La France rappelle son ambassadeur au Niger pour sa critique du régime (Le Point.fr)
La France a rappelé son ambassadeur au Niger, à la demande de Niamey. Un mauvais signe pour la présidentielle de 2016, selon Sihem Souid.
Pendant que les États-Unis multiplient les déclarations officielles et prônent la participation active de tous les partis et la transparence à la prochaine présidentielle de 2016 au Niger, en France, nous rappelons notre ambassadeur. En effet, le 17 juillet, Antoine Anfré a été contraint de faire ses valises. Niamey l'ayant exigé à la France, estimant que notre ambassadeur serait devenu intraitable sur l'exigence d'élections libres et transparentes au Niger.
C'est la toute première fois qu'un ambassadeur de France ne termine pas son mandat de trois ans au Niger. Cette décision n'est pas passée inaperçue et en a surpris plus d'un. Hama Amadou, Premier ministre durant neuf ans et président de l'Assemblée nationale, est en exil en France pour avoir décidé de se présenter à la prochaine présidentielle. Celui-ci nous raconte : « L'ambassadeur a observé quotidiennement les dérives autoritaires vers lesquelles tend le régime actuel afin de gagner un second mandat, y compris par des moyens déloyaux comme la liquidation politique des adversaires les plus redoutés, et la démolition par voie judiciaire des partis d'opposition, dont il connaît la force. Le président Issoufou refuse d'écouter les conseils insistants de tous ces diplomates qui ne veulent pourtant que le bien du Niger. Il veut tricher et entraîner le pays dans la guerre civile. Issoufou peut quant à lui interpréter le retrait de l'ambassadeur comme un blanc-seing de la France à faire ce qu'il souhaite en matière électorale. Le peuple nigérien est plus que prêt pour la démocratie et ne se laissera pas faire en cas de fraude. »
Depuis son retrait de l'alliance formée lors du second tour de la présidentielle du Niger, l'ancien président de l'Assemblée nationale se pose comme un adversaire farouche et déterminé au président du Niger, Mahamadou Issoufou. Et visiblement, il n'est pas près de se taire.
Pauvreté et corruption
Le Niger souffre d'une extrême pauvreté et d'une forte corruption qui minent le pays. En parallèle, des trafiquants de drogue, deux branches d'Al-Qaida (Aqmi et Mujao) ainsi que Boko Haram se sont établis dans la région. Le géopolitique Hamid Chriet nous explique le contexte : « Le président nigérien a choisi une stratégie du K.O. et le manque de résultats dans la lutte contre Boko Haram est manifeste. La France reste son seul soutien. Par ailleurs, il n'y a eu aucune consultation concernant la souscription d'un emprunt estimé à plus d'un milliard de dollars auprès d'une banque chinoise. Les institutions monétaires ont confirmé son existence. Le Parlement a été tenu à l'écart des négociations avec Areva, malgré des enjeux géostratégiques pour le Niger. À cela s'ajoute l'installation d'une base militaire française, toujours et encore, sans aucune consultation nationale via un référendum comme proposé par le Parlement. Cet accord a provoqué un climat virulent et de contestation au sein de l'armée nigérienne ainsi qu'un sentiment de manque de confiance de l'appareil militaire dans leur capacité à lutter contre le terrorisme et a protégé le pays. Il semblerait que tout cela résulte d'une décision personnelle du président Issoufou, ce qui est au demeurant une atteinte même à la démocratie et à la Constitution du Niger ! »
Enfin, un des derniers épisodes les plus scandaleux est la surveillance du rédacteur en chef du site d'investigation MondeAfrique, Seidik Abba, qualifié d'agent de la DGSE par le ministère de la Défense nigérien. Cela ajouté au contexte et au renvoi de l'ambassadeur de France au Niger, Antoine Anfré, qui a été définitivement rappelé à Paris à cause de sa critique du régime. On peut dire que tout cela n'est pas bon signe pour la mise en place de la transparence et du respect de la démocratie lors de cette future élection présidentielle nigérienne.
DROIT DE RÉPONSE de la présidence du Niger
Dans une publication en date du 22 juillet 2015, le site Le Point.fr, évoquant le départ du Niger d'un ambassadeur de France, porte de graves accusations sur le président nigérien qui, selon lui, « refuse d'écouter les conseils insistants de ces diplomates » et aurait exigé de Paris le retrait de M. Antoine Anfré. Contrairement à vos allégations, et cela est de notoriété publique, le président Issoufou Mahamadou est à l'écoute constante de tous les diplomates accrédités au Niger ; mais c'est sans doute à eux qu'il appartient de témoigner de cette disponibilité.
Pour ce qui est précisément du départ récent de l'ambassadeur de France au Niger, notre ministère des Affaires étrangères a publié le 22 juillet 2015 un communiqué pour « apporter un démenti catégorique à l'assertion selon laquelle Monsieur Antoine Anfré a été expulsé du Niger. Le départ de l'ambassadeur de France procède d'une décision souveraine des autorités compétentes françaises, lesquelles ont décidé de lui confier de nouvelles missions à Paris. En effet, conformément aux termes de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, les États accréditants gardent la liberté de mouvement de leur personnel diplomatique ».
Le ministère des Affaires étrangères du Niger a aussi indiqué « qu'à aucune des réunions du Cadre de dialogue politique qui regroupe aux termes de l'Accord de Cotonou, article 8, la ministre des Affaires étrangères, les ambassadeurs de l'Union européenne et la délégation de l'Union européenne au Niger, un ambassadeur n'a exprimé des craintes quant aux conditions de préparation et/ou d'organisation des élections générales prévues au Niger en 2016. Les ambassadeurs membres du Cadre du dialogue politique, ainsi que les autres membres du corps diplomatique (bilatéraux et multilatéraux), ont toujours salué les bonnes dispositions du gouvernement à créer les conditions d'organisation par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) d'élections libres et transparentes. Du reste, il y a lieu de rappeler qu'au Niger tout processus électoral fait l'objet d'un consensus de toute la classe politique regroupée au sein du Conseil national de dialogue politique(CNDP), gage d'élections crédibles et ouvertes ». Le président de la République du Niger, qui a donné des instructions fermes à son gouvernement pour que cela soit, ne peut par conséquent être accusé de ne pas vouloir des élections libres et transparentes. Faut-il peut-être vous le rappeler, le président a déclaré publiquement être fermement attaché à la tenue d'élections honnêtes, crédibles, transparentes, justes et équitables avec la présence d'observateurs nationaux et internationaux indépendants. Son attachement aux valeurs démocratiques et républicaines n'a jamais été démenti.
Vous dites encore dans votre article, pour le moins tendancieux puisque basé sur une seule source (un leader de notre opposition politique), que « M. Hama Amadou, Premier ministre durant neuf ans et président de l'Assemblée nationale, est en exil en France pour avoir décidé de se présenter à la prochaine présidentielle ». Nous vous rappelons que ce Monsieur, même s'il a quitté la mouvance présidentielle au plus grand regret de ses alliés de l'époque, n'est pas en exil à la suite d'un harcèlement politique. Il s'est volontairement mis dans cette position pour ne pas répondre à une convocation de la justice de son pays dans le cadre de l'instruction d'une affaire n'ayant aucun lien avec la politique. Il a simplement fui la justice de son pays qui le poursuit pour des actes dont la nature est aujourd'hui connue du monde entier.
Vous dites aussi, toujours sous sa dictée, que « le Niger souffre d'une extrême pauvreté et d'une forte corruption ». Puisque c'est vous qui avez rappelé que M. Hama fut Premier ministre pendant neuf ans (en fait de 2000 à 2007) puis président de l'Assemblée nationale, demandez-lui donc ce qu'il en était à son époque. Les indicateurs socio-économiques des sept années au cours desquelles il a dirigé le gouvernement, qui sont disponibles, attestent de la mauvaise qualité de la gouvernance qu'il a produite.
À l'inverse, les efforts que nous avons fournis depuis plus de quatre ans dans la mise en œuvre du Programme de renaissance du Niger ont porté des fruits : les Nigériens ne souffrent plus de la faim et de la soif comme avant, c'est pourquoi la FAO nous a décerné une distinction dès 2012.
Depuis quatre années que le président Issoufou dirige le Niger, les indicateurs sur la lutte contre la corruption et sur les libertés se sont constamment améliorés. En l'occurrence et s'agissant de la corruption, les années les plus mauvaises correspondent exactement à la période au cours de laquelle M. Hama Amadou a dirigé le gouvernement du Niger. Notre gouvernement a mis en place dès son avènement un dispositif de lutte contre la corruption, dont la dernière prise est justement un proche de M. Hama, pour un dossier de détournement d'aide alimentaire de l'ordre de 6,5 milliards de francs CFA, commis au moment où le peuple nigérien affrontait une terrible famine. Comme vous le voyez, il est toujours utile de recouper et de vérifier vos informations.
Vous présentez M. Hama Amadou comme le challenger du président Issoufou en 2016 ; nous vous rappelons simplement qu'aux dernières élections (2011), il était arrivé troisième, avec la moitié des suffrages obtenus par le candidat Issoufou Mahamadou. Vous dites que « des trafiquants de drogue, deux branches d'Al-Qaida (Aqmi et Mujao) ainsi que Boko Haram se sont établis dans la région », et que le manque de résultats est manifeste. Permettez-nous de ne pas penser comme vous : depuis que Boko Haram a attaqué notre territoire en février dernier, les dispositions prises par notre gouvernement au plan militaire ont permis le contrôle de notre territoire, la contribution à la libération de plusieurs localités au Nigeria, le retour dans leurs familles d'otages de la secte, l'élimination de plusieurs dizaines de terroristes et la saisie de leurs matériels et équipements. Avec la France et les pays riverains du lac Tchad, nous intensifions les efforts de lutte contre les trafics en tous genres dans la zone du lac Tchad et du Sahel. C'est d'ailleurs dans ce cadre qu'est érigée en collaboration avec la France la base militaire à laquelle vous faites allusion, et pour laquelle l'Assemblée nationale du Niger n'a nullement requis une consultation comme vous l'affirmez.
Le Niger reste fermement engagé dans la lutte contre Boko Haram et toutes les formes de terrorisme avec ses propres moyens et ceux de la coopération internationale dont il loue et salue les efforts, notamment en matière de renseignement et d'appuis logistiques. Les résultats de notre engagement sont visibles et incontestés, sauf de la part de ceux qui, comme Mr Hama Amadou, sont devenus des alliés objectifs de ce groupement terroriste.
Enfin, concernant la surveillance du rédacteur en chef du site MondeAfrique, que vous qualifiez de scandaleuse, les autorités nigériennes ne s'en sentent ni responsables ni concernées, pour la simple raison qu'elles ne savent pas ce que fait M. Seidik en France ni qui l'emploie. Et de toute façon, il n'est pas dans leurs pratiques et dans leur rôle de mettre sous surveillance des compatriotes, même lorsque ceux-ci adorent s'adonner à la victimisation. Le Niger n'a jamais demandé ni fait surveiller M. Seidik Abba. Son travail ou ses prises de positions ne constituent en aucune manière une préoccupation pour le gouvernement nigérien. Au demeurant, en matière de liberté de presse, le Niger est aujourd'hui cité en exemple. Pour preuve, le président Issoufou a été le premier chef d'État au monde à avoir signé la Déclaration de la montagne de la table, visant à « abolir les lois sur la diffamation et l'injure publiques en Afrique et replacer la liberté de la presse au cœur des discussions ».
Par Sihem Souid (Le Point.fr)
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