Ibrahim Yacouba : « Notre armée s’aguerrit et se renforce chaque jour davantage »
Engagé au sein du G5 Sahel et de la Force multinationale mixte, impliqué dans les questions migratoires entre l'Union africaine et le continent africain, le Niger est au centre de tous les regards au Sahel. Ibrahim Yacouba, son ministre des Affaires étrangères, répond aux questions de Jeune Afrique.
Depuis plusieurs mois, le Niger a fait de sa diplomatie un atout de poids, se posant en interlocuteur privilégié pour les Français et les Américains, qui se tournent désormais plus vers lui que vers le Mali ou le Tchad. Mais les critiques ne manquent pas, pour déplorer cette diplomatie de la lutte anti-terroriste.
Le Niger sous-traite-t-il sa défense, avec des bases étrangères sur son sol ? Est-il une nouvelle frontière de l’espace Schengen européen en matière de lutte contre l’immigration régulière ? Un de ses premiers artisans, le ministre des Affaires étrangères Ibrahim Yacouba, répond à Jeune Afrique, en évoquant au passage la scène politique intérieure nigérienne.
Jeune Afrique : Avec le conflit au Mali et la question migratoire, le Niger semble avoir pris une place de leader sur la scène diplomatique sahélienne, est-ce votre sentiment ?
Ibrahim Yacouba : Ce sont des questions graves que nous ne voulons pas instrumentaliser pour une recherche de leadership. Mais il est vrai que nous avons pris nos responsabilités très tôt. Le président Mahamadou Issoufou avait alerté au sujet des conséquences que ne manqueraient pas d’avoir l’intervention en Libye. Il n’avait pas été écouté et nous subissons les conséquences d’une situation que nous n’avons pas créée et qui met en péril la paix et la sécurité du Sahel et la pérennité de l’État du Mali.
Sur la question de la migration, il n’est pas supportable de laisser se développer des réseaux qui causent la mort d’Africains dans le désert, soumettent nos jeunes à l’esclavage en Libye et les vouent à la mort en Méditerranée. D’autant que les passeurs reviennent avec des armes dans notre pays. Notre position est morale et sécuritaire et nous l’avons affirmée de manière forte et sans ambiguïté.
Vos détracteurs vous accusent d’avoir fait du Niger la frontière sud de l’espace Schengen. Que répondez-vous ?
(Rires) Nous sommes et ne serons jamais que la frontière sud de la Libye. C’est une donnée physique. Nous ne devons pas considérer que la Libye a bel et bien disparu. L’État libyen doit être restauré dans la plénitude de ses attributions, de ses pouvoirs et de ses capacités.
Les Européens y ont des interlocuteurs, qu’ils soient institutionnels ou groupes armés, avec lesquels ils peuvent signer et mettre en œuvre des accords, y compris et surtout dans le domaine du contrôle des frontières.
En Libye, plusieurs médiations cohabitent. Faut-il favoriser l’une ou l’autre ? L’initiative française ou celle de l’Union africaine portée par Denis Sassou Nguesso, le président du Congo-Brazzaville ?
Il faut encourager et soutenir toutes les initiatives qui concourent à la recherche d’une solution durable en dehors de tout agenda caché. Nous sommes solidaires et engagés par l’initiative africaine et Mahamadou Issoufou est membre du Comité de haut niveau de l’Union africaine sur la Libye.
L’initiative française est également bienvenue comme démarche complémentaire. Il ne s’agit pas de rabaisser une initiative au profit d’une autre. Néanmoins, il y a sans doute trop d’intervenants directs ou indirects en Libye. Cela n’a pas toujours été un atout.
L’une des initiatives fortes de 2017 est la concrétisation du G5 Sahel. Où en sont les opérations ? Les problèmes de coordination et d’échange entre armées sont-ils résolus ?
La force conjointe se met progressivement en place au niveau de tous les fuseaux. Au niveau du fuseau central, deux opérations ont déjà été menées et les problèmes que vous évoquez sont en train de se résorber efficacement. Nous avons fini la période de rodage et nous travaillons ardemment pour une pleine et entière opérationnalisation.
Face à un ennemi chaque jour plus audacieux et plus fanatisé, chaque jour compte. Le Niger a une bonne expérience en la matière, celle de la Force multinationale mixte contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. Cela doit nous aider à être plus efficace.
Vous comptez sur votre sol plusieurs bases étrangères notamment françaises et américaines. Le Niger a-t-il internationalisé sa défense ? Sa sécurité est-elle dépendante des Occidentaux ?
Dans le domaine de la sécurité et de la défense du territoire, vous ne devez compter que sur vous-mêmes. Nous avons une armée très brave et très vaillante qui s’aguerrit et se renforce chaque jour davantage. C’est avant tout sur elle que nous comptons et nous y consacrons une part importante de notre budget, soit 15 %.
Mais la nature et les méthodes des organisations narco-terroristes ont amené les États, même les plus puissants, à contracter des partenariats pour affronter un ennemi qui n’a pas de considération pour les frontières ou pour les règles conventionnelles de la guerre. Nous sommes ouverts à des partenariats utiles, mais nous nous donnons les moyens pour que notre sécurité ne dépende d’aucun autre pays.
Le 21 février dernier, une feuille de route a été adoptée par la Cedeao concernant une monnaie unique ouest-africaine. Sous quelle forme ? Cela signifie-t-il la fin du franc CFA ?
Le président Issoufou considère à juste titre que c’est un des chantiers d’intégration le plus importants pour notre communauté. Une feuille de route a été adoptée le 21 février dernier, qui comporte dix programmes précis devant nous conduire à la réalisation de la monnaie unique en 2020.
L’objectif, poursuivi depuis plus de 30 ans, est aujourd’hui à notre portée : passer de huit monnaies à une seule au sein de la Cedeao. Toutes celles ayant actuellement cours au sein de l’espace Cedeao connaîtront le même sort suivant l’agenda de la mise en place de la nouvelle monnaie communautaire.
Je suis incapable de prévoir ou de connaître ce qui va se passer dans les trois prochaines années, avant la présidentielle de 2021
Sur le plan politique intérieur, les regards sont tournés vers la présidentielle de 2021. Vous considérez-vous comme un challenger à la succession de Mahamadou Issoufou ?
À chaque jour suffit sa peine ! Je suis incapable de prévoir ou de connaître ce qui va se passer dans les trois prochaines années. Je reste concentré sur ma tâche au sein du gouvernement. Mon parti travaille actuellement à se structurer à travers tout le pays et à l’étranger. C’est essentiel pour consolider nos bons résultats des dernières élections.
Nous sommes encore jeunes et nous faisons partie d’une majorité présidentielle, comme nous l’avons rappelé il y a quelques semaines lors de notre deuxième anniversaire à Dosso. Nous restons concentrés sur notre part de travail dans le cadre du programme du président Issoufou. Vous poserez cette question du challenger en 2021 à ceux qui seront là, vivants et intéressés !
Comment jugez-vous la situation politique actuelle, entre un PNDS (parti au pouvoir) qui pense à 2021 et une opposition qui se cherche des leaders ?
Je me garde de commenter de façon particulière la situation de tel ou tel parti. Les citoyens nigériens sont les meilleurs analystes de leur situation politique. Le Niger est une démocratie particulièrement dynamique qui s’appuie sur la vivacité du champ politique et l’originalité, parfois, de la société civile. C’est tant mieux !
Jeune Afrique
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