28e Session du CIHFE : le numérique, levier stratégique de la mobilisation des ressources intérieures en Afrique de l’Ouest

Ouverte ce mercredi 6 novembre 2025 en format virtuel, la 28e session du Comité Intergouvernemental des Hauts Fonctionnaires et Experts (CIHFE) réunit, pendant deux jours, les représentants des quinze pays de la sous-région, des institutions régionales, du secteur privé, des partenaires techniques et de la société civile. Organisée par le Bureau sous-régional de la Commission Économique pour l’Afrique (CEA), cette rencontre stratégique se penche sur un enjeu majeur : "Exploiter la technologie numérique pour renforcer la mobilisation des ressources intérieures en Afrique de l’Ouest", un thème au cœur des efforts régionaux pour bâtir une souveraineté financière durable et un développement inclusif dans un contexte mondial en profonde mutation.

Organe délibératif statutaire de la CEA, le CIHFE réunit chaque année les représentants des 15 pays de la sous-région pour examiner les rapports d’activités du Bureau sous-régional, débattre des priorités émergentes et formuler des recommandations destinées à renforcer la transformation économique régionale.

La 28e session s’inscrit dans un contexte mondial particulièrement tendu : ralentissement de la croissance économique, montée du protectionnisme, instabilité géopolitique et contraction des marges budgétaires dans de nombreux pays en développement. Autant de facteurs qui rendent la question du financement du développement plus pressante que jamais.

En Afrique de l’Ouest, la croissance reste soutenue, estimée à 4,2 % en 2025, portée par les performances du Sénégal (8,4 %), de la Guinée (7,1 %), du Niger (6,6 %), du Bénin (6,5 %) et de la Côte d’Ivoire (6,3 %). Mais derrière ces chiffres se cachent des défis persistants : le ratio impôts/PIB demeure faible – 14,4 % en moyenne dans la région, contre 16 % à l’échelle continentale – limitant ainsi la capacité des États à financer durablement leurs politiques publiques.

C’est M. Hamma Hamadou, Conseiller spécial du Premier ministre du Niger, qui a présidé la cérémonie officielle d’ouverture des travaux, en présence des ambassadeurs du Burkina Faso et du Sénégal accrédités au Niger, ainsi que de Mme Ngoné Diop, Directrice du Bureau sous-régional pour l’Afrique de l’Ouest de la CEA, et de nombreux représentants d’institutions régionales et partenaires techniques.

Renforcer la souveraineté budgétaire

M. Hamma Hamadou, Conseiller spécial du Premier ministre du Niger, a lancé officiellement la session, rappelant l’urgence de renforcer l’autonomie financière des États et la souveraineté budgétaire. "Les ressources propres sont le pilier de notre indépendance décisionnelle et le carburant de nos politiques publiques. Elles sont la preuve tangible de notre pacte social avec nos citoyens", a-t-il déclaré, soulignant que la mobilisation efficace des ressources internes est à la fois un chantier national et régional.

Le Conseiller spécial a détaillé les défis spécifiques de la région : la prédominance du secteur informel, les flux financiers illicites, les régimes fiscaux obsolètes face à l’économie numérique et le besoin de renforcer les capacités administratives. Il a insisté sur la nécessité d’harmoniser les politiques fiscales, de partager les informations et de mutualiser les expériences pour assurer la réussite de cette mobilisation.

Selon lui, la technologie numérique constitue un levier stratégique pour moderniser les administrations fiscales, améliorer la collecte et traquer l’information au-delà des frontières, garantissant une identification précise des contribuables et une meilleure conformité fiscale.

"Cette réunion consiste à échanger des bonnes pratiques et des expériences innovantes. Comment moderniser nos administrations fiscales et douanières ? Comment taxer efficacement le secteur numérique et les multinationales ? Comment élargir l’assiette fiscale de manière progressive et équitable ?", a-t-il interrogé, invitant les participants à s’impliquer activement avec un esprit de franchise, de solidarité et de collaboration.

Mobiliser les ressources intérieures : un impératif stratégique

Dans son mot de bienvenue, la Directrice du Bureau sous-régional pour l'Afrique de l'Ouest de la CEA, Mme Ngoné Diop, a souligné l’urgence pour les pays africains de renforcer leurs propres mécanismes de financement. Elle a rappelé que le monde traverse une période de profonde mutation, marquée par une montée des dépenses militaires estimées à 2 700 milliards de dollars en 2024, soit treize fois le montant total de l’aide publique au développement (212 milliards de dollars).

"À la fin de septembre 2025, seulement 22 % des ressources nécessaires aux besoins humanitaires mondiaux avaient été mobilisées. Cela montre combien il est urgent pour nos pays de développer leurs propres leviers de financement", a déclaré Mme Diop.

Elle a également insisté sur le rôle du numérique pour moderniser les systèmes fiscaux, améliorer la transparence, réduire la corruption et élargir la base contributive. Plusieurs pays de la sous-région, comme le Ghana, le Nigéria et le Sénégal, ont déjà intégré des solutions numériques innovantes, allant de la taxe électronique aux plateformes de paiement en ligne et applications fiscales dématérialisées.

"Cette transition numérique n’est pas seulement un choix technologique, mais un impératif de souveraineté économique face à la contraction de l’aide extérieure et à l’endettement croissant des pays africains", a ajouté Mme Diop.

Bilan de la présidence sortante et perspectives

Auparavant, M. Cheikh Modou Thiam, Directeur de la Planification nationale du Sénégal et président sortant de la 27e session, a salué les efforts du Bureau sous-régional de la CEA pour rendre cette rencontre possible, notamment en format virtuel.

Dans son intervention, le représentant de la présidence sénégalaise a dressé un bilan éloquent des réalisations accomplies au cours du mandat écoulé. Huit pays de la sous-région ont bénéficié d’un appui technique pour la mise en œuvre de la ZLECAf, à travers des formations sur les règles d’origine et le renforcement institutionnel. Sous l’impulsion de la CEA, des chaînes de valeur transfrontalières ont été développées, notamment dans les filières cacao et riz, contribuant à dynamiser les échanges intra-africains.

La période a également été marquée par la relance du réseau WABLP, désormais fort de plus de 560 membres actifs dans 27 pays, offrant un puissant cadre de mise en réseau des jeunes et des femmes entrepreneurs. En parallèle, la CEA a déployé des programmes d’assistance technique en Sierra Leone et au Libéria pour renforcer la mobilisation des ressources intérieures. Enfin, plusieurs initiatives conjointes au Sahel ont été lancées, articulant le nexus humanitaire-développement-paix et apportant un appui renforcé aux coordonnateurs résidents des Nations Unies.

Le président sortant a également souligné les progrès de l’approche BSDD (Bénéfices Sociaux du Dividende Démographique) dans quatre pays, à travers la formation de 70 experts et la mise en place d’un outil régional de suivi en ligne. "Ces résultats prouvent que notre collaboration porte ses fruits. Mais ils nous engagent à aller plus loin pour faire de la technologie un véritable levier de transformation structurelle", a-t-il conclu.

L’innovation numérique au service de la fiscalité

Les discussions ont mis en avant le potentiel transformateur du numérique. Chaque point de pourcentage d’augmentation de la pénétration du haut débit mobile peut accroître le PIB de 0,15 %, tandis que l’adoption des outils de paiement mobile peut augmenter les recettes fiscales de 12 % en moyenne.

L’intelligence artificielle, la blockchain, les mégadonnées et l’Internet des objets sont désormais considérés comme des leviers stratégiques pour moderniser les administrations fiscales et accroître la conformité, tout en réduisant les pertes liées à la fraude et à l’évasion fiscale, estimées à plusieurs milliards de dollars par an pour les pays africains.

Deux jours de discussions stratégiques sur la mobilisation des ressources

La session a officiellement débuté par l’élection du Bureau et l’adoption de l’ordre du jour, avant la présentation du thème central par Mme Ngoné Diop, Directrice du Bureau sous-régional de la CEA. Les échanges se sont ensuite poursuivis avec les présentations des pays membres, favorisant le partage d’expériences et de bonnes pratiques. Les économistes Justine Nanziri et Carolina Coutinho ont livré une analyse détaillée du profil socio-économique de la sous-région, mettant en lumière à la fois les perspectives de croissance et les contraintes structurelles qui freinent la mobilisation efficace des ressources intérieures.

Jeudi 6 novembre 2025, la session va aborder les questions statutaires avec la présentation du rapport d’activité du Bureau sous-régional (octobre 2024-septembre 2025) et du programme de travail pour 2026 par Mme Ngoné Diop. Le bilan du programme 2025 sera détaillé par M. Said Adejumobi, mettant en évidence les initiatives phares de la CEA : le financement du développement durable, l’optimisation des envois de fonds et la mise en œuvre des messages clés du Forum régional africain pour le développement durable 2025.

La réunion prévoit également l’examen et l’adoption des projets de recommandations, ainsi que la fixation de la date et du lieu de la prochaine session, consolidant ainsi le rôle du CIHFE comme plateforme stratégique pour renforcer la souveraineté financière et la coopération régionale en Afrique de l’Ouest.

Des résultats attendus à fort impact

À l’issue des travaux, les délégués entendent adopter une série de recommandations ambitieuses destinées à accélérer la numérisation des systèmes fiscaux et à renforcer l’interopérabilité régionale. Il s’agira également de mieux exploiter les données économiques pour une planification publique plus éclairée, tout en consolidant la coopération Sud-Sud autour de mécanismes de financement innovants. Les participants ont en outre souligné l’importance d’intégrer davantage les jeunes et les femmes dans les chaînes de valeur numériques régionales, afin de faire du numérique un levier inclusif de croissance et de souveraineté économique.

Les conclusions de la réunion seront transmises à la Conférence des ministres africains des finances, de la planification et du développement économique, prévue en 2026, où elles serviront de base à de nouvelles orientations politiques en faveur d’une Afrique de l’Ouest plus résiliente, souveraine et inclusive.