement d’un calendrier annuel dans une perspective de réduire ce retard, mais il n’est toujours pas au rendez-vous.
En plus, les conditions de vie sont jugés « très difficiles » pour répéter leurs mots. Le restaurant qui accueille les étudiants semble insuffisant pourl’effectif actuel des étudiants. A la question de savoir combien de minutes l’on met avant d’avoir un plat ? Les usagers ont répondu de la manière suivante : entre 45mn à 1h de temps les jours ouvrables et 10 à 20mn les weekends.
Les infrastructures de logement et des cours au sein des facultés restent insuffisants. Des chantiers sont en cours certes dans d’autres facultés, mais le temps pris pour les finir irrite les étudiants.
Selon l’expression de leur leader, le Secrétaire General de l’UENUN, il résume la situation à une « gestion laisse guidon de l’enseignementsupérieur [3]».
Selon notre démarche, le manque de communication et d’implication des étudiants dans les projets de redynamisation de l’enseignement supérieur freine toutes les politiques de redressement du secteur. Le doute sur leur volonté de collaboration est levé depuis qu’il revendique l’établissement du calendrier annuel dont le suivi permettra de finaliser l’année sans retard.
Ainsi, c’est la conjugaison de tous ces facteurs qui conduit à des manifestations récentes de façon intempestive.
$1 II. Stratégies de manifestation variée
$11. Les réseaux sociaux
D’après un étudiant qui réside sur la cité universitaire, « les réseaux sociaux constituent le véritable lieu de contestation » et de revendication estudiantines. Ils font généralement recours aux Facebook et WhatsApp pour se partager l’information et se mobiliser. Les affiches se font certes, mais c’est surtout les smartphones qui font plus circuler l’info de nos jours.
La vive contestation sur les réseaux sociaux n’est pas un bon signe pour le pays surtout dans un contexte sécuritaire instable. Le gouvernement doit s’assurer du soutien de la jeunesse et pour se faire il doit prendre au sérieux les associations estudiantines et scolaire en général et collaborer efficacement avec celles-ci.
L’organisation des associations scolaires en général offre une intéressante grille de contrôle. Elles ont généralement servi de cadre de formation politique pour des nombreux politiciens qui sontactuellement au gouvernement.
$12. « Du casser tout » aux Sit-in dans les Ministères
En plus des réseaux sociaux, les étudiants manifestent leur mécontentement en occupant les rues de Niamey, rendant difficile la circulation. Cependant avant de procéder à la sortie de l’Université, ils procèdentgénéralement à des mouvements d’humeurs préventives. Le mois de septembre passé a fait l’objet de nombreuses actions « sporadiques » comme l’a affirmé l’un des leaders des étudiants à un media. Les « barricades » des routes peuvent avoir lieu en tout temps et n’importe où. Ce 27 septembre c’était le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation qui a était visé. Avant de passer à l’acte voici les termes du mot d’ordre : « Le comité Exécutif décide de l’organisation d’un sit-in […] à partir de 12h15 au MESRI et fustige la gestion laisse guidon de l’enseignement supérieur tout en lançant un mot d’ordre de suspension de toutes les activités académiques de la demi-journéeapplicable à cette soirée ». Le Sit-in du 27 septembre n’est pas le premier. Le 25 juillet déjà, alors que l’année académique tirait à sa faim, le premier Sit-in au Ministère en charge de l’enseignement supérieur a eu lieu « en réponse à ce qu’il qualifie de mutisme des autorités, face à leur revendication, que le comité exécutif avec à sa tête Sita Hamidou Diabiri a décidé de changer de fusille d’épaule, d’où l’organisation de ce sit-in qui a mobilisé des centaines d’étudiants malgré l’arrêt des activités académiques depuis juin dernier. L’on pouvait ainsi lire sur les pancartes, les slogans hostiles au régime tels que : «l’Aide sociale et la bourse, nous exigeons » ; «Le gouvernement de la 7e honte, libérez nous » ou encore «Nous réclamons toujours les mêmes choses etc. »[4]
Apres un entretient avec un étudiant, il ressort que les étudiants ont décidé d’organiser le sit-in à midi «pour profiter des cours pendant la matinée et sauver une partie de la journée », il continue en disant que « nous nous voulons étudier, c’est le gouvernement qui ne crée pas les conditions. On réclame juste nos droit ».
En effet, le mois de septembre dernier est celui qui a fait l’objet des barricades sur les principales voies de Niamey. Il n’est une surprise pour personne de voir le pont Kennedy, reliant les deux rives de Niamey bloqué par les Etudiants.
Les conducteurs de voitures sont obligés de passer par le « deuxième pont » ou attendre un apaisement de la situation. Par ailleurs, il faut noter que les actions des étudiants de l’UAM sont menées conjointement avec celles des autres universités de l’intérieur du pays notamment celle de Zinder comme c’etait le cas le 13 septembre à Niamey Zinder et Tahoua.ActuNiger remarque que « cette sortie surprise suivie de sit-in est une première en ce sens qu’elle rompt avec les mouvements habituels au cours desquels les manifestants (étudiants et scolaires) cassaient tout sur leur passage. Toutefois, il est a déploré le blocage de la circulation à une heure de pointe par les étudiants qui ont utilisé leurs bus à cet effet. Ils ont décidé d’occuper leur ministère de tutelle en scandant des slogans hostiles au régime en place. » Selon le Secrétaire General Adjoint de UENUN : « Ce mouvement est une surprise et nous le poursuivrons aussi longtemps que le Gouvernement restera sourd face à nos revendications. Nous allons continuer à battre le pavé, à mener des actions sporadiques quel que soit le lieu […]. »[5]
Des actes de ce genre ne sont pas sans conséquences sur la population de Niamey car à tout moment la manifestation peut dégénérer en affrontement entre policiers et étudiants. En plus les prix de transports par taxi montentaussitôt que les principalesvoies sont bloquées.
$1 III. Entre maintien d’ordre et répression ?
Lors des manifestations il arrive que la police et la gendarmerie interviennent pour disperser les manifestants. Cependant, très souvent les étudiants se plaignent d’être victime de « traitement inhumain » quand ils sont arrêtés par les forces de l’ordre. Mais cela reste difficile à prouver par eux. Tout de même, «suite de violentes échauffourées entre étudiants et forces de l'ordre », les faits donnent raison à certaine version des étudiants. Dans un article du 22 aout dernier le Figaro rappelle que « trois policiers ont été condamnés […] à un an de prison ferme pour avoir battu un étudiant lors d'une manifestation réprimée mi-avril sur le campus universitaire de Niamey » pour « coups et blessures avec préméditation ». Suite aux mêmes évènements du 10 avril passé, « un étudiant y avait trouvé la mort, après avoir été mortellement atteint à la tête par un tir d'un gendarme, selon les conclusions d'une enquête indépendante publiées jeudi dernier. Quelque 109 personnes avaient été blessées lors des heurts dont 88 manifestants et 21 policiers »[6]
$1 IV. Conséquences sociaux et sécuritaires de ces mouvements sociaux
La particularité des manifestations des étudiants au Niger est qu’elles se déroulent au sein de la capitale dans un contexte où le pays est en proie aux différentes incursions terroristes.
Au cours du mois de septembre passé, 4 attaques armées ont eu lieu sur le territoire nigérien faisant 7 morts parmi lesquels les 3 ont été nuitamment égorgés dans un village situé dans la région de Diffa. Des nombreuses têtes de batailles ont été emportées par leséléments de Boko Haram et ont kidnappés au total 5 personnes. Ces différentes incursions doivent susciter à la jeunesse la volonté de débattre autour de question de sécurité. Les Universités présentent un avantage capital qui est censé revenir à l’Etat et non le contraire.
Les manifestations peuvent dégénérer en soulèvement populaire. La prise en compte de ces mouvements « sporadiques » doit être priorisé par le gouvernement. La clef de voute est le paiement régulier des bourses qui semble présent dans toutes les revendications. Le meilleur partenaire de lutte contre des groupes terroristes tels que Boko Haram est la jeunesse. La guerre asymétrique exige la confiance du peuple, surtout de la jeunesse qui représente l’élite de demain. Une communauté de plus de 23 000 personnescomme l’Université de Niamey personnesmérite une gestion avec plus d’attention. Les questions de sécurité et de développement doivent êtremises au cœur des débats en synergie avec la jeunesse. Cette dernière est unvéritablebouclier contre le terrorisme, mais si elle échappeà tout contrôle, elle peut être en même temps le grand danger pour la stabilité.
Souley BAKO Habibou
Analyste en Sécurité
[1] Il s’agissait particulièrement des examens de rattrapages pour boucler l’année 2016-2017 qui n’avait pas été finie.
[2] Mot d’ordre de l’Union des Etudiants Nigériens à l’Université de Niamey(UENUN) du03 septembre 2017.
[3] Mot d’ordre de l’UENUN du 27 septembre 2017
[4]ActuNiger, 25 juillet 2017
[5]ActuNiger, 27 septembre 2017