Banquière intègre au Niger, un métier à haut risque
Licenciée pour avoir dénoncé des pratiques frauduleuses au sein de la Banque agricole du Niger, Falamata Aouami est aujourd’hui poursuivie par son ancien employeur.
Elle avait toutes les cartes en main pour réussir une brillante carrière dans la banque : un master 2 en audit et contrôle de gestion obtenu au prestigieux Centre africain d’études supérieures en gestion (Cesag, à Dakar), une solide expérience professionnelle et, à seulement 32 ans, un poste de directrice de l’audit et de l’inspection des services. Pour gravir les échelons, Falamata Aouami n’avait qu’une chose à faire : feindre de ne rien voir des pratiques déviantes au sein de la Banque agricole du Niger (Bagri), son employeur.
Pour s’y être refusée, la jeune femme a été brutalement débarquée en mai 2015. « J’ai découvert que la banque, après quatre années d’existence, ne disposait que de 3,374 milliards de francs CFA de fonds propres [soit 5,1 millions d’euros], pour un capital social 10 milliards de francs CFA. Je me suis dit qu’il y avait un problème et que je devais tirer la sonnette d’alarme », raconte-t-elle d’une voix posée.
« Créances douteuses »
Pensant bien faire en exerçant la vigilance prévue par ses fonctions, Falamata Aouami se penche également sur la politique de crédits tous azimuts de la banque. « J’ai découvert que de nombreux crédits n’étaient pas recouvrés et que certains avaient été octroyés sans garanties minimales. Pire, d’autres crédits étaient devenus des créances douteuses. Là encore, j’ai décidé de ne pas fermer les yeux », explique l’ancienne employée de la Bagri.
« TU ES MALADE ! TU NE PEUX PAS SCIER LA BRANCHE SUR LAQUELLE TU ES ASSISE »
Pour ne rien arranger à son sort, Falamata Aouami se penche par ailleurs sur une autre pratique peu orthodoxe : les écarts de caisse. En clair, la différence entre ce qui existe réellement et ce qui aurait dû exister. « En comptabilité, argumente-elle, l’écart de caisse traduit une situation anormale. Or j’en avais régulièrement, notamment à Maradi [la capitale économique]. Avec mon équipe, j’ai monté une mission à l’agence de Maradi pour y voir plus clair. Sur place, j’ai découvert que la situation était bien plus grave que je ne le pensais. »
De retour à Niamey, la jeune directrice de l’audit et de l’inspection des services rédige un rapport sévère sur le cas particulier de l’agence de Maradi et fait part de ses inquiétudes quant à la gouvernance générale de la banque. Pour toute réponse, on lui dit : « Il ne faut pas que ça sorte », puis « Tu es malade ! Tu ne peux pas scier la branche sur laquelle tu es assise ». Falamata Aouami raconte : « Je n’ai pas cédé, j’ai demandé qu’on prenne les dispositions nécessaires pour éviter la catastrophe vers laquelle nous allions. »
Invitée à se taire
Pour sa hiérarchie, déjà très agacée par ses commentaires sur la politique d’octroi et de recouvrement des crédits, la jeune directrice est allée trop loin avec sa mission d’inspection et son rapport sur l’agence de Maradi. Il faut sévir. L’ensemble de la haute direction est ainsi convié, le 4 mai 2015, pour passer au peigne fin le rapport et les recommandations d’audit. Au bout de trois heures d’échanges, une tendance générale se dégage : il faut étouffer ce rapport et tout faire pour que les organes de contrôle externe, notamment la Commission bancaire de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), n’en entendent jamais parler.
Falamata Aouami est invitée à se taire : elle n’a rien vu des irrégularités. Mais la jeune femme n’est pas d’accord et le fait clairement savoir lors d’une réunion à laquelle assiste le directeur général de la Bagri, Abdoulaye Djadah. Quarante-huit heures plus tard, elle reçoit une lettre l’informant qu’elle est mise à la disposition de la direction des ressources humaines. Puis, le 7 mai, une demande d’explications. Entre-temps, son compte professionnel a été désactivé. Chaque matin, elle doit pointer chez le directeur des ressources humaines pour trouver un bureau vide sur lequel elle peut poser ses affaires. Cet acharnement lui vaudra finalement une période d’arrêt maladie.
DANS LES ANNÉES 1980, SON PÈRE, MAGISTRAT, AVAIT CROISÉ LE FER AVEC SEYNI KOUNTCHÉ
Mais, à peine est-elle revenue, qu’elle est déférée, le 28 mai 2015, devant un conseil de discipline comprenant le directeur des crédits, le directeur comptable et deux responsables mis en cause dans ses rapports : si elle veut éviter toute sanction, lui dit-on, elle doit reconsidérer le contenu de ses rapports et présenter des excuses au directeur général, qui serait alors prêt à passer l’éponge. La jeune femme ne lâche rien, et elle a de qui tenir. Pour défendre son impartialité de magistrat, Mamadou Malam Aouami, son père, n’avait-il pas croisé le fer, dans les années 1980, avec Seyni Kountché, chef de la junte qui dirigea le Niger de 1974 à 1987 ?
Hélas, le 29 mai, le couperet tombe brutalement. Falamata Aouami est licenciée de la Bagri pour « fautes graves », sans indemnité ni préavis, ni même un certificat de fin de collaboration. Dans l’épreuve, le réconfort ne viendra ni de l’inspection du travail, qu’elle avait pourtant saisie très tôt, ni du conseil d’administration de la banque, auquel elle a écrit, ni de la Commission bancaire de l’UMOA ou du gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qu’elle a également contactés. Il ne lui reste plus, en dernier recours, que la justice.
Seule face aux juges
Le 31 décembre 2015, après plusieurs renvois, le tribunal de Niamey examine finalement le litige entre la jeune directrice et la Bagri, qui a vu défiler en quatre années trois directeurs généraux. La sentence est sévère pour l’employeur : 400 millions de francs CFA de dommages et intérêts (610 000 euros). Mais comme rien ne se passe jamais comme prévu dans ce dossier, la décision du juge ne sera disponible qu’en mai 2016, soit six mois après son prononcé.
Entre-temps, le montant de l’indemnisation est ramené de 400 millions à 13 millions de francs CFA (20 000 euros), tandis que le juge part en disponibilité et que l’ensemble du dossier disparaît des greffes du tribunal de Niamey… Il aura fallu que la lanceuse d’alerte saisisse l’inspection des services judiciaires du ministère de la justice pour que le dossier réapparaisse et soit finalement transmis à la cour d’appel de Niamey.
Sur le chemin, Falamata Aouami a perdu son avocat à la suite d’un litige sur le montant des honoraires. C’est donc seule que la lanceuse d’alerte comparaît, le 10 novembre 2016, devant les juges chargés de statuer sur la décision rendue en première instance, qui ne satisfait aucune des deux parties. Le 12 janvier 2017, la cour confirme la décision favorable à la lanceuse d’alerte en condamnant la Bagri à lui verser 13 millions de francs CFA : 5 millions au titre des indemnités de licenciement et 8 millions de dommages et intérêts.
Depuis, Falamata Aouami a décidé de tourner la page, sans regrets mais avec beaucoup d’amertume face à l’indifférence de tant d’institutions devant les « arrangements » de son ex-employeur avec l’orthodoxie bancaire. Au Plateau – un quartier résidentiel de Niamey –, elle tient désormais une sandwicherie, bien nommée « Lanceur d’alerte », qui propose le wayna, beignet traditionnel typique de l’est du Niger. La Bagri, quant à elle, n’a visiblement pas abandonné la partie : elle vient d’assigner en justice son ex-directrice de l’audit et de l’inspection des services, pour « crédits professionnels impayés ».
Seidik Abba contributeur
Le Monde Afrique, Niamey, envoyé spécial
Commentaires
c'est fameux jouraleux a ecrit tous ce gros recit pour deux raisons;
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