Crise de l’Enseignement supérieur : « Nous sommes tous responsables » accuse le ministre Yahouza Sadissou à l’Assemblée nationale
Le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), Yahouza Sadissou, était ce samedi matin à l’Assemblée nationale pour répondre à une question d’interpellation du député Moumouni Harouna Lamido (groupe parlementaire Nassara) sur la crise que traverse actuellement le secteur de l’enseignement supérieur. Un sujet d’actualité par excellence si besoin est au regard de la situation qui prévaut depuis quelques temps au niveau de la principale université du pays, l’Université Abdou Moumouni de Niamey (UAM), où les activités académiques sont paralysées depuis plusieurs mois du fait de la série de grèves lancées d’abord par les enseignants-chercheurs et qui ont été par la suite relayés par les étudiants.
Cet énième blocage que connait l’enseignement supérieur a d’ailleurs finit par s’étendre à l’ensemble du secteur éducatif avec les mots d’ordre de débrayage lancés par l’USN sur toute l’étendue du territoire national sans qu’aucune solution ne se pointe encore à l’horizon. Du déjà vu donc et surtout la crainte encore une fois, des risques d’une nouvelle année universitaire compromise, ce qui ne fait qu’actualiser le malaise général qui prévaut depuis des années au sein du secteur de l’enseignement supérieur au Niger.
C’est du reste ce qu’a souligné le député Lamido Harouna Moumouni dans l’exposé des motifs de sa question d’interpellation. « L’éducation en général et l’enseignement supérieur en particulier ont toujours constitué une priorité dans les politiques publiques de notre pays. En témoigne la création de nouvelles universités, de plusieurs écoles professionnelles, qui a eu pour corolaire l’accroissement des effectifs des étudiants et des enseignants chercheurs ainsi que la multiplication des infrastructures. Ce qui a entrainé des dépenses importantes au profit de ce secteur » a introduit le député à la tribune du Parlement. « Mais pour que ces dépenses soient efficientes, devrait-il ajouté, il faudrait que tous les acteurs s’investissent véritablement davantage pour la recherche d’un enseignement de qualité qui peut être pourvoyeur des ressources humaines qualifiées et compétentes pour le marché de l’emploi ». Or, a poursuivit l’ancien ministre de l’Equipement sous Tandja, « depuis un certain moment, force est de constater que les enseignements dans nos universités sont fortement perturbés par des crises récurrentes tantôt dues aux débrayages des étudiants revendiquant l’amélioration de leurs conditions de vie et d’études ; tantôt par les enseignants chercheurs à travers leurs corporations syndicales soit pour demander l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail, soit pour dénoncer leurs rapports souvent conflictuels en particulier avec l’UENUN à travers la Commission des Affaires Sociales et de l’Ordre (CASO) ». Pour l’élu de la région de Diffa, ce dernier point constitue même à n’en point douter une crise réelle entre enseignants chercheurs et étudiants, crise qui, « si l’on y prend garde, pourrait compromettre l’année académique 2017-2018 ». C’est donc fort préoccupé par cette situation que le député a sollicité le ministre, aux fins « d’éclairer la lanterne de la Représentation nationale » en répondant à une série de questions relatives à la situation actuelle de l’enseignement supérieur du pays.
Quel est le ratio enseignant chercheur-étudiant par matière enseignée et par université ? Le chevauchement des années universitaires n’est-il pas un surcoût pour l’Etat ? Quelles sont les causes réelles des crises persistantes dans nos universités en général et celles de Niamey en particulier ? Quelles mesures avez-vous prises ou comptez-vous prendre pour juguler les crises universitaires en général et celle de l’Université de Niamey en particulier ? L’année académique 2017-2018, peut-elle être sauvée ?
A toutes ces questions ainsi qu’à ceux qui ont été soulevées par la suite lors du débat qui a suivi, le ministre a tenu à apporter des réponses ce qui lui a permis de faire un large tour d’horizon de l’état des lieux de la situation universitaire du pays, d’établir un diagnostic sans concessions des maux qui assaillent nos universités et de dévoiler plusieurs pistes sur lesquelles les autorités planchent actuellement pour sortir de la crise actuelle mais aussi et surtout des crises à répétition qui handicapent le secteur.
Diagnostic et solutions de sortie de crise
Le ministre n’a occulté aucune des questions qui lui ont été adressées même s’il a brièvement passé sur certaines comme celle relative au ratio enseignant-chercheur/étudiant dans les universités au Niger où il apparait, d’après les chiffres officiels, qu’en dehors des quatre (4) dernières universités nouvellement créées (Agadez, Diffa, Dosso et Tillabéry), notre pays est loin des normes internationales notamment de l’UNESCO. Sur la question des conséquences notamment financières qu’engendrent le chevauchement des années académiques, le ministre Yahouza Sadissou a été catégorique : « c’est le principal problème que nous rencontrons dans nos universités ». C’est d’ailleurs un fait qui ne souffre d’aucune contestation mais certaines statistiques dévoilées à l’occasion en donnent une idée grande nature de l’ampleur du phénomène. Ainsi, sur les 11.000 nouveaux bacheliers qui entrent en moyenne chaque année ces derniers temps à l’UAM, moins de 4.000 parviennent à achever leurs parcours universitaires à temps alors que le reste du contingent, c'est-à-dire plus de 7.000 étudiants restent pris dans les mailles du fameux phénomène du « chevauchement » qui est par conséquent presque entré dans les mœurs de la principale université du pays. Cela engendre logiquement un surcoût sur le budget de l’Etat pour ce qui est notamment des bourses et surtout des prestations offertes par le Centre national des œuvres universitaires (CNOU). A titre d’exemple, ces dernières années le Centre enregistre près de 4.000 étudiants bénéficiaires de ces prestations alors qu’en principe, ils sont supposés avoir terminés leur cursus. S’il en est un des principaux problèmes auxquels font face nos universités, le « chevauchement » est loin d’être le seul et les causes des crises récurrentes que connait l’enseignement supérieur au Niger sont légions. « Il y a tout un chapelet de causes qui engendrent ces crises » a reconnu le ministre et sans être exhaustifs, il a exposé quelques « causes majeures ». Les premières ont « l’insuffisance » comme dénominateur commun : insuffisance des subventions publiques pour des universités qui fonctionnent à près de 90% avec les dotations financières du budget de l’Etat, mais aussi insuffisance des infrastructures particulièrement pour le cas des 4 dernières universités à voir le jour, lesquelles manquent presque de tout (salles des cours, cité d’hébergement, locaux administratifs et de recherche). Toujours sur le chapitre des causes des crises récurrentes de l’enseignement supérieur, le ministre Yahouza Sadissou a cité « l’impertinence de certaines dispositions des textes qui régissent les universités et qui provoquent des problèmes de gouvernance » ainsi que le déficit de dialogue entre les différents acteurs de la chaine universitaire avec « le comportement qui va ‘’jusqu’au boutisme’’ de certains acteurs notamment les étudiants mais aussi l’administration ». Le ministre de l’Enseignement supérieur a aussi reconnu un autre facteur de crise qui n’est autre que le traditionnel retard dans le paiement des bourses et qui engendrent des grèves à répétition surtout des étudiants.
A toute cette panoplie de facteurs qui entrainent la défaillance du système universitaire de notre pays, le ministre Yahouza Sadissou a ébauché une série de mesures que les autorités sont en train de prendre ou que le MESRI a déjà entamé la mise en œuvre afin de ramener dans un premier temps la sérénité dans les milieux académiques. Avec comme leitmotiv : le dialogue avec tous les acteurs. « Nous n’avons d’autres choix que de dialoguer car depuis notre arrivée à la tête de ce ministère il y a presque un an, nous faisons face presque quotidiennement à des crises permanentes avec les différents maillons du système universitaire, ce qui nous impose de jouer régulièrement les sapeurs-pompiers et au delà même puisqu’en plus d’éteindre le feu, nous veillons à anticiper ces crises en maintenant le dialogue » dira par la suite le ministre. Le but selon Yahouza Sadissou, c’est de créer les conditions d’une meilleure gouvernance au sein des universités à travers la révision et l’adaptation des textes, la normalisation des années académiques, une meilleure gestion des bourses et de l’aide sociale à travers une réforme de l’ANAB qui se traduira par son audit organisationnel, la mise en place d’un fichier biométrique ainsi que la bancarisation des bourses. Le ministre a aussi annoncé la poursuite des efforts de l’Etat pour rehausser les subventions de l’Etat comme c’est le cas cette année où elles ont été rehaussées de 3 milliards de FCFA dont 1 milliard pour le CNOU ainsi que le renforcement des infrastructures en veillant à promouvoir la formation à distance comme mesure alternative. Autres mesures aussi annoncées par le ministre comme réponse à certains dysfonctionnements particuliers, c’est la privatisation (il a parlé de sous-traitance) du transport universitaire comme c’est le cas dans d’autres pays afin notamment d’améliorer les prestations du CNOU notamment à l’UAM. A plusieurs occasions, le ministre n’a pas manqué de pointer du doigt la responsabilité de certains acteurs comme c’est le cas avec les retards dans les délibérations des examens, ce qui justement contribue à amplifier le « chevauchement des années » avec le surcoût financier qui va avec.
L’université de Niamey, un cas à part
Le sujet d’actualité, c’est bien évidement la crise qui secoue depuis le 7 février dernier l’UAM et qui persiste encore avec la nouvelle donne, son extension à tout le système éducatif national avec la série de mot d’ordre de l’USN. Sans revenir sur la base de l’incident ayant donné naissance à cette déplorable situation qui a mis à jour le profond malaise qui prévaut au sein de l’enseignement supérieur, le ministre a fait remarquer que c’est à la suite de l’échec des tentatives d’un règlement à l’amiable du différent entre les syndicats des enseignants-chercheurs et celui des étudiants que le relai a été passé aux instances habilitées. C’est dans ce cadre qu’est intervenue la signature du protocole d’accord entre le MESRI, le SNECS/Niamey et le rectorat de l’UAM en date du 17 mars dernier, lequel vise avant tout selon le ministre, à permettre une reprise des cours tout en continuant la recherche de solution car le protocole est loin de régler la crise actuelle comme le démontre la persistance du blocage des activités académiques qui court toujours. « Nous avons signé un protocole d'accord avec le SNECS tout ayant conscience qu'il ne permettra pas de régler le problème » a reconnu le ministre Yahouza Sadissou qui a aussi fait savoir que depuis, une autre manche de pourparlers a été ouverte avec les étudiants et les deux parties étaient proche même d’un autre accord il y a quelques jours. « Malheureusement, cela n’a pas encore abouti » a-t-il déploré tout en espérant une fin heureuse les prochains jours car les négociations vont se poursuivre. Le ministre s’est dit par conséquent convaincu que « l'année académique 2017-2018 peut-être sauvée à condition que les étudiants et les scolaires acceptent de reprendre les cours et si tous les acteurs décident de jouer chacun son rôle ».
Responsabilité partagée
Le diagnostic est assez sévère et les défaillances sont criardes. Pour le ministre Yahouza Sadissou, la responsabilité incombe à tous les acteurs. « Les étudiants sont responsables, les enseignants sont responsables, l'administration rectorale est responsable et le gouvernement est aussi responsable » a-t-il admis avant d’appeler à une mobilisation générale et une implication sincère pour sortir nos universités et l’ensemble du système éducatif des sentiers battus. A ce sujet, il a annoncé la tenue dans deux semaines à Tahoua, d’une réunion de haut niveau entre tous les acteurs impliqués pour réfléchir sur les voies et moyens qui devront permettre de relever l’enseignement supérieur au Niger. Les différentes interventions des parlementaires qui ont suivi ont été d’une grande contribution sur le débat avec des témoignages parfois poignants de certains députés enseignants-chercheurs de leur état ainsi que ceux qui ont intervenu en leur qualité de parents d’élèves. Des interventions qui se sont d’ailleurs dans l’ensemble alignées sur la même appréciation faite par le ministre de l’Enseignement supérieur. En un mot comme en mille, le constat général est que le mal est profond et qu’au delà de la crise actuelle, c’est tout le système qui est malade. Le défi est donc désormais national même si pour le moment il ne s’agit que des déclarations de bonnes intentions. L’intérêt est qu’il témoigne d’une certaine prise de conscience généralisée, à la limite d’une exaspération, qui transparait également au sein de l’opinion au regard des commentaires et autres appréciations qui ont suivi la plénière. Les mots ont été donc dits sur les maux ! Il reste à présent de passer aux actes puisque les solutions existent pour peu que les principaux acteurs concernés s’y mettent. C’est tout l’avenir du pays qui en dépend et le devenir d’une nation qui est en jeu d’autant que pour une des rares fois, cela a fait consensus.
A.Y.Barma (Actuniger.com)
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